l'histoire justifie-t-elle la violence ?
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«
Introduction
L'histoire s'engendre, c'est un constat, au rythme des conflits et des guerres, au rythme d'une volonté de domination de l'homme
sur l'homme.
La violence est de part en part de l'histoire l'élément moteur de l'évolution des peuples et des idéologies des individus.
Ouvrir un livre d'histoire n'apporte rien concernant le bonheur des hommes.
Et Hegel a bien dit que ce sont les pages blanches qui
reflètent les époques de bonheur dans l'histoire.
Ainsi de nombreux événements historiques justifient le rôle de la violence dans leurs
avènements.
Mais cette violence s'avère soit totalement transparente, ce qu'on verra au travers des pathologies de l'Etat (Tyrannie,
Etat totalitaire), soit insidieuse en ce sens qu'elle favorise une domination qu'on ne peut vraiment contester (cf.
la conception
webernienne de l'Etat).
Peut-on retrouver dès lors, à l'origine d'une histoire meurtrière, la possibilité pour l'homme de trouver une
alternative à la violence ?
I.
La violence politique
a.
La tyrannie : c'est quelqu'un ou un groupe qui détourne la hiérarchie étatique à leur service.
Chez les Grecs c'est le pouvoir
politique exercé non pas en vertu d'une légitimité politique (héréditaire ou élective) mais par la violence ou une éloquence qui séduit le
peuple (cf.
la République de Platon, ou La Politique d'Aristote).
Le tyran est un despote, l'homme du pouvoir arbitraire et oppressif,
« sans égard à la justice et aux lois » selon Rousseau.
De plus, l'Etat tyrannique peut subsister en posant des complices dans toute sa
hiérarchie.
Et La Boétie présentera la mécanique infernale de cet Etat : « plus les tyrans pillent, plus ils exigent ; plus ils ruinent et
détruisent, plus on leur fournit, plus on les gorge » (Discours de la servitude volontaire, 1553).
Mais ce n'est pas seulement la force
pour La Boétie qui désigne la tyrannie.
En effet « le tyran asservit les sujets les uns par le moyen des autres » (ibid).
Le peuple, en
même temps opprimé et oppresseur, est lui-même complice ; ainsi, seul le peuple a le pouvoir d'instaurer la liberté.
b.
L'Etat totalitaire se différencie de la tyrannie en ceci que le dictateur défend une idéologie, alors que le tyran n'a en vu que
ses intérêts.
Le dictateur veut imposer son comportement idéologique à toute la société.
Le tyran, lui, se contente d'exploiter la société
à son service.
Le mot « totalitaire » renvoie à une conception totale et englobante de la société.
Pour un tel système, l'individu n'existe
qu'au service de toute la société et surtout de l'idéologie.
Donc on peut le sacrifier à tout moment.
Le tyran élimine les complices qui le
menacent, le dictateur élimine tous ceux qui ne sont plus utiles à ses projets.
II.
La violence justifie l'histoire
a.
Avec Hegel, le face à face entre hommes est toujours une lutte pour la reconnaissance qui implique la vie et la mort.
Les deux
consciences se mettent en péril, en mettant la vie de l'autre en péril.
Il y a toujours en sortant de ce conflit une conscience qui
préférera conserver sa vie, ainsi renoncer à sa liberté.
L'autre est ainsi reconnu comme étant le seul libre.
Ce rapport constitue
génétiquement le rapport de maîtrise et de servitude.
Ainsi une conscience se soumet à un maître.
Il y a toujours dans l'histoire, telle
est la conviction de K.
Marx, une lutte des classes.
Mais la victoire appartient-elle vraiment au plus fort (physiquement,
économiquement, politiquement) ?
b.
Il est difficile d'éradiquer la violence entre les hommes quand chacun a la possibilité de se rendre propriétaire d'un site naturel.
C'est Rousseau qui dénonce cette imposture originelle qu'est le droit à la propriété privée : « Le premier qui, ayant enclos un terrain,
s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile » (Discours sur
l'origine de l'inégalité).
Et celui qui s'avise d'aller à l'encontre de ce désir de propriété se voit devenir un ennemi, et attire sur lui les
guerres, les crimes etc.
L'Etat lui-même est ainsi fondé sur la violence.
c.
Et cet Etat est le seul à être l'image d'une violence légitime.
C'est ce qu'affirmera le sociologue M.
Weber, que l'Etat a un droit à
la violence : l'Etat est la seule communauté humaine qui « revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence
légitime » (Le savant et le politique).
Mais il s'avère que si l'Etat bafoue excessivement les institutions qu'il pose, les citoyens ont un
devoir de résistance à l'oppression, afin de conserver leur liberté.
C'est l'idée de Rousseau que reconquérir sa liberté, quand on est
sous le régime d'un despote, est un droit et un devoir (cf.
Du contrat social, L.
I, ch.
IV).
III.
Peut-on penser la non violence dans l'histoire ?
a.
« Celui qui te frappe sur la joue droite, tourne la gauche » (Mat.
5 ; 39).
Cette fameuse image du Christ invite l'homme à ne pas
sombrer dans une violence régie par la loi du plus fort, ou par la loi du talion (c'est-à-dire par une vengeance égale au préjudice
commis).
D'ailleurs, ce qui précède cette sentence est cette loi du talion, énoncée sous la forme « Œil pour œil, dent pour dent » (5,
38).
Ainsi Jésus, qui incarne le christianisme comme religion de l'amour, et non comme religion (judaïque) du commandement ou de la
loi, exhorte le sujet à réfléchir sur le thème de la violence, à savoir ses produits ainsi que les réponses qu'on peut y apporter.
b.
La violence provient ainsi du fait qu'on ne considère pas autrui comme soi-même.
L'autre doit émerger à la conscience comme
l'indice d'une existence authentiquement éthique.
E.
Lévinas voit dans le visage nu d'autrui la marque de l'infinité divine, d'une
responsabilité insigne.
Je suis toujours responsable de l'autre, dans l'appréhension de sa fragilité.
On peut reprendre ce mot de
Dostoïevski : « je suis responsable de tout et de tous, et moi plus que les autres » (Les frères Karamazov).
c.
Il semblerait donc que l'homme soit habité de deux pulsions fondamentales, celle de l'amour et celle de la mort (pulsion de
destruction).
Le but de l'Eros (amour) est la conservation de soi.
Le but de la pulsion de mort, au contraire, est de briser les rapports,
de détruire les choses.
Cette pulsion destructrice expliquerait pour Freud le comportement des individus et des peuples.
Ainsi
l'agressivité, comme modalité de la violence, serait toujours d'abord tournée sur le sujet lui-même, avant même d'être infléchie vers
l'extérieur.
Que font-ils d'autres que se faire du mal à eux-mêmes, les juifs, en provocant l'amour divin ?
Conclusion
L'histoire justifie bien à travers ce qui la constitue (les peuples, les Etats, les individus etc.) une violence permanente.
Hegel parlait
d'une violence nécessaire au déploiement de la raison, au devenir éthique de l'Etat.
Mais la constitution de l'homme semble à jamais
ambivalente (Freud), ce qui indique qu'il y aura toujours un régime meurtrier constitutif de l'histoire, même si la violence s'opère aussi
aujourd'hui de manière plus insidieuse (OGM, désirs des ultralibéraux etc.).
Ainsi la violence historique devient non plus simplement
une menace pour l'homme, mais aussi et surtout une menace pour la vie dans toutes ses formes (animales, végétales etc.).
L'homme,
au lieu de favoriser de nos jours un progrès historique, en instituant tel ou tel de ses désirs, devrait bien plutôt penser à la
conservation de cette histoire silencieuse, mais vitale, celle de tous les êtres vivants..
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