L'historien peut-il être objectif ?
Extrait du document
«
Termes du sujet:
ÊTRE: Du latin esse, « être ».
1) Verbe : exister, se trouver là.
En logique, copule exprimant la relation qui unit le prédicat au sujet (exemple :
l'homme est mortel).
2) Nom : ce qui est, l'étant.
3) Le fait d'être (par opposition à ce qui est, l'étant).
4) Ce qu'est
une chose, son essence (exemple : l'être de l'homme).
5) Avec une majuscule (l'Être), l'être absolu, l'être parfait,
Dieu.
OBJECTIF / OBJECTIVITE: Caractère de ce qui existe indépendamment de la conscience.
Caractère de ce qui
est établi sans aucun jugement de valeur.
Dans le domaine de la connaissance, l'objectivité est réalisée quand
l'esprit constitue un objet de pensée pouvant en droit faire l'accord des esprits (universalité).
En ce sens, la notion
est synonyme de rationalité.
Opposée à la subjectivité, elle requiert l'impartialité du sujet connaissant et exige la
mise en oeuvre de procédures d'observation et d'expérimentation garantissant la validité des opérations relevant de
l'investigation scientifique dont l'objectivité ne sera précisément méritée qu'à ce prix.
HISTOIRE: Ce mot désigne soit le devenir, l'évolution des individus et des sociétés (allemand Geschichte), soit
l'étude scientifique de ce devenir (allemand Historie).
Comme toutes les sciences, l'histoire devrait pouvoir être objective, c'est-à-dire présenter des conclusions
indiscutables et impartiales.
L'histoire ne devrait pas, si elle prétend être rigoureuse, dépendre de la subjectivité de
celui qui l'écrit, c'est-à-dire de l'historien.
Et cependant, l'histoire, comme la sociologie, l'anthropologie ou la
philosophie, est une science «humaine», ce qui signifie qu'elle étudie l'un des aspects de l'existence des hommes
(leur passé).
Du même coup, on peut dire que l'objet de l'histoire n'est pas un objet au sens strict mais un sujet
(c'est l'homme, qui est un sujet pensant ou une conscience, comme l'a montré Descartes).
1.
Les difficultés de l'objectivité historique.
Beaucoup de penseurs d'aujourd'hui ne croient plus que l'idéal d'objectivité impassible dont les positivistes avaient
rêvé, que Fénelon lui-même prônait jadis (« Le bon historien n'est d'aucun temps ni d'aucun pays ») soit réalisable.
Dans toute la masse des faits du passé que nous pouvons reconstruire à partir de leurs traces, il nous faut faire un
choix.
Mais comment distinguer le fait historique, le fait important du fait non historique insignifiant ? Seignobos
disait que l'on juge de l'importance d'un fait à ses conséquences mais celles-ci à son tour ne seront-elles pas
appréciées subjectivement par l'historien? On connaît la boutade de Valéry.
La découverte des propriétés fébrifuges
de l'écorce de quinquina au XVII ième serait plus importante que tel traité signé par Louis XIV parce les
conséquences de ce traité sont aujourd'hui effacées tandis que « les régions paludéennes du globe sont de plus en
plus visitées...
et que la quinine fut peut-être indispensable à la prospection et à l'occupation de toute la terre qui
est à mes yeux le fait dominant de notre siècle » (« Variété IV »).
Ce qu'il faut retenir de la boutade de Valéry, c'est
qu'il n'y a pas en histoire de signification absolument « objective » d'un fait et que c'est en fonction du présent que
nous donnons à tel ou tel fait passé une signification et une valeur.
Nous autres, hommes du XX ième, nous sommes
surtout attentifs dans le passé aux faits économiques, tandis que par exemple les chroniqueurs du moyen âge
voyaient d'abord les faits religieux (le récit du moindre « miracle » était pour eux essentiel).
Aucun historien,
prétend-on communément aujourd'hui, ne peut échapper à sa subjectivité.
Michelet, pour écrire son « Histoire de
France », voulait oublier l'époque contemporaine, s'interdisait de lire le journal, s'enfermait toute la journée aux
Archives.
Cela ne l'a pas empêché d'écrire une histoire à la fois jacobine et romantique, une « épopée lyrique » de la
France.
Il a projeté dans son oeuvre des valeurs sentimentales, des partialités politiques, si bien qu'on a pu dire que
« l'histoire de France de Michelet nous apprend plus de choses sur Michelet lui-même que sur la France » !
Raymond Aron a bien mis en lumière la subjectivité de la connaissance historique.
Pour lui, la réalité historique est «
équivoque et inépuisable ».
Valéry dit que l'histoire « justifie ce que l'on veut ».
Dans sa richesse hétéroclite, il y a
toujours de quoi justifier n'importe quelle position a priori de l'historien.
L'historien se projette dans l'histoire avec ses
valeurs et ses passions.
Il ne saurait survoler l'histoire, la constituer du point de vue de Sirius, car il est homme luimême, il vit dans l'histoire, il appartient à une époque, à un pays, à une classe sociale.
Il est lui-même prisonnier du
cours de l'histoire.
L'histoire science (l' « Historie » disent les Allemands) est un acte de l'historien et cet acte luimême un événement historique, il appartient à la réalité historique (« Geschichte »).
C'est pourquoi toute science
historique, elle-même moment de l'histoire, serait condamnée à une relativité, à une subjectivité irrémédiable : « La
conscience de l'histoire est une conscience dans l'histoire.
»
Ceci exclut toute possibilité de tirer de l'histoire des « leçons ».
Car l'historien ne tire pas sa philosophie ou sa
morale de ses connaissances historiques.
Tout au contraire il constitue sa vision de l'histoire à partir de
perspectives philosophiques, morales politiques qui la précèdent et se projettent en elle.
Il en est de l'histoire
comme de la mémoire individuelle ; c'est à partir des « visées », des projets présents –dirigés vers l'avenir- que les
individus et les peuples reconstituent leur passé.
L'histoire subjective serait donc inévitable- et par là même, osaient
dire les historiens allemands au temps du nazisme, légitime.
« Chaque génération se forme sa propre conception
historique selon ses nécessités nationales.
»
Cet antirationalisme, d'ailleurs, est lui-même un fait historique.
Il reflète l'époque troublée qui est la nôtre.
Le XIX
ième pouvait se permettre un idéal d'objectivité parce que, malgré la révolution de 1848 et la guerre de 1870, ce fut
un siècle relativement stable.
Comme l'écrit P.
H.
Simon : « Entre le canon de Waterloo et celui de Charleroi,
l'Europe a connu 99 ans de paix relative.
» Au contraire, notre siècle est beaucoup trop historique pour se permettre
d'être objectivement historien.
Le mot histoire aurait communément évoqué, il y a cent ans, dans un test associatif,
les mots archives, documents, bibliothèque, tandis que pour nous il évoquerait : révolution, torture, bombes
atomiques.
On comprend dès lors que Marrou puisse écrire : « L'histoire est la réponse...
à une question que pose.
»
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