L'homme doit-il laisser libre cours à ses passions ?
Extrait du document
«
[Les passions caractérisent la nature humaine et expliquent
pourquoi l'homme, s'étant élevé au-dessus de l'animalité,
a accompli autant de chemin.
Sans elles,
il cesse d'être humain.]
L'éveil de la raison explique l'éveil des passions
«Une propriété de dit Kant, consiste à pouvoir, avec l'appui de l'imagination, créer artificiellement des désirs»(C onjectures sur les débuts de l'histoire
humaine).
Voilà l'origine des passions: non plus obéir aux simples impulsions de la nature, mais désirer avec ardeur ce que conçoit, à l'aide de
l'imagination, notre esprit.
Les passions mobilisent la volonté
Si l'homme n'avait eu qu'à satisfaire ses besoins naturels, il ne se serait jamais donné la peine, non seulement d'améliorer sa condition, mais encore
de comprendre l'univers qui l'entoure, de bâtir des cathédrales, de conquérir la lune.
C e sont les passions qui donnent aux hommes le goût de se
surpasser.
Les passions, moteurs de l'histoire
Lorsque nous considérons ce spectacle des passions et les conséquences de leur déchaînement,
lorsque nous voyons la déraison s'associer non seulement aux passions, mais aussi et surtout aux
bonnes intentions et aux fins légitimes, lorsque l'histoire nous met devant les yeux le mal, l'iniquité, la
ruine des empires les plus florissants qu'ait produits le génie humain, lorsque nous entendons avec
pitié les lamentations sans nom des individus, nous ne pouvons qu'être remplis de tristesse à la pensée
de la caducité en général.
Et étant donné que ces ruines ne sont pas seulement l'oeuvre de la nature,
mais encore de la volonté humaine, le spectacle de l'histoire risque à la fin de provoquer une affliction
morale et une révolte de l'esprit du bien, si tant est qu'un tel esprit existe en nous.
On peut transformer
ce bilan en un tableau des plus terrifiants, sans aucune exagération oratoire, rien qu'en relatant avec
exactitude les malheurs infligés à la vertu, l'innocence, aux peuples et aux Etats et à leurs plus beaux
échantillons.
On en arrive à une douleur profonde, inconsolable que rien ne saurait apaiser.
Pour la
rendre supportable ou pour nous arracher à son emprise, nous nous disons: Il en a été ainsi; c'est le
destin; on n'y peut rien changer; et fuyant la tristesse de cette douloureuse réflexion, nous nous retirons
dans nos affaires, nos buts et nos intérêts présents, bref, dans l'égoïsme qui, sur la rive tranquille, jouit
en sûreté du spectacle lointain de la masse confuse des ruines.
»
HEGEL
« Les inclinations et les passions ont pour contenu les mêmes déterminations que les sentiments pratiques et, d'un côté, elles ont également
pour base la nature rationnelle de l'esprit, mais, d'un autre côté, en tant qu'elles relèvent de la volonté encore subjective, singulière, elles sont
affectées de contingence et il apparaît que, en tant qu'elles sont particulières, elles se comportent, par rapport à l'individu comme entre elles,
de façon extérieure et, par conséquent, selon une nécessité non-libre.
La passion contient dans sa détermination d'être limitée à une particularité de la détermination-volitive, particularité dans laquelle se noie
l'entière subjectivité de l'individu, quelle que puisse être d'ailleurs la teneur de la détermination qu'on vient d'évoquer.
Mais, en raison de ce
caractère formel, la passion n'est ni bonne ni méchante ; cette forme exprime simplement le fait qu'un sujet a situé tout l'intérêt vivant de son
esprit, de son talent, de son caractère, de sa jouissance, dans un certain contenu.
Rien de grand ne s'est accompli sans passion ni ne peut
s'accomplir sans elle.
C'est seulement une moralité inerte, voire trop souvent hypocrite, qui se déchaîne contre la forme de la passion comme
telle.
[...] La question de savoir qu'elles sont les inclinations bonnes, rationnelles, et quelle est leur subordination, se transforme en l'exposé des
rapports que produit l'esprit en se développant lui-même comme esprit objectif.
Développement où le contenu de l'ipso-détermination [C ette
expression spécifie que l'esprit se réalise et se détermine lui-même selon des lois rationnelles] perd sa contingence ou son arbitraire.
Le traité
des tendances, des inclinations et des passions selon leur véritable teneur est donc essentiellement la doctrine des devoirs dans l'ordre du
droit, de la morale et des bonnes moeurs.
»
HEGEL.
Hegel met ici en évidence la contradiction apparemment inhérente aux passions : elles semblent à la fois provenir de l'individu lui-même qui
vise ses intérêts particuliers, et obéir à un ordre rationnel et général, extérieur à l'individu et même contraire à ses intérêts.
Un tel paradoxe
soulève la question de la liberté ou de la détermination de nos comportements.
C e problème, ici posé, est également examiné sous l'angle du
sens de l'Histoire.
Auparavant, Hegel écarte toute approche purement moralisante des passions (en termes de bien ou de mal), mais en dégage la fonction
éminemment positive.
Il reprend à cet effet la formule d'Helvétius : « Rien de grand...
».
Indépendamment de toute considération éthique, l'auteur
établit la nécessité des passions en tant que moteur de l'action.
« Dans l'histoire universelle nous avons affaire à l'Idée telle qu'elle se manifeste dans l'élément de la volonté et de la liberté humaines.
Ici la
volonté est la base abstraite de la liberté, mais le produit qui en résulte forme l'existence éthique du peuple.
Le premier principe est constitué
par les passions humaines.
Les deux ensemble forment la trame et le fil de l'histoire universelle.
L'Idée en tant que telle est la réalité ; les
passions sont le bras avec lequel elle gouverne [...]
Ici ou là, les hommes défendent leurs buts particuliers contre le droit général ; ils agissent librement.
Mais ce qui constitue le fondement
général, l'élément substantiel, le droit n'en est pas troublé.
Il en va de même pour l'ordre du monde.
Ses éléments sont d'une part les passions,
de l'autre la Raison.
Les passions constituent l'élément actif.
Elles ne sont pas toujours opposées à l'ordre éthique ; bien au contraire, elles
réalisent l'Universel.
En ce qui concerne la morale des passions il est évident qu'elles n'aspirent qu'à leur propre intérêt.
De ce côté-ci, elles
apparaissent comme égoïstes et mauvaises.
Or ce qui est actif est toujours individuel : dans l'action je suis moi-même, c'est mon propre but
que je cherche à accomplir.
Mais ce but peut être bon, et même universel.
L'intérêt peut être tout à fait particulier mais il ne s'ensuit pas qu'il
soit opposé à l'Universel.
L'Universel doit se réaliser par le particulier.
La passion est tenue pour une chose qui n'est pas bonne, qui est plus ou moins mauvaise : l'homme ne doit pas avoir des passions.
Mais
passion n'est pas tout à fait le mot qui convient pour ce que je veux désigner ici.
Pour moi, l'activité humaine en général dérive d'intérêts
particuliers, de fins spéciales ou, si l'on veut, d'intentions égoïstes, en ce sens que l'homme met toute l'énergie de son vouloir et de son
caractère au service de ces buts en leur sacrifiant tout le reste.
C e contenu particulier coïncide avec la volonté de l'homme au point qu'il en
constitue toute la détermination et en est inséparable : c'est là qu'il est ce qu'il est.
Car l'individu est un « existant » ; ce n'est pas l' « homme.
»
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