L'histoire n'est pas le lieu de la félicité; les périodes de bonheur y sont des pages blanches. Hegel laisse-t-il entendre par là que les peuples heureux n'ont pas d'histoire ?
Extrait du document
«
DIRECTIONS DE RECHERCHE
• Bien déterminer s'il s'agit d' « histoire » au sens de recherche historique, d'historiographie {Historié en allemand) ou
d'histoire au sens de la « réalité historique » (Geschichte en allemand).
Dans le cas où l'on retiendrait ces deux sens : d'une part bien les distinguer; d'autre part rechercher lequel de ces
deux sens serait le plus significatif quant au sujet proposé.
• L'histoire comme non-lieu du bonheur.
Voir notamment Leçons sur la philosophie de l'histoire de Hegel (Vrin), p.
100 : « Les pages de bonheur sont, dans
l'histoire, des pages blanches.
»
• Il est sans doute plus facile de commencer la réflexion sur les « implicites » du sujet en partant d'une interrogation
sur la conception de l'histoire incluse dans la citation.
On peut en particulier commencer par se demander ce qui,
dans ce qu'on appelle « l'histoire » (selon ses différentes conceptions et ses différents « domaines »), peut être lié
ou non à la question du bonheur.
• Ne pas manquer, en retour, de tenter de délimiter la conception du bonheur impliquée dans cette maxime; ce qui
conduira à un nouvel affinement de la réflexion engagée pour « l'histoire ».
• Ces différentes délimitations (mettant par là même en évidence d'autres appréhensions de l'histoire et du bonheur)
devraient permettre de « discuter » de façon quelque peu fondée non la maxime elle-même mais « la conception de
l'histoire et du bonheur impliquée par cette maxime ».
A entendre Hegel, histoire et bonheur ne peuvent coexister.
Plus précisément, pour épouser la métaphore de la page
blanche qu'il nous donne, le bonheur ne laisse aucune trace dans l'histoire, il n'écrit rien qui vaille la peine de figurer
dans les chroniques et les annales.
Le bonheur est sans histoire et l'histoire n'a que faire du bonheur.
Les peuples
heureux, on le sait, n'ont pas d'histoire.
Mais d'abord de quelle histoire est-il ici question ? Ou plutôt, sur quelle
conception de l'histoire repose le sujet qui nous est proposé ? Sur celle de Hegel.
C'est donc par elle que nous allons
commencer en restituant pour ainsi dire le sujet à son propre contexte afin de mieux l'étudier.
Cette tâche va
constituer l'essentiel de notre travail.
Il va s'agir ensuite de comprendre en quels sens on peut parler de peuples
sans histoire.
Enfin, nous nous interrogerons sur les liens qui aujourd'hui se tissent entre l'histoire, la paix, la guerre
et le bonheur des peuples.
Au début de ses Leçons sur la philosophie de l'histoire), Hegel annonce que c'est de « l'histoire philosophique » dont
il traite et non de « l'histoire originale » ou de « l'histoire réfléchie ou réfléchissante ».
Caractérisons brièvement ces
deux dernières manières d'écrire l'histoire.
Les noms donnés par Hegel pour illustrer l'histoire originale montrent
clairement qu'il remonte à la source ou à l'origine de l'histoire : il s'agit, par exemple, d'Hérodote, de Thucydide ou de
Polybe.
Ces historiens ont recueilli les hauts faits dont ils ont été les témoins.
Ils vivaient « im Geiste der Sache »
(dans l'esprit de la chose en question) (trad.
fr.
légèrement modifiée, p.
26, coll.
10/18).
Entre eux et les
événements qu'ils racontent règne la plus parfaite harmonie d'esprit.
Il faut noter en toute rigueur que les historiens
de ce type ne se trouvent pas uniquement dans l'Antiquité même si c'est à Rome, et surtout en Grèce qu'ils ont été
les plus remarquables.
L'histoire réfléchie (ou réfléchissante) concerne les historiens professionnels.
« Il s'agit d'une
forme d'histoire qui dépasse le présent dans lequel vit l'historien et qui traite le passé le plus reculé comme présent
en esprit » (id., ibid., p.
29 trad.
légèrement mod.).
Hegel distingue plusieurs subdivisions dans cette manière
d'écrire l'histoire, mais nous ne pouvons ici les examiner en détail car cela nous éloignerait par trop de notre sujet.
Quel est maintenant le point de vue de l'histoire philosophique du monde ? Celui de l'Esprit répond Hegel.
Essayons
de comprendre quelle est la dimension d'une telle histoire.
Avant tout voyons sur quelle hypothèse ou plutôt sur
quelle présupposition (Voraussetzung) repose-t-elle.
Sur celle-ci : « La raison gouverne le monde », ce qui implique
que « l'histoire du monde s'est donc elle aussi déroulée rationnellement » (p.
47).
Cette affirmation ne revêt l'aspect
d'une présupposition que pour l'histoire car pour ce qui est de la philosophie, elle y est démontrée.
Au nom de la
raison qui gouverne le monde, Hegel renvoie dos à dos ce qui est contingent et ce qui n'est qu'extérieurement
nécessaire.
Ainsi « l'histoire du monde n'est que la manifestation de cette raison unique, une des figures dans
laquelle elle se révèle, une image de l'orignal qui se présente dans un élément particulier, les peuples » (p.
49, trad.
mod.).
L'histoire philosophique qui parle de « l'Esprit du monde » possède trois grandes catégories.
Le changement
(Veränderung), le rajeunissement (Verjüngung) et enfin la raison (Vernunft) elle-même.
Il faut bien comprendre que
si l'Esprit particulier d'un peuple peut aller jusqu'à disparaître, il n'en va pas de même avec l'Esprit du monde dont il
constitue l'une des figures et l'une des étapes.
Quant à l'activité de l'Esprit, elle se caractérise d'une triple façon : «
la sortie hors de l'immédiateté, la négation de celle-ci et par là le retour en soi » (p.
78, trad.
mod.).
Ce mouvement
à trois temps est propre à la dialectique hégélienne.
La dialectique n'est point une manière particulière de raisonner, mais le mouvement même de la raison.
Elle connaît
trois moments : le moment immédiat (ou abstrait) qui est celui de la position, le moment proprement dialectique qui
est celui où s'accomplit le « travail du négatif (négation) et le moment spéculatif ou concret qui est celui de la
négation de la négation.
C'est le moment du retour à soi après la perte ou plutôt l'aliénation du second moment.
Ce
devenir autre apparaît comme la médiation nécessaire vers le retour à soi.
Le moment spéculatif (speculum : miroir)
est le plus riche en déterminations ; c'est celui de l'apaisement, de la réconciliation ou satisfaction (Befriedigung).
Si
« tout ce qui nous entoure peut être considéré comme un exemple du dialectique » (Hegel, La Science de la
Logique, Vrin, p.
514), le plus bel exemple demeure aux yeux de Hegel celui de la Trinité.
La dialectique parle en une
suite de propositions spéculatives.
Pour savoir de quoi il s'agit, souvenons-nous qu'une proposition consiste
d'ordinaire dans l'adjonction externe d'un prédicat (ou attribut) à un sujet.
Par exemple le ciel est bleu.
La
proposition spéculative est essentiellement mouvement, mouvement du sujet vers le prédicat, mais aussi « choc en
retour » du prédicat sur le sujet tel que ce dernier devienne autre puisque son essence est à présent le prédicat.
L'histoire, telle qu'elle s'inscrit au sein de la dimension dialectique ne relève plus de l'historien mais bel et bien du.
»
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