L'HOMME ET LA MORALE chez SPINOZA
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L'homme n'est pour Spinoza qu'une petite partie de la nature. Il est un mode fini de la substance infinie : nous pouvons nous le représenter sous deux aspects, sous deux attributs de la substance : un corps, c'est-à-dire un tout petit fragment de l'étendue infinie, une âme, parcelle infime de la Pensée infinie. Comme tous les êtres de la nature, l'homme se propose de «persévérer dans son être», c'est-à-dire d'augmenter sa puissance. Mais n'oublions pas que ce mode fini que je suis est enserré par tous les autres modes finis, prisonnier de cette chaîne de causes et d'effets « concatenatio omnium rerum ». Nous sommes des êtres finis et faibles dans la nature et nous sommes d'abord esclaves. La joie qui exprime l'accroissement de notre pouvoir est plus rare dans la vie que la tristesse qui reflète la diminution de notre puissance, écrasée par les forces aveugles de l'univers. « Nous sommes agités de bien des façons par les causes extérieures et pareils aux flots de la mer, agités par les vents contraires nous flottons inconscients de notre destin ». Quelle morale Spinoza va-t-il proposer à cet homme pitoyable ? Puisqu'il n'a pas le libre arbitre, ce pouvoir d'initiative radicale qui, dit-on,nous fait mériter ou pécher, à quoi bon lui inculquer des obligations, le soumettre à des interdits ? Aussi bien la morale de Spinoza n'est-elle pas une morale du devoir. Spinoza ne nous demande rien que nous ne voulions déjà naturellement. Nous voulons tous être puissants, nous voulons tous être heureux, mais dans notre premier état nous n'y parvenons pas. Spinoza ne prétend pas — dans son Éthique —nous donner autre chose que la clef de la puissance et de la joie.
«
L'homme n'est pour Spinoza qu'une petite partie de la nature.
Il est un mode fini de la substance infinie : nous
pouvons nous le représenter sous deux aspects, sous deux attributs de la substance : un corps, c'est-à-dire un
tout petit fragment de l'étendue infinie, une âme, parcelle infime de la Pensée infinie.
Comme tous les êtres de la nature, l'homme se propose de «persévérer dans son être», c'est-à-dire d'augmenter sa
puissance.
Mais n'oublions pas que ce mode fini que je suis est enserré par tous les autres modes finis, prisonnier de
cette chaîne de causes et d'effets « concatenatio omnium rerum ».
Nous sommes des êtres finis et faibles dans la
nature et nous sommes d'abord esclaves.
La joie qui exprime l'accroissement de notre pouvoir est plus rare dans la
vie que la tristesse qui reflète la diminution de notre puissance, écrasée par les forces aveugles de l'univers.
« Nous
sommes agités de bien des façons par les causes extérieures et pareils aux flots de la mer, agités par les vents
contraires nous flottons inconscients de notre destin ».
Quelle morale Spinoza va-t-il proposer à cet homme pitoyable ? Puisqu'il n'a pas le libre arbitre, ce pouvoir d'initiative
radicale qui, dit-on,nous fait mériter ou pécher, à quoi bon lui inculquer des obligations, le soumettre à des interdits
? Aussi bien la morale de Spinoza n'est-elle pas une morale du devoir.
Spinoza ne nous demande rien que nous ne
voulions déjà naturellement.
Nous voulons tous être puissants, nous voulons tous être heureux, mais dans notre
premier état nous n'y parvenons pas.
Spinoza ne prétend pas — dans son Éthique —nous donner autre chose que la
clef de la puissance et de la joie.
L'homme est d'abord un esclave parce qu'il vit dans l'ignorance.
Mon corps, petit morceau d'espace, est menacé par
tous les autres fragments de l'étendue.
Mon âme qui n'est pas autre chose (à cause du parallélisme des attributs)
que l'idée de mon corps se représente donc le monde inadéquatement.
Mes représentations sont en effet mutilées,
asservies à mon corps (par exemple, je me représente nécessairement à cause de mes organes des sens, de la
position de mon corps sur la terre, le soleil comme une petite boule de feu qui tourne autour de la terre à quelques
pieds de distance).
Nous sommes donc dans un premier temps abandonnés aux erreurs des sens et au tumulte des
passions (bien nommées : puisqu'elles expriment notre passivité dans le monde).
Le seul moyen de nous libérer, d'assurer notre puissance et notre joie est d'être éclairés.
Car l'entendement lorsqu'il
connaît Dieu nous conduit au salut.
Par l'intelligence je saurai rendre à la totalité des apparences mutilées : je
comprendrai par les mathématiques que la terre tourne autour du soleil.
Si le malheur me frappe, quand j'aurai
compris que l'enchaînement des causes et des effets dans l'univers rendait ce malheur inévitable, je serai apaisé.
je
cesserai de pâtir, d'envisager mes souffrances sous l'angle borné de mon individualité pour les considérer du point de
vue de la totalité, du point de vue de la liaison de toutes choses, c'est-à-dire du point de vue de Dieu.
Par
l'entendement je me détache des limites de mon individualité bornée (omnis determinatio est negatio) pour coïncider
avec le point de vue de Dieu.
Comprendre activement ce que j'éprouvais passivement n'est-ce pas finalement trouver dans la connaissance même
des conditions de ma servitude une nouvelle forme de puissance, de liberté et de bonheur ? « Dans la mesure, dit
Spinoza où nous comprenons les causes de la tristesse, elle cesse d'être une passion, c'est-à-dire qu'elle cesse
d'être tristesse ; et par conséquent dans la mesure où nous comprenons que Dieu est cause de tristesse nous
éprouvons de la joie ».
(Éthique, V, XVIII scolie).
S'unir au principe de toutes choses par un amour qui n'est autre que l'intelligence elle-même, tel est finalement le
but du spinozisme.
C'est une tentative sublime — la plus profondément philosophique, peut-être de toutes les
philosophies : puisque le savoir et le salut y coïncident, que la connaissance et l'action y sont identifiées, que la
plénitude de l'Être et la transparence de la lumière ne font plus qu'un.
Le spinozisme est le triomphe de
l'immanentisme : il n'y a pas un au-delà de la pensée qui la viendrait limiter de l'extérieur.
Ce qui est le plus profond
dans l'être est en même temps la souveraine perfection et la parfaite intelligibilité.
Nous pouvons rappeler ici pour
finir les termes admirables d'une lettre de Bergson dont Paul Valéry donna lecture lors de la commémoration en
Sorbonne du 2500 anniversaire de là mort de Spinoza (cf.
Bergson, Écrits et Paroles, t.
III, p.
587).
« Il était réservé à Spinoza de montrer que la connaissance intérieure de la vérité coïncide avec l'acte intemporel
par lequel la vérité se pose et de nous faire sentir et éprouver notre éternité...
Nous...
redevenons spinozistes dans
une certaine mesure chaque fois que nous relisons l'Éthique parce que nous avons l'impression nette, que telle est
exactement l'altitude où le philosophe doit se placer, telle est l'atmosphère où réellement le philosophe respire.
En
ce sens on pourrait dire que tout philosophe a deux philosophies, la sienne et celle de Spinoza .».
»
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