l'histoire n'est-elle que le récit des évènements passés ?
Extrait du document
«
Termes du sujet:
HISTOIRE: Ce mot désigne soit le devenir, l'évolution des individus et des sociétés (allemand Geschichte), soit
l'étude scientifique de ce devenir (allemand Historie).
Le sujet porte sur une question d'épistémologie, c'est-à-dire de théorie du savoir.
Et, plus précisément, elle
touche une question d'épistémologie de l'historiographie.
Tout l'enjeu est de comprendre si la structure traditionnelle
de l'enquête historique, le récit, est par essence liée à la discipline historique ou si elle peut être remplacée
avantageusement par d'autres modes d'exposition.
Certes, depuis Hérodote, les ouvrages d'histoire se présentent le plus souvent comme une narration chronologique
d'événements.
Ainsi, Thiers raconte l'histoire de Napoléon Bonaparte.
Et Michelet rédige une Histoire de France
comme si le pays constituait un personnage unique traversant de multiples époques.
Or, l'on peut souligner que cette tradition ne représente ni un modèle ni a fortiori une obligation.
Le récit risque en
effet d'introduire dans les événements historiques un enchaînement logique qu'ils n'ont pas forcément par euxmêmes.
Ainsi, l'École des Annales, au XXe siècle, a pratiqué avec succès une histoire sans récit où l'analyse
quantitative, économique et technique occupe la première place.
Le mot d'histoire désigne aussi bien ce qui est arrivé que le récit de ce qui est arrivé ; l'histoire est donc, soit une
suite d'événements, soit le récit de cette suite d'événements.
Ceux-ci sont réellement arrivés : l'histoire est récit
d'événements vrais, par opposition au roman, par exemple.
Par cette norme de vérité, l'histoire, comme discipline,
s'apparente à la science ; elle est une activité de connaissance.
On pourrait ajouter à cela cette définition : « Je
définis volontiers l'histoire, écrivait Lucien Febvre en 1947 à propos d'un ouvrage de violente polémique, un besoin
de l'humanité, le besoin qu'éprouve chaque groupe humain, à chaque moment de son évolution, de chercher et de
mettre en valeur dans le passé les faits, les événements, les tendances qui préparent le temps présent, qui
permettent de la comprendre et qui aident à le vivre.
» Aussi, comprendre l'histoire comme un récit pourrait lui
enlever son caractère scientifique, pour n'être plus qu'une sorte de littérature.
L'histoire ne peut –elle être que
scientifique ?
1) L 'histoire comme science des événements.
Toutefois l'histoire s'oppose à la science, si l'on prend ce mot en un sens étroit et si on le réserve à des disciplines
telles que la physique ou l'analyse économique ; en effet, l'histoire est connaissance d'événements, c'est-à-dire de
faits, alors que la science est connaissance des lois qui régissent les faits.
La physique établit la loi de la chute des
corps ; si un historien s'occupait de corps qui tombent, ce serait pour raconter des chutes.
Il en ressort que
l'opposition qu'on établit trop souvent entre les faits historiques, qui seraient « ce que jamais on ne verra deux
fois », et les faits physiques, qui se répéteraient, est erronée ; un « fait » physique (la chute de telle feuille de tel
arbre) est non moins unique, dans l'espace et le temps, qu'un fait « historique » (la chute de tel empereur) : il n'est
pas moins historique que ce dernier.
La véritable différence n'est pas entre les faits, mais entre les disciplines : la
connaissance historique est un corps de faits et la science est un corps de lois.
Il peut donc exister, et il existe
effectivement, une histoire des faits physiques (par exemple, l'histoire de la Terre ou celle du système solaire) ;
inversement, il peut ou pourra y avoir un jour des sciences relatives aux événements humains : ce sont les
« sciences humaines », telles que la théorie économique ou la linguistique générale ; mais ces sciences humaines ne
raconteront pas ce qui est arrivé aux hommes : elles établiront des lois relatives à des événements humains.
Aussi,
par opposition le récit historique est un genre ordinairement accessible et les pressions s'exercent, le plus souvent
de manière subtile, pour orienter ou modifier la démarche de l'historien.
Inversement, répercutée par les mass media
ou les leaders, une véritable pédagogie des idéologies dominantes s'appuie sur le récit historique pour orienter les
comportements collectifs (par exemple dans la diffusion du mythe de la démocratie américaine comme modèle de
démocratie idéale).
L'histoire comme récit n'est pas scientifique.
Le progrès de l'objectivité dans la science historique suppose une rupture avec les déterminations finalement
idéologiques dans lesquelles s'engluent encore la plupart des historiens.
Le récit historique est marqué
idéologiquement.
En répudiant ainsi le scientisme, on se donne les coudées franches pour affirmer au contraire le
caractère strictement intellectualiste de la connaissance historique.
L'histoire est une entreprise mue par une
curiosité pure et simple : rien de ce qui est historique n'est étranger à l'historien, de même que rien de ce qui est
naturel n'est indifférent pour le naturaliste.
Il faut le rappeler fortement : il a été trop longtemps à la mode de
prétendre que l'histoire n'est pas connaissance objective, qu'elle est la conscience que les peuples prennent d'euxmêmes (comme si l'on n'écrivait que son histoire nationale !), que la vision que nous avons du passé reflète nos
valeurs présentes, qu'en écrivant l'histoire nous y projetons notre condition...
À vrai dire, c'est là un genre
d'affirmations passablement gratuites et invérifiables ; qu'est-ce que « nos » valeurs, notre condition ? Enfin, nul ne
se trompe volontairement : comment peut-on reconnaître et avouer un manque d'objectivité de la connaissance
historique, sans que cet aveu soit par lui-même le présage d'un prochain retour à l'objectivité ? C'est ne rien
comprendre à la connaissance historique, et à la science en général, que de ne pas voir qu'elle est une activité
sous-tendue par une norme de véracité.
Ce qui est vrai, c'est qu'il existe une dimension sociale de l'historiographie :
souvenirs nationaux et dynastiques, mythes collectifs, etc.
Mais précisément, depuis le premier jour, depuis
Hérodote et Thucydide, l'histoire des historiens se définit contre la fonction sociale des souvenirs historiques et
s'est posée comme relevant d'un idéal de vérité et d'un intérêt de pure curiosité.
Assimiler l'histoire scientifique aux.
»
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