L'histoire n'est-elle que le récit des faits tels qu'ils se sont passés ?
Extrait du document
«
introduction
a) A première vue, si l'on veut que l'histoire ne reste pas, comme elle l'a souvent été, leçon de morale, somme
d'anecdotes distrayantes, «belles histoires» plus ou moins imaginaires, récit d'aventures merveilleuses, si l'on veut
qu'elle devienne une science, une connaissance objective,
il est nécessaire qu'elle soit «le simple récit des faits, tels qu'ils se sont passés ».
b) le problème.
Une telle conception de l'histoire, si naturelle qu'elle puisse paraître au premier abord, est-elle
cependant possible ? Quelle histoire expose l'historien qui décide de faire abstraction de toute théorie et de toute
philosophie de l'histoire pour « laisser parler les faits » ?
Peut-il vraiment tenir cette position ? Autrement dit, il faut se demander si l'histoire peut réellement n'être que le
simple récit des faits, tels qu'ils se sont passés.
1) établir les faits historiques
a) La critique historique, méthode scientifique
• Tout d'abord, pour parvenir à une connaissance vraie des faits qu'il étudie, l'historien professionnel soumet les
documents sur lesquels il travaille à une « critique historique » qui permet d'en apprécier la valeur de vérité.
On distingue ainsi :
— La critique «externe» (qui porte sur l'intégrité et l'authenticité du document : l'historien doit par exemple s'assurer
qu'il n'est pas en présence d'un «faux», d'une contrefaçon, etc.) ;
— la critique «interne» (sincérité du contenu des documents problème de concordance entre les sources,
vraisemblance des témoignages, etc.).
b) Positivisme historique et refus de la philosophie
• Héritiers du positivisme, certains historiens ont tenté d'exclure toute philosophie comme toute théorie explicative,
et de ne considérer comme histoire scientifique que les résultats des méthodes qui permettent d'établir les faits
objectivement.
Pour eux, « l'analyse critique du document est tout le travail de l'historien, qui, selon la formule
d'Halphen, doit s'effacer devant le témoignage» (R.
Mandrou, art.
«Histoire» de l'Encyclopaedia Universalis, 1968).
S'interdire de philosopher serait la condition d'une pratique scientifique de l'histoire.
• Mais les historiens montrent aujourd'hui qu'une telle histoire « qui se croit et se veut débarrassée de toute
implication philosophique, se révèle, en réalité, fondée sur des partis pris et des postulats desséchants qui affectent
gravement la nature et l'extension de son champ d'études» (J.
Ehrard et G.
Palmade, L'Histoire, A.
Colin, 1965, p.
78-79).
• Parmi les présupposés philosophiques implicites qu'admet une telle histoire positiviste, on peut noter :
- Une survalorisation des événements politiques.
« Comme les faits les plus faciles à établir sont alors les grands
"événements", la traditionnelle histoire politique, avec ses divers visages, dynastique et guerrière, diplomatique,
parlementaire, etc., retrouve tous ses droits» (ibid.); seraient ainsi négligés ou considérés comme inessentiels des
faits culturels, économiques, psychologiques, dont l'importance pourrait passer inaperçue, parce que les documents
sont moins nombreux ou moins directement accessibles que les Mémoires, Chroniques, etc., politiques.
- Une théorie de la causalité historique en résulte : les faits politiques permettraient de rendre compte de toute la
réalité historique.
Par exemple, l'historien Seignobos, en 1924, conclut que la crise mondiale ouverte en 1914 oblige à «reconnaître à
quel point les phénomènes superficiels de la vie politique dominent les phénomènes profonds de la vie économique,
intellectuelle et sociale» (ibid.).
- Sur le plan des événements politiques, l'explication positiviste mettrait en œuvre «une philosophie déterministe du
changement, du devenir humain», puisque «la succession des faits en un récit chronologiquement ordonné (...)
postule des relations simples de cause à conséquence » (R.
Mandrou, article cité).
• Ainsi, l'historien positiviste qui voudrait n'exposer que le simple récit des faits, telle qu'une méthode objective les
établit, ne dit pas simplement ce qui s'est passé : il exprime nécessairement, sans les critiquer, des thèses
philosophiques, celles qui sont dominantes à son époque ou celles qui lui sont propres.
2) la philosophie nécessaire ?
a) Comment choisir des faits significatifs ?
• Si rigoureuse que soit sa méthode, si objective et parfaite que puisse être sa connaissance des faits, l'historien
doit commencer par choisir, parmi tous les faits possibles, ceux qu'il considérera comme significatifs, par opposition à
ceux qui seront insignifiants.
• Un tel choix est nécessaire : il serait impossible de tout retenir, le passé est trop riche.
Refuser de choisir, c'est
accepter et entériner d'autres choix, ceux que dicte l'époque historique dans laquelle s'inscrit l'historien et qui
s'imposent à lui éventuellement à son insu, ou encore ces choix qui expliquent l'abondance et l' « évidence » de
certains documents sur certains faits (par exemple les événements politiques) et l'absence, ou la rareté et
l'obscurité d'autres données, portant sur d'autres faits, dont l'insignifiance peut être et a été discutée (par exemple
les mentalités, les faits économiques, etc.).
• Le choix des faits significatifs s'appuie sur des critères, explicites ou non, qu'aucune «méthode scientifique» ne
peut donner, puisqu'elle les suppose.
• Un exemple, proposé par P.
Valéry : «On peut raisonnablement penser que la découverte des propriétés du
quinquina est plus importante que tel traité conclu vers la même époque [à savoir vers 1639] ; et, en effet, en 1932.
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