L'homme est-il un être supérieur ?
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Selon quels critères pouvons nous trancher la question : l'homme est-il un être supérieur ? Ne faut-il pas d'emblée se garder de tout
présupposés théologiques selon lesquels l'homme serait supérieur en tant que seule créature pouvant se tourner vers son créateur et
ayant conscience de sa finitude ? Serait-ce alors sur le plan scientifique que la question doit être tranchée ? Nous verrons que l'éthologie
comparée n'implique aucune supériorité de l'homme quant à l'animal ou même au protozoaire.
Mais la supériorité ontologique n'est-elle
relative qu'à la compétence technique de l'espèce quant au problème de la survie ? Est-ce philosophiquement satisfaisant de s'en tenir à
une étude scientifique des moyens mis en œuvre pour l'adaptation ? Toutefois, adopter une perspective strictement humaniste n'est-ce
pas retomber dans l'excès inverse qui, partant du principe que l'homme est la mesure de toute choses, ne peut qu'aboutir à affirmer la
supériorité de celui-ci, en tant qu'il serait le seul individu capable de s'interroger sur l'être de l'étant ?
I-L'homme est le seul étant capable d'interrogation.
L'homme est la seule créature qui puisse faire l'épreuve de ce que la philosophie heideggérienne ou existentialiste a appelé la
déréliction, ce sentiment d'avoir été jeté dans un monde, d'y errer, d'y être comme abandonné à soi même (cf.
L'Etranger de Camus).
De
cet état de fait : l'homme prenant conscience de sa finitude (cf.
déjà Pascal), l'homme en tire un avantage, il devient capable de
s'interroger sur lui-même et sur le sens de son être-au-monde.
La déréliction s'accompagne donc d'une capacité à questionner.
Les questions humaines peuvent être religieuses, scientifiques ou philosophiques, elles interrogent de toute façon le sens d'être
des choses et du monde, et cette possibilité naît de la distance que l'homme ressent entre lui et le monde, tandis que l'animal, adapté à
son Umwelt ne s'interroge pas sur son existence ni sur le sens de son environnement.
Nul n'est besoin d'invoquer la culture humaine, la
simple faculté du langage témoigne de notre « instinct » à tout interroger, il y a chez le petit enfant un âge du « pourquoi ? ».
La relation de l'homme au monde est donc interrogée parce que vécue comme sensée ou du moins comme devant avoir un sens.
Or ni la plante ni l'animal, encore moins le monde minéral, ne sont capables d'avoir de rapport réfléchi à l'existence, de se poser comme
sujet devant un monde étranger d'objets ou d'étants autre-que-soi.
Aussi, le rapport problématisé de l'homme au monde témoigne en
faveur de la supériorité intrinsèque de l'homme sur tout les autres types d'être, parce que c'est un rapport qui ne se résume pas à la
survie mais se déplie toujours selon un sens, une épaisseur dont témoigne nos émotions et notre intelligence.
II-Le point de vue humaniste et ses limites.
Or, dire que l'homme est le seul être capable de s'interroger ne doit pas nous dispenser, précisément, d'interroger le rapport de
l'homme aux autres êtres.
Ce rapport n'est pas définitivement résolu dans l'affirmation de la supériorité intellectuelle de l'homme.
Le
problème de la perspective humaniste est qu'elle présuppose dès le départ la valeur supérieure de l'homme, en vertu de sa capacité
d'interrogation.
Quelle place pour la science dans le point de vue humaniste ? Il apparaît que celle-ci est généralement sacrifiée car soupçonnée
de réductionnisme.
Or, ne faut-il pas au moins entendre ce que la science a à nous dire, à travers une éthologie comparative, cela au
moins pour enrichir nos critères de décision quant à trancher définitivement si oui ou non l'homme est un être supérieur ?
Il faut évidemment renoncer aux perspectives pseudos scientifiques, plus théologiques que philosophiques, d'un Theillard de
Chardin qui tourne à son avantage l'évolutionnisme en faisant de l'homme l'espèce supérieure, l'aboutissement du règne animal.
Des
travaux ont montré depuis le milieu du Xxe siècle, que contrairement aux idées reçues l'homme n'est pas tant un singe amélioré
(embryologiquement parlant) qu'un singe prématuré (un bébé est embryologiquement équivalent à un singe prématuré), c'est le
phénomène de la néoténie (cf.
Tinland, La différence anthropologique).
III- L'homme n'est pas un être supérieur.
Dans L'Evolution Créatrice, Bergson à rebours des conceptions classiques héritées d'Aristote,
considère que l'homme n'est pas un individu supérieur ; l'instinct animal représentant à ses yeux une
réponse également élégante et efficace quant au problème de la vie (l'instinct réussi d'un seul coup là où
l'intelligence doit calculer et prévoir).
Ceci n'est qu'un point de départ qui nous permet de poser la
question de la relativité de la supériorité.
La plante, par exemple, ne peut-elle pas être dite supérieure
en tant qu'elle synthétise d'elle-même ses nutriments (photosynthèse) tandis que l'animal et l'homme
sont contraints de chercher leur nutriment dans la nature ?
Quel est le critère de la supériorité ? L'efficacité quant à l'obtention d'un but, l'économie de
moyen, l'ouverture au monde ? Selon ce qu'on décide ce sera l'animal et son instinct, la plante et sa
chimie ou l'homme et sa pensée qui s'avéreront être tour à tour supérieurs.
Cela doit nous conduire à
affirmer qu'aucun ne serait être dit supérieur absolument ; dans La genèse des formes vivantes, Ruyer
demande, comparant l'homme et l'amibe : « Est-il plus intelligent de marcher avec des jambes, ou de
manger avec une bouche, que de réussir à marcher ou à manger sans jambes et sans bouche, rien
qu'avec des déformations appropriées du protoplasme ? ».
Il faut nous garder pourtant de tout réductionnisme, on peut considérer l'homme comme une
amibe améliorée ou trouver des équivalents chez les abeilles ou les fourmis des sociétés humaines, il
n'en reste pas moins qu'on aura pas épuisé par ces analogies sérieuses, l'étude de l'homme.
Refuser de
porter l'homme au rang de créature supérieure ne doit pas nous conduire à lui refuser toute spécificité.
Conclusion :
L'homme n'est pas un être absolument supérieur, certes il crée, s'interroge et communique, et il est difficile de considérer
sérieusement que la vie d'une amibe est plus intéressante que celle d'un homme, mais si c'est l'homme qui décide sans réfléchir quels
seront les critères d'une supériorité possible, alors le problème est d'avance résolu.
Quant au problème général de la vie il apparaît que
l'homme n'est pas plus avantagé que le végétal ou l'animal.
Il faut autant se garder de se saisir des singularités humaines pour les ériger
en signe de supériorité intrinsèques que de condamner l'homme à une sentence peu intéressante selon laquelle il n'est qu'une espèce
parmi d'autres.
Finalement, ne doit-on pas affirmer, en dernière analyse que le rapport de l'homme à la totalité des êtres ne doit pas être
interrogée seulement dans la perspective de décider s'il est ou non un être supérieur, ne faut-il pas s'affranchir d'un problème davantage
théologique que proprement philosophique ?.
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