L'humain peut-il être considéré comme un animal?
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A la fin du XIXe siècle les travaux des évolutionnistes ont conduit à mettre en évidence le fait que l'homme descendait du singe,
résultat scandaleux pour l'église anglicane puisque revenant à nier la nature sacrée de l'humanité.
La traduction française de l'œuvre
de Darwin fut encore plus mal accueillie comme elle était accompagnée d'une introduction aux accents eugénistes, annonçant ce qui
allait devenir le darwinisme social (l'idée d'un fonctionnement social aboutissant à une sélection naturelle).
On le voit la discussion de
l'animalité de l'homme n'intéresse pas seulement la science ni l'éthologie comparée (le fait de comparer les comportements de
l'homme et de l'animal, en observant celui-ci dans son milieu naturel).
Sur un plan strictement philosophique nous verrons que l'humanité diffère radicalement de l'animalité.
Toutefois nous serons
amenés à nous demander quelle est la part d'animalité en l'homme, cela en évitant le plan métaphorique (du type l'homme est un loup
pour l'homme), parce qu'il présuppose un anthropomorphisme latent.
Mais découvrir une part d'animalité en l'homme ne signifiera pas
nécessairement la réduction de l'homme à n'être qu'une espèce animale parmi d'autres.
I- L'humain n'est pas un animal.
Dans son livre majeur Etre et temps Heidegger distingue le Dasein, sujet proprement
humain dont la vie est régie par des existentiaux et l'animal dont l'être n'est régi que par des
catégories.
L'homme étant le seul étant (le seul individu) capable de s'interroger sur le statut de
l'être, cette capacité réflexive est le signe qu'il n'existe pas sur le même mode que l'animal,
lequel se contente de subsister et d'assouvir l'urgence de ses besoins.
Le Dasein au contraire n'a pas une existence rivée à sa seule immédiateté : le sujet
humain existe tout entier tourné vers l'avenir, son être c'est d'être à lui-même son propre projet.
Il existe donc un abîme entre humanité et animalité, infranchissable.
La différence n'est pas
seulement physiologique ou scientifiquement attestable, elle est ontologique, c'est une différence
d'être.
D'autres philosophes, en particulier les élèves de Heidegger, Hans Jonas et Jan Patõcka,
ont remarqué les difficultés auxquelles la théorie de Heidegger le conduisait.
En effet en refusant
toute dimension corporelle au sujet humain Heidegger ne peut thématiser concrètement cet être
toujours en projet qu'est l'homme, sans corps (celui-ci ne participant pas de la définition du sujet
humain) comment réaliser quoique ce soit ? Heidegger en reste à un niveau d'abstraction qui
l'empêche de rendre compte par exemple des projets que fait l'homme au quotidien.
Or
reconnaître la dimension proprement corporelle de l'homme n'est-ce pas déjà lui reconnaître une
communauté avec l'animal ?
II- La part d'animalité en l'homme.
Très souvent la philosophie emprunte un chemin inverse et tente de saisir la part d'humanité de l'animal, les résultats sont
ambigus puisqu'elle découvre des indices disséminés de caractères humains dans diverses espèces sans pouvoir en conclure grandchose ; nous nous demanderons plutôt si inclure la dimension corporelle de l'homme dans l'essence de celui-ci revient à lui reconnaître
une part d'animalité.
La réponse est difficile, l'homme n'a pas le même rapport à son corps que l'animal au sien.
La « conscience » de l'animal se
différencie selon des messages corporels (contact, odeur, ouïe, couleur vive,…) ; l'homme, lui, réfléchit sur son propre corps, sa
conscience est capable de le mettre à distance, le corps n'est plus simplement le vecteur d'un rapport immédiat au monde, il est
symboliquement investi : l'homme est le seul être à se vêtir.
Néanmoins l'homme ne vit pas son corps que comme un objet symbolique
ou un outil, dans la pulsion, le désir, la douleur, la maladie, l'effort, il est littéralement son corps, son être ne s'en distingue plus.
Ce n'est pas un hasard si l'on parle d'animalité, de bestialité de l'homme lorsque ce dernier en revient à un comportement
instinctif dominé par l'impératif du besoin.
La bête c'est ce qui est privé d'intelligence, or l'homme contient en lui une dimension
proprement instinctive, qui s'exprime à travers la pulsion de conservation ou la libido.
Dans la peur ou le désir l'homme peut quasiment
être considéré comme un animal parce qu'il se réduit tout entier à une existence corporelle.
III- L'humain ne peut se réduire à son animalité.
De même que le singe ne paraît humain que ponctuellement (Merleau-Ponty cite dans La structure du comportement un singe
à qui l'on avait appris à se tenir droit et marcher à la façon d'un humain mais qui reprenait une posture et une gestuelle animale dès
qu'on lui faisait peur) l'homme ne se résume à son animalité que de façon fragmentaire, par exemple dans une attitude (un cri
provoqué par la peur est toujours animal).
L'humain ne peut-être considéré comme un animal sauf à renoncer à une réponse
philosophique et adopter une vision purement biologique de l'homme qui conduirait à dire que l'homme n'est qu'un animal particulier.
Les leçons de Heidegger ne peuvent être refusées en bloc, l'homme est autre que l'animal parce qu'il ne se contente pas de
subsister mais existe, tourné vers le monde et l'avenir.
Simplement il faut assumer une part d'animalité en homme qui se manifeste à
travers des attitudes instinctives, lesquelles sont toutefois toujours réglées et arrangées selon des normes sociales proprement
humaines (car conventionnelles et non naturelles), la sexualité de l'homme a beau être de nature hormonale comme celle de l'animal
elle ne se réalise pas de la même façon.
L'usage du langage par l'homme empêche tout réductionnisme de l'humain à l'animal, les pseudos langages animaux ne sont
que des communications par stimuli-signaux ; le langage humain a ceci de spécifique qu'il donne accès au symbolique (cf.
l'œuvre de
Cassirer) c'est-à-dire que l'homme est capable de parler une chose en l'absence de celle-ci, ce que l'animal est incapable de faire.
Avec le langage c'est un tout autre rapport au monde que l'humain organise, c'est le signe d'une capacité de distanciation et d'analyse
absente chez l'animal.
Conclusion :
Contrairement à l'animal l'homme est capable d'organiser temporellement son rapport aux choses : il a un passé (une histoire)
et un avenir (des projets), il n'est pas rivé au seul présent (il est capable par le langage de différer son rapport aux choses, tandis que
les signaux animaux ne parlent que de ce qui est effectivement présent).
L'existence humaine interdit que l'on considère l'homme
comme un simple animal plus quelque chose (par exemple « animal politique » chez Socrate), l'humain est foncièrement différent de
l'animal.
Toutefois cette différence anthropologique ne doit pas conduire à refuser toute dimension charnelle et corporelle à l'homme..
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