L'Homme doit-il se rendre maître et possesseur de la nature"?"
Extrait du document
«
[Introduction]
Les sciences et les techniques modernes confèrent à l'homme une maîtrise incomparable sur la nature.
Les progrès
en ces domaines étant cumulatifs, il paraît n'y avoir de limites que provisoires à l'appropriation du monde par
l'homme.
Cependant, la confiance en l'avenir se fait beaucoup moins triomphaliste qu'au XIXe siècle.
C'est que les
effets pervers de la technique, les menaces qu'elle fait planer sur l'avenir de l'homme et de la planète, conduisent à
s'interroger sur la valeur des relations que l'homme entretient avec la nature.
Doit-on se rendre maître et possesseur
de la nature? Sans contester les bénéfices tirés de l'industrie humaine, on s'interrogera néanmoins sur les limites
dans lesquelles il paraît souhaitable de contenir le développement.
Cela nous amène à rechercher des critères
permettant de fixer ces limites.
La détermination de ces critères est à son tour fonction de la manière dont on
conçoit le rapport de l'homme à la nature.
[I.
Nous rendre comme maître et possesseur de la nature.
» (Descartes, Discours de la méthode, vie
partie).]
[1.
Analyse de l'expression « maître et possesseur de la nature » : sciences et techniques.]
Dans la sixième partie du « Discours de la méthode » (1637),
Descartes met au jour un projet dont nous sommes les héritiers.
Il s'agit de
promouvoir une nouvelle conception de la science, de la technique et de leurs
rapports, apte à nous rendre « comme maître et possesseurs de la nature ».
Descartes n'inaugure pas seulement l'ère du mécanisme, mais aussi celle du
machinisme, de la domination technicienne du monde.
Si Descartes marque une étape essentielle dans l'histoire de la
philosophie, c'est qu'il rompt de façon radicale et essentielle avec sa
compréhension antérieure.
Dans le « Discours de la méthode », Descartes
polémique avec la philosophie de son temps et des siècles passés : la
scolastique, que l'on peut définir comme une réappropriation chrétienne de la
doctrine d'Aristote.
Plus précisément, il s'agit dans notre passage de substituer « à la
philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles » une « philosophie
pratique ».
La philosophie spéculative désigne la scolastique, qui fait
prédominer la contemplation sur l'action, le voir sur l'agir.
Aristote et la
tradition grecque faisaient de la science une activité libre et désintéressée,
n'ayant d'autre but que de comprendre le monde, d'en admirer la beauté.
La
vie active est conçue comme coupée de la vie spéculative, seule digne non
seulement des hommes, mais des dieux.
Descartes subvertit la tradition.
D'une part, il cherche des « connaissances qui soient fort utiles à la vie », d'autre part la science
cartésienne ne contemple plus les choses de la nature, mais construit des objets de connaissance.
Avec le cartésianisme, un idéal d'action, de
maîtrise s'introduit au coeur même de l'activité de connaître.
La science antique & la philosophie chrétienne étaient désintéressées ; Descartes veut, lui, une
« philosophie pratique ».
« Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices qui feraient
qu'on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais
principalement aussi pour la conservation de la santé [...] »
La nature ne se contemple plus, elle se domine.
Elle ne chante plus les louanges de Dieu, elle est offerte à
l'homme pour qu'il l'exploite et s'en rende « comme maître & possesseur ».
Or, non seulement la compréhension de la science se voit transformée, mais dans un même mouvement, celle
de la technique.
Si la science peut devenir pratique (et non plus seulement spéculative), c'est qu'elle peut
s'appliquer dans une technique.
La technique n'est plus un art, un savoir-faire, une routine, elle devient une science
appliquée.
D'une part, il s'agit de connaître les éléments « aussi distinctement que nous connaissons les métiers de nos
artisans ».
Puis « de les employer de même façon à tous les usages auxquels ils sont propres ».
Il n'est pas
indifférent que l'activité artisanale devienne le modèle de la connaissance.
On connaît comme on agit ou on
transforme, et dans un même but.
La nature désenchantée n'est plus qu'un matériau offert à l'action de l'homme,
dans son propre intérêt.
Connaître et fabriquer vont de pair.
D'autre part, il s'agit « d'inventer une infinité d'artifices » pour jouir sans aucune peine de ce que fournit la
nature.
La salut de l'homme provient de sa capacité à maîtriser et même dominer techniquement, artificiellement la
nature..
»
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