L'histoire : questions de méthode ?
Extrait du document
«
La question de l'objectivité en histoire
Fénelon, dans une définition célèbre, a proposé un idéal évidemment inaccessible : «le bon historien, disait-il, n'est
d'aucun temps ni d'aucun pays» (Lettre à l'Académie, 1714).
Il est assurément certain que l'historien est toujours tributaire, peu ou prou, des préoccupations de son époque,
voire des préjugés propres à son milieu.
Lorsque nous lisons les historiens romains de l'époque impériale (Tacite,
notamment), nous sommes tenus de nous souvenir que ceux-ci étaient étroitement liés à la caste sénatoriale,
jalouse de ses privilèges et peu sensible aux aspirations populaires.
Autre exemple : les historiens de la Révolution
française ont régulièrement fait valoir des intérêts conjoncturels dans les études qu'ils ont consacrées à cet
immense événement (au lendemain de la révolution russe, Albert Mathiez pense indéniablement à Lénine lorsqu'il
étudie Robespierre, dont il réhabilite la figure ; plus récemment, le succès de l'idéologie des «droits de l'homme»
n'est pas étranger au «retour à 89», c'est-à-dire au dénigrement de la Terreur de 1793, que proposent les ouvrages
de François Furet).
Beaucoup de penseurs d'aujourd'hui ne croient plus que l'idéal d'objectivité impassible dont les positivistes avaient
rêvé, que Fénelon lui-même prônait jadis (« Le bon historien n'est d'aucun temps ni d'aucun pays ») soit réalisable.
Dans toute la masse des faits du passé que nous pouvons reconstruire à partir de leurs traces, il nous faut faire un
choix.
Mais comment distinguer le fait historique, le fait important du fait non historique insignifiant ? Seignobos
disait que l'on juge de l'importance d'un fait à ses conséquences mais celles-ci à son tour ne seront-elles pas
appréciées subjectivement par l'historien? On connaît la boutade de Valéry.
La découverte des propriétés
fébrifuges de l'écorce de quinquina au XVII ième serait plus importante que tel traité signé par Louis XIV parce les
conséquences de ce traité sont aujourd'hui effacées tandis que « les régions paludéennes du globe sont de plus en
plus visitées… et que la quinine fut peut-être indispensable à la prospection et à l'occupation de toute la terre qui
est à mes yeux le fait dominant de notre siècle » (« Variété IV »).
Ce qu'il faut retenir de la boutade de Valéry,
c'est qu'il n'y a pas en histoire de signification absolument « objective » d'un fait et que c'est en fonction du
présent que nous donnons à tel ou tel fait passé une signification et une valeur.
Nous autres, hommes du XX ième,
nous sommes surtout attentifs dans le passé aux faits économiques, tandis que par exemple les chroniqueurs du
moyen âge voyaient d'abord les faits religieux (le récit du moindre « miracle » était pour eux essentiel).
Aucun
historien, prétend-on communément aujourd'hui, ne peut échapper à sa subjectivité.
Michelet, pour écrire son
« Histoire de France », voulait oublier l'époque contemporaine, s'interdisait de lire le journal, s'enfermait toute la
journée aux Archives.
Cela ne l'a pas empêché d'écrire une histoire à la fois jacobine et romantique, une « épopée
lyrique » de la France.
Il a projeté dans son œuvre des valeurs sentimentales, des partialités politiques, si bien qu'on
a pu dire que « l'histoire de France de Michelet nous apprend plus de choses sur Michelet lui-même que sur la
France » !
Raymond Aron a bien mis en lumière la subjectivité de la connaissance historique.
Pour lui, la réalité
historique est « équivoque et inépuisable ».
Valéry dit que l'histoire « justifie ce que l'on veut ».
Dans sa richesse
hétéroclite, il y a toujours de quoi justifier n'importe quelle position a priori de l'historien.
L'historien se projette dans
l'histoire avec ses valeurs et ses passions.
Il ne saurait survoler l'histoire, la constituer du point de vue de Sirius, car
il est homme lui-même, il vit dans l'histoire, il appartient à une époque, à un pays, à une classe sociale.
Il est luimême prisonnier du cours de l'histoire.
L'histoire science (l' « Historie » disent les Allemands) est un acte de
l'historien et cet acte lui-même un événement historique, il appartient à la réalité historique (« Geschichte »).
C'est
pourquoi toute science historique, elle-même moment de l'histoire, serait condamnée à une relativité, à une
subjectivité irrémédiable : « La conscience de l'histoire est une conscience dans l'histoire.
»
Ceci exclut toute possibilité de tirer de l'histoire des « leçons ».
Car l'historien ne tire pas sa philosophie ou sa
morale de ses connaissances historiques.
Tout au contraire il constitue sa vision de l'histoire à partir de
perspectives philosophiques, morales politiques qui la précèdent et se projettent en elle.
Il en est de l'histoire
comme de la mémoire individuelle ; c'est à partir des « visées », des projets présents –dirigés vers l'avenir- que les
individus et les peuples reconstituent leur passé.
L'histoire subjective serait donc inévitable- et par là même, osaient
dire les historiens allemands au temps du nazisme, légitime.
« Chaque génération se forme sa propre conception
historique selon ses nécessités nationales.
»
Cet antirationalisme, d'ailleurs, est lui-même un fait historique.
Il reflète l'époque troublée qui est la nôtre.
Le
XIX ième pouvait se permettre un idéal d'objectivité parce que, malgré la révolution de 1848 et la guerre de 1870,
ce fut un siècle relativement stable.
Comme l'écrit P.
H.
Simon : « Entre le canon de Waterloo et celui de
Charleroi, l'Europe a connu 99 ans de paix relative.
» Au contraire, notre siècle est beaucoup trop historique pour se
permettre d'être objectivement historien.
Le mot histoire aurait communément évoqué, il y a cent ans, dans un test
associatif, les mots archives, documents, bibliothèque, tandis que pour nous il évoquerait : révolution, torture,
bombes atomiques.
On comprend dès lors que Marrou puisse écrire : « L'histoire est la réponse… à une question
que pose au passé mystérieux la curiosité, l'inquiétude, certains diront l'angoisse existentielle.
»
Mais sans vouloir minimiser cette découverte contemporaine de la subjectivité historique, il nous reste à
l'interpréter.
Loin d'en tirer parti pour rejeter l'idéal d'objectivité rationnelle formulé (en termes peut-être trop
étroits) par Langlois et Seignobos, nous la mettrions volontiers au service de l'idéal rationaliste.
La prise de
conscience des difficultés extrêmes de l'objectivité en histoire est pour l'historien une invitation à redoubler de
précautions, une mise en garde contre lui-même.
La prise de conscience de la subjectivité peut alors être
considérée comme un moment dans la conquête de l'objectivité.
Si Langlois & Seignobos n'ont pas soupçonné
toutes les difficultés de la tâche, n'ont pas reconnu tous les pièges de l'irrationnel, nous ne dirons pas qu'ils furent
trop rationalistes mais qu'ils ne le furent pas assez.
Et si toute perspective historique (comme chacune des.
»
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