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L'HOMME POURRAIT-IL PENSER SANS LE SECOURS DES MOTS ?

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« Si la rédaction d'une dissertation est un exercice de pensée, la question posée paraît saugrenue : sans mots, il n'y a guère à réfléchir, semble-t-il, en tout cas rien à écrire.

Aussi convient-il de chercher d'abord ce qui peut justifier une telle question. Dans le quotidien, il peut arriver que les mots fassent défaut: j'ai alors l'impression d'avoir, quelque part en mon esprit, quelque chose (un sentiment, une sensation) qui cherche à s'exprimer, mais je ne trouve pas «les mots pour le dire». D'un point de vue philosophique, Bergson a notamment critiqué les mots tels que le langage commun nous les fournit.

Et il est vrai que je peux avoir parfois le sentiment que ces mots communs me trahissent, et ne parviennent pas à traduire ce qui ferait l'originalité réelle, profonde, secrète, de mon être, de mon expérience ou de ma pensée. Autre référence possible: Nietzsche, pour qui le langage commun est également déficient pour traduire la pensée la plus singulière. Les mots ne sont pas seulement un outil de communication: ils constituent une évocation du monde, sa doublure symbolique. Ils véhiculent des concepts: si je ne disposais pas du mot «arbre», je serais obligé, dès que j'aperçois un tronc, des branches et des feuilles, d'utiliser le terme désignant l'espèce particulière de ce végétal (et dans un tel cas, en effet, je me trouve vite à court de vocabulaire, et donc incapable de désigner). Ils renvoient sans doute, comme le dit Bergson, à un fond d'expériences communes et moyennes, mais c'est précisément ce qui me donne la capacité d'être compris par mon auditeur (qui participe de son côté au même fond d'expériences communes).

C'est grâce à ces sens « moyens» que nous pouvons dialoguer — c'est-à-dire penser ensemble si l'on en croit Platon. L'affirmation d'un indicible irréductible aux mots suppose l'existence d'une pré-pensée antérieure au langage. Or les rapports entre pensée et langage sont dialectiques, et non d'antériorité stricte.

Cf.

Hegel ci-dessous. Confirmation par l'enfant (étymologiquement: qui ne parle pas): il ne commence à penser un peu qu'à partir de l'acquisition de ses premiers mots — et c'est parce qu'initialement «Maman» est polysémique qu'il a besoin d'autres mots pour préciser ce qu'il «veut dire». Contre épreuve: on dit volontiers qu'une oeuvre d'art donne à penser par ses moyens spécifiques, mais • on ne pense (à partir d')une oeuvre d'art qu'à partir du moment où l'on parle ou écrit à son propos; • référence à Hegel: dans l'histoire de l'Esprit, l'art n'est pas encore un concept, et ce n'est que parce que «l'art est mort» que l'Esthétique peut s'élaborer comme discours philosophique sur l'art. Le mot est le véhicule du concept.

Plus ce dernier est rigoureux, plus la pensée est féconde.

Toute tentative pour «penser» à l'aide d'éléments plus «concrets» que le concept est vouée à l'échec parce qu'elle reste, si peu que ce soit, au niveau de la matière et se trouve dès lors privée du recul, c'est-à-dire de l'abstraction que suppose l'exercice même de la pensée.. »

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