L'homme immoral peut-il être heureux ?
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Incipit : Avec le tournant socratique de la pensée antique grecque s’opère la fondation conceptuelle de la philosophie comme discipline de pensée, savoir rationnel. Une telle fondation a pour corollaire, selon Cicéron (Tusculanes), la préoccupation éthique, ou morale (ces termes ne sont pas pour l’instant distingués). Et au principe des réflexions menées sur la conduite de la vie bonne réside la question du bonheur comme finalité de cette dernière, voire comme norme de sa valeur. Personne ne peut, pour Aristote par exemple (Ethique à Nicomaque), ne pas vouloir rechercher le bonheur. Ainsi morale et bonheur sont intimement liés au principe de toute investigation philosophique des questions éthiques.
Thèmes : Tels que figurés dans l’intitulé, immoralité et bonheur, ou plus exactement “ être heureux ”, s’inscrivent dans une relation qu’une analyse thématique de l’énoncé doit permettre d’expliciter. Trois thèmes se dégagent explicitement de la formulation de l’énoncé, deux d’entre eux consistent dans les notions mêmes de bonheur et d’immoralité, quant au troisième, il porte sur leur relation caractéristique. (i) L’immoralité : cette notion se démarque au premier abord par son caractère privatif. L’immoralité apparaît comme la négation de la moralité, autrement dit comme la contradiction des principes définissant ce qui est qualifiable de moral. Qualifier quelque chose de moral, en l’occurrence un homme quelconque, suppose la référence à la notion même de morale. Si la transition de l’attribut au substantif conceptuel va de soi, ce n’est pas pour autant trivial, car la morale, par distinction d’avec l’éthique, peut se définir comme un corps de maximes ou de préceptes normatifs par lesquels s’évalue un acte, un comportement, etc. en fonction de l’existence ou non d’infraction (si “ tu ne tueras point ” est un précepte moral, alors tuer est donc immoral). L’immoralité peut donc pour l’instant se définir par la négation de la moralité, et donc par la contravention au code de la morale, à ses valeurs, par l’inadéquation des actes avec le code. (ii) Le bonheur : réduire le fait de pouvoir être-heureux au bonheur ne va certes pas de soi. Car ceci présuppose la réduction d’un fait (être heureux effectivement) à une notion abstraite (le bonheur). Ceci nous permet de relever l’ambiguïté de la notion de bonheur elle-même, puisque le bonheur paraît appartenir tant au droit qu’au fait. Une telle remarque sur le thème du bonheur vise à éviter de croire pouvoir en donner une définition indépendamment du cadre dans lequel il intervient. (iii) La condition de possibilité (ou pouvoir-être) : et justement, le cadre dans lequel intervient la notion de bonheur nous est ici donné par l’analyse de la notion de immoralité et de son corollaire, à savoir la morale (thème (i)). Le cadre est d’abord celui du droit, de la légitimité ; évacuant par là dans un premier temps la question de la réalisation effective du bonheur.
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Incipit : Avec le tournant socratique de la pensée antique grecque s'opère la fondation conceptuelle de la philosophie comme discipline de pensée, savoir
rationnel.
Une telle fondation a pour corollaire, selon Cicéron (Tusculanes), la préoccupation éthique, ou morale (ces termes ne sont pas pour l'instant
distingués).
Et au principe des réflexions menées sur la conduite de la vie bonne réside la question du bonheur comme finalité de cette dernière, voire
comme norme de sa valeur.
Personne ne peut, pour A ristote par exemple ( Ethique à Nicomaque), ne pas vouloir rechercher le bonheur.
Ainsi morale et
bonheur sont intimement liés au principe de toute investigation philosophique des questions éthiques.
Thèmes : Tels que figurés dans l'intitulé, immoralité et bonheur, ou plus exactement “ être heureux ”, s'inscrivent dans une relation qu'une analyse
thématique de l'énoncé doit permettre d'expliciter.
Trois thèmes se dégagent explicitement de la formulation de l'énoncé, deux d'entre eux consistent dans
les notions mêmes de bonheur et d'immoralité, quant au troisième, il porte sur leur relation caractéristique.
(i) L'immoralité : cette notion se démarque au
premier abord par son caractère privatif.
L'immoralité apparaît comme la négation de la moralité, autrement dit comme la contradiction des principes
définissant ce qui est qualifiable de moral.
Qualifier quelque chose de moral, en l'occurrence un homme quelconque, suppose la référence à la notion même
de morale.
Si la transition de l'attribut au substantif conceptuel va de soi, ce n'est pas pour autant trivial, car la morale, par distinction d'avec l'éthique, peut
se définir comme un corps de maximes ou de préceptes normatifs par lesquels s'évalue un acte, un comportement, etc.
en fonction de l'existence ou non
d'infraction (si “ tu ne tueras point ” est un précepte moral, alors tuer est donc immoral).
L'immoralité peut donc pour l'instant se définir par la négation de la
moralité, et donc par la contravention au code de la morale, à ses valeurs, par l'inadéquation des actes avec le code.
(ii) Le bonheur : réduire le fait de
pouvoir être-heureux au bonheur ne va certes pas de soi.
C ar ceci présuppose la réduction d'un fait (être heureux effectivement) à une notion abstraite (le
bonheur).
C eci nous permet de relever l'ambiguïté de la notion de bonheur elle-même, puisque le bonheur paraît appartenir tant au droit qu'au fait.
Une telle
remarque sur le thème du bonheur vise à éviter de croire pouvoir en donner une définition indépendamment du cadre dans lequel il intervient.
(iii) La condition
de possibilité (ou pouvoir-être) : et justement, le cadre dans lequel intervient la notion de bonheur nous est ici donné par l'analyse de la notion de immoralité
et de son corollaire, à savoir la morale (thème (i)).
Le cadre est d'abord celui du droit, de la légitimité ; évacuant par là dans un premier temps la question de
la réalisation effective du bonheur.
Problème : L'analyse thématique de l'énoncé nous permet d'aborder à nouveaux frais sa formulation problématique.
C e que nous remarquons à l'aide de
notre trichotomie thématique, c'est que l'énoncé semble pécher par une certaine contradiction dans les termes.
En effet, tandis que d'un côté la notion de
morale fait intervenir une réflexion de droit, de principe et de valeur relativement à leur infraction par l'homme immoral (autrement dit, tous termes non
directement impliqués dans le domaine de la pratique concrète et de la réalisation effective), de l'autre au contraire le syntagme verbal du bonheur (“ être
heureux ”) exigerait l'examen attentif de son effectivité pratique, c'est-à-dire du bonheur comme fait.
A l'articulation de cette apparente contradiction entre
le droit moral et le fait du bonheur, l'énoncé peut être reformulé comme suit : la morale est-elle la condition (ou nécessaire ou suffisante) du bonheur ? ou
encore, l'immoralité est-elle contradictoire de la condition de possibilité (“ pouvoir-être heureux ”) du bonheur ?
*
I.
La moralité du bonheur
C hez A ristote, dans l'ouvrage plus haut mentionné (livre X), le bonheur est défini comme le terme, c'est-à-dire la finalité, de la vie bonne.
La vie bonne se
pratique par la mise en œuvre de la vertu, elle-même propriété caractéristique de l'excellence de l'âme juste et droite.
Les vertus sont organisées de
manière hiérarchique et n'ont donc pas toutes la même valeur.
M a i s c e qui importe pour notre question est l'idée de concevoir le bonheur comme
conséquence et terme d'une mise en œuvre pratique effective caractéristique du comportement éthique.
Le bonheur n'est pas ici un fait.
Il est foncièrement
moral (au sens défini dans le thème (i) – qui n'est pas aristotélicien, puisque l'étymologie du terme de ‘morale' est latine).
Il est une valeur jugeant de la
totalité du comportement d'une vie.
Le problème consiste ici dans le fait que justement son constat ne saurait être effectif.
Jamais on ne peut s'assurer, ni
et qui plus est, être assuré, du bonheur, voire de l'état de conscience consistant à être heureux.
Sur un autre registre, dans un autre cadre conceptuel et à
une autre époque (l'Aufklärung du 18 e siècle), le rigorisme moral de Kant conforte l'impossibilité d'espérer atteindre le bonheur pour le réaliser en fait.
Pour
Kant, si le bonheur est rejeté comme principe fondateur de la morale (puisque une morale qui consisterait à le rechercher pour le réaliser serait intéressée,
et donc impure), c'est qu'à la morale seule importe la légitimité en droit.
L'homme moral ne peut même plus espérer être récompensé de sa vertu par le
bonheur.
Une première réponse à apporter à l'énoncé consisterait à dire que non seulement l'immoralité est exclusive de la possibilité d'être heureux, puisque pour
l'être, il faut au minimum être vertueux, c'est-à-dire mener une vie en accord avec les préceptes moraux, mais que plus encore la morale elle-même comme
valeur ou norme devant décréter en droit la légitimité de l'accession au bonheur ne saurait en être la garantie (sur ce dernier point, le rigorisme kantien
serait à rapporter à la doctrine augustinienne de la Grâce décrétant que le bonheur (à venir, le règne des fins, selon Kant) ne dépend pas de l'homme, mais
de l'élection divine).
Si être immoral est exclusif de tout bonheur, la morale n'est même pas la condition suffisante à son effectivité.
V oilà pourquoi il nous
faut dans un second temps poser la question de l'effectivité du bonheur, et dès lors comprendre le syntagme verbal “ être heureux ” non plus en relation à la
notion abstraite et irréalisable de bonheur, mais bien comme aptitude au bonheur réel.
II.
Le bonheur immoral
A vec la critique nietzschéenne du fondement de toutes les valeurs (La généalogie de la morale, Le crépuscule des idoles, etc.), le bonheur est dénoncé dans son
illégitimité en tant que construction abstraite indifférente à son effectuation.
Le bonheur se dévoile avec Nietzsche, n'être que le produit de constructions
conceptuelles socialement déterminées, et partant, relatives à leur contexte idéologique.
Le bonheur dévalué de sa transcendance est reconduit au réel
vital dont il s'agit de perpétuer la valeur en le recréant.
L'immoralité devient condition d'un bonheur devenu joie ( Le gai savoir ).
A u 19 e siècle également, le
pragmatisme américain (James, Dewey) permet une approche plus raisonnable du bonheur effectif, de l'état consistant à être heureux, que les prétentions
nietzchéennes à la transvaluation de toutes les valeurs établies.
Etre pragmatique peut signifier ne se préoccuper que de l'effectivité d'un état de fait.
Le
bonheur est constatable dans les faits, il s'agit de le mettre en œuvre indépendamment de la normativité extérieure abstraite d'une morale transcendante.
Le bonheur, indifférent à la moralité, peut être atteint par l'homme immoral, ou plutôt amoral.
En plus de n'être pas condition suffisante à la réalisation du
bonheur, la moralité d'un homme ne saurait en être la condition nécessaire.
Le bonheur peut n'être même plus une convention socialement déterminée et
idéologiquement établi, mais simplement alors, un fait strictement relativisé à l'individu qui l'éprouve en acte, serait-il hors-morale.
D'où s'ensuit
simplement que c'est la notion même de bonheur qui peut se trouver évacuée des préoccupations éthiques de l'individu agissant en société.
Seul importe
d'être heureux.
Et la morale n'a pas ici à intervenir pour en déterminer les conditions.
*
Conclusions
-
Le moralité de l'homme n'est ni la condition nécessaire, ni a fortiori la condition suffisante du bonheur.
Le bonheur comme concept attribuable au fait
d'être heureux ne saurait concerner la morale, puisque celle-ci s'attache à la légitimité en droit.
Puisque l'effectivité du bonheur s'éprouve indépendamment d'une normativité morale transcendante, le concept de bonheur peut être aboli comme
valeur pour faire place à la préoccupation, certes éthique, pour l'être-heureux.
A ce titre, être heureux n'implique pas la moralité.
L'homme immoral peut
être heureux pour la simple raison qu'être heureux n'est pas affaire de morale..
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