L'histoire peut-elle être contemporaine ?
Extrait du document
«
Termes du sujet:
HISTOIRE: Ce mot désigne soit le devenir, l'évolution des individus et des sociétés (allemand Geschichte), soit
l'étude scientifique de ce devenir (allemand Historie).
L'histoire est la connaissance du passé humain.
« Contemporain » signifie « qui est de notre temps présent ».
Il y
a donc un paradoxe évident à parler d'histoire contemporaine.
Est-il possible, toutefois, pour l'histoire, de prendre
comme objet d'étude ce qui est de notre temps ? Tel est le sens du sujet.
L'histoire se veut objective, quasi-scientifique.
De ce point de vue, l'historien n'a pas suffisamment de recul pour
analyser les événements de son temps, ses préoccupations, il risque fort de faire preuve de subjectivité.
Beaucoup
de penseurs d'aujourd'hui ne croient plus que l'idéal d'objectivité impassible dont les positivistes avaient rêvé, que
Fénelon lui-même prônait jadis (« Le bon historien n'est d'aucun temps ni d'aucun pays ») soit réalisable.
Dans toute
la masse des faits du passé que nous pouvons reconstruire à partir de leurs traces, il nous faut faire un choix.
Mais
comment distinguer le fait historique, le fait important du fait non historique insignifiant ? Seignobos disait que l'on
juge de l'importance d'un fait à ses conséquences mais celles-ci à son tour ne seront-elles pas appréciées
subjectivement par l'historien? On connaît la boutade de Valéry.
La découverte des propriétés fébrifuges de l'écorce
de quinquina au XVII ième serait plus importante que tel traité signé par Louis XIV parce les conséquences de ce
traité sont aujourd'hui effacées tandis que « les régions paludéennes du globe sont de plus en plus visitées...
et que
la quinine fut peut-être indispensable à la prospection et à l'occupation de toute la terre qui est à mes yeux le fait
dominant de notre siècle » (« Variété IV »).
Ce qu'il faut retenir de la boutade de Valéry, c'est qu'il n'y a pas en
histoire de signification absolument « objective » d'un fait et que c'est en fonction du présent que nous donnons à
tel ou tel fait passé une signification et une valeur.
Nous autres, hommes du XX ième, nous sommes surtout
attentifs dans le passé aux faits économiques, tandis que par exemple les chroniqueurs du moyen âge voyaient
d'abord les faits religieux (le récit du moindre « miracle » était pour eux essentiel).
Aucun historien, prétend-on
communément aujourd'hui, ne peut échapper à sa subjectivité.
Michelet, pour écrire son « Histoire de France »,
voulait oublier l'époque contemporaine, s'interdisait de lire le journal, s'enfermait toute la journée aux Archives.
Cela
ne l'a pas empêché d'écrire une histoire à la fois jacobine et romantique, une « épopée lyrique » de la France.
Il a
projeté dans son oeuvre des valeurs sentimentales, des partialités politiques, si bien qu'on a pu dire que « l'histoire
de France de Michelet nous apprend plus de choses sur Michelet lui-même que sur la France » !
Raymond Aron a bien mis en lumière la subjectivité de la connaissance historique.
Pour lui, la réalité historique est «
équivoque et inépuisable ».
Valéry dit que l'histoire « justifie ce que l'on veut ».
Dans sa richesse hétéroclite, il y a
toujours de quoi justifier n'importe quelle position a priori de l'historien.
L'historien se projette dans l'histoire avec ses
valeurs et ses passions.
Il ne saurait survoler l'histoire, la constituer du point de vue de Sirius, car il est homme luimême, il vit dans l'histoire, il appartient à une époque, à un pays, à une classe sociale.
Il est lui-même prisonnier du
cours de l'histoire.
L'histoire science (l' « Historie » disent les Allemands) est un acte de l'historien et cet acte luimême un événement historique, il appartient à la réalité historique (« Geschichte »).
C'est pourquoi toute science
historique, elle-même moment de l'histoire, serait condamnée à une relativité, à une subjectivité irrémédiable : « La
conscience de l'histoire est une conscience dans l'histoire.
» Ne faut-il pas, alors, laisser le soin aux journalistes et
aux médias de nous relater au quotidien pour coller à l'événement(iel) ? Non, car même si l'historien ne peut faire
oeuvre scientifique, il peut, grâce à sa connaissance du passé, enrichir le débat sur des phénomènes sociaux
présents (le racisme par exemple) ou des événements (en ex-Yougoslavie), en dégageant des constantes.
Ainsi les
hommes pourront tirer des leçons de l'histoire.
• Il n'est pas rare que l'acteur ou même le spectateur d'un événement ait le sentiment de vivre un « moment
historique » — soit une situation appelée à s'inscrire durablement dans la mémoire collective parce qu'elle aura eu un
rôle déterminant dans l'évolution des choses.
Mais peut-on décrire immédiatement un tel moment ? Peut-on, non
seulement le décrire, mais encore en déceler les origines, en deviner les aboutissements ? Cela semble évidemment
difficile — et c'est pourtant ce que prétendrait faire une histoire du contemporain.
Cette dernière est-elle
envisageable ?
• Il est clair qu'en général la notion d'histoire paraît impliquer une référence immédiate, pour ainsi dire obligatoire, au
passé.
Par définition, le récit historique se veut connaissance de ce dernier, si reculé soit-il- et il semble exiger pour
se constituer un certain délai par rapport aux événements.
• Ce délai a pour objectif d'effectuer d'abord un choix dans ce qui a eu lieu : il s'agit, en histoire, non de
reconstituer intégralement un ensemble d'événements (tâche d'ailleurs impossible), mais bien de ne retenir de cet
ensemble que les événements de poids ou significatifs — c'est-à-dire ceux qui ne peuvent être jugés tels qu'après
coup, à distance, parce que leurs conséquences sont apparues.
• En second lieu, l'étude historique suppose une recherche de causalité : raconter par simple juxtaposition ne suffit
pas, il faut expliquer pourquoi telle décision a été prise, quels sont les facteurs déterminants qui ont provoqué un
conflit, etc.
Cette quête d'un (ou de plusieurs) déterminisme(s) suppose, non une stricte répétition des phénomènes
— et c'est bien pourquoi l'histoire ne peut pas être tout à fait une science comme les autres — mais au minimum la
considération d'une durée suffisante pour qu'une relation de cause à effet puisse être intellectuellement construite.
Le récit historique cherche, non une énumération de faits, mais leur intelligibilité.
• A priori, le contemporain semble interdire aussi bien la sélection du significatif que le repérage de la causalité.
Relativement à ce qui a lieu maintenant, l'esprit est toujours dans la position de Fabrice à Waterloo : ce qui compte
(ce qui apparaîtra plus tard comme ayant compté) peut lui échapper tandis qu'il risque d'être aveuglé par des
phénomènes qui ne sont que des détails sans grande portée, des anecdotes sans réel avenir.
• Il n'en reste pas moins que le contemporain se présente comme exigeant en quelque sorte à la fois sa mise en
mémoire et son éclaircissement.
Et c'est bien en s'intéressant à des événements, soit contemporains, soit d'un
passé très proche, que l'histoire a pris naissance, sous l'aspect de l'enquête (puisque c'est son premier sens) telle.
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