L'homme ne s'accomplit que dans la ville
Extrait du document
«
Il est commun d'identifier, ne serait-ce que par le vocabulaire ville et civilisation ; les mots conduisent aussi à
assimiler la ville et l'organisation politique, comme l'exprime le double sens de « cité ».
Mais la ville est aussi le lieu
de la perte morale des individus.
La ville peut être le lieu de la solitude, du crime.
Au-delà de la pensée grecque qui
pensait que la ville bonifiait l'homme, notre civilisation industrielle doit repenser cette pensée positive de la ville à la
vue des mutations permanentes qu'elle subit.
1) La ville contre la campagne.
La ville est-elle surtout faite pour offrir à une population donnée les meilleures conditions d'existence ? Ou plutôt
pour assurer certaines fonctions et recevoir des hommes destinés à les exercer ? Par contre, il convient d'éviter un
certain penchant manichéiste selon lequel les grandes villes ne peuvent produire que vice et malheur, et seule la
campagne procurer vertu et bonheur.
On a trop longtemps répété que les grandes villes étaient des nécropoles de
l'humanité alors que l'état sanitaire y est en général mieux entretenu qu'ailleurs.
Trop prétendu aussi qu'il fallait les
supprimer parce que le coût de l'habitant marginal y est beaucoup plus élevé qu'à la campagne : cela est vrai, mais
les services rendus n'y sont pas comparables, et c'est pourquoi une bonne part de la population rurale s'y précipite.
Mais une croissance indéfinie de la population n'est pas forcément un signe de prospérité ou de bonne santé de la
ville, au contraire ! Des villes jugées insupportables par une catégorie d'hommes peuvent paraître très agréables à
d'autres.
À défaut de critères précis, mais illusoires, on admettra que sont en bonne santé les villes où, pour
l'ensemble de la population, il fait « bon vivre ».
2) La ville civilisatrice : la cité grecque.
Les définitions que les Grecs donnent de la cité sont multiples et variables.
Avant d'être un territoire (ville et
campagne environnante), c'est un organisme collectif : ce sont les citoyens unis par une même histoire autour du
culte rendu à la divinité poliade.
Quel que soit son régime, la cité exerce une telle emprise sur ses membres que le
Grec se définit avant tout comme un citoyen.
La cité juste engendre l'homme juste ; telle est la démarche de Platon
dans La République, révélant ainsi l'intimité des rapports entre éthique et politique dans le monde grec.
Aristote
distingue l'homme des autres animaux en ce qu'il appartient à une cité.
La loi (nomos) exprime le pouvoir et la
solidarité de la cité.
Représentation de la volonté collective, la loi est le souverain ; la cité se confond avec elle et
elle est dès lors « autonome » ou elle n'est point.
Ainsi se comprennent le respect des penseurs grecs pour les
nomoi (illustré par le martyre de Socrate) et l'embarras qu'ils ressentent tant devant les conflits susceptibles
d'opposer cet ordre laïc et relatif aux lois universelles et permanentes.
Aussi.
Le langage quotidien véhicule ici
l'héritage gréco-romain : à la politesse du citadin on oppose la rusticité du rural et la sauvagerie du « barbare ».Des
termes d'usage quotidien tels que « politesse », « urbanité », « civilité », à travers lesquels se profile un idéal
« civilisé » d'existence, manifestent, traditionnellement, une relation positive établie entre la ville (polis, urbs,
civitas), le développement de la civilisation et l'affinement de la personnalité individuelle.
3) Une image négative de la ville.
Mais à ce modèle classique des rapports de l'homme et de la ville se surimpose un modèle négatif qui contredit le
premier, sans pour autant l'éliminer.
Il se constitue dès l'époque préindustrielle du développement des systèmes
urbains et se fortifie jusqu'à nos jours.
Il exprime une expérience négative du milieu urbain, celle des relations
anonymes, de la solitude dans la masse, de l'agressivité et de la criminalité croissantes.
La ville est facilement
accusée des maux dont souffre la civilisation contemporaine : on lui oppose l'image idyllique de la rusticité rurale
alors réhabilitée.
La « civilisation urbaine » est caractérisée par une crise de la personnalité individuelle résultant
d'un excès des stimulations auxquelles sont soumis les individus ; ceux-ci se protègent en limitant leur engagement
dans leurs différents rôles sociaux.
La ville est autant lieu de différences et de formulations des différences que
d'homogénéité.
L'opposition entre culture urbaine (orientée vers les relations secondaires, l'association ou la
rencontre informelle, plus que vers les relations primaires du type familial, par exemple) et communauté est à
nuancer sérieusement.
Il apparaît très risqué d'établir une échelle unique de ce mode de vie.
À l'inverse, la ville crée
des conditions et des situations originales : mobilité et hétérogénéité, si elles ne suffisent pas à caractériser les
groupes sociaux, modifient les rapports entre proximité physique et distance sociale.
Le territorial prend un autre
sens, comme l'indique l'ambiguïté de la notion de voisinage.
Contrôle social et liberté s'y composent de manière
instable.
Sans doute, la crise urbaine actuelle traduit-elle, à travers les difficultés du système de décision collectif,
les illusions de l'urbanisme, l'évocation nostalgique de la ville médiévale ou de la communauté, une tension
particulière entre condition urbaine (aux effets fort inégaux selon les groupes sociaux) et attentes sociales et
culturelles.
Conclusion.
On ne peut se contenter de l'opposition issue de l'antiquité entre une campagne rustre et barbare et une ville
terreau de la civilisation.
La progression exponentielle de la taille de villes a obligé à repenser complètement le rôle
civilisateur des villes, pour voir en elle, au contraire un lieu de dilution des mœurs et une perte des urbanités.
L'urbain s'étend au détriment de l'urbanité.
D'immenses territoires se retrouvent sans véritables lieux de socialité où
l'on se croise sans se croiser, et où presque rien ne relie les individus.
Il faut repenser à nouveau frais l'urbanité et
les villes..
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