L'histoire est-elle rationnelle ?
Extrait du document
«
L'histoire n'est que le récit de faits particuliers.
C'est au chapitre IX de la « Poétique » qu'Aristote, contre l'enseignement de
Platon, assigne à l'art (en particulier à l'épopée et à la tragédie), un caractère
philosophique qu'il récuse à l'histoire.
Ainsi déclare-t-il que « La poésie est
plus philosophique que la chronique.
»
La thèse d'Aristote est étrange pour un lecteur moderne.
Nous pensons
l'histoire en termes de science de rigueur alors qu' Aristote n'y voit que le
récit servile des faits tels qu'ils se sont produits.
C'est la fiction même, la
construction poétique qui confère à la poésie sa supériorité sur l'histoire :
« La différence est que l'un dit ce qui a eu lieu, l'autre ce qui pourrait avoir
lieu ; c'est pour cette raison que la poésie est plus philosophique et plus
noble que la chronique : la poésie traite plutôt du général, la chronique du
particulier.
»
Ce n'est pas l'écriture en vers ou en prose qui donne à l'oeuvre poétique son
caractère (une chronique écrite en vers reste une chronique), mais le type de
rapport au réel qui se fait jour dans l'oeuvre.
La chronique (l'histoire) s'en tient aux faits tels qu'ils se sont passés, aussi
invraisemblables et illogiques qu'ils soient.
En ce sens aussi, d'après Aristote,
elle a très peu à nous apprendre, car les faits rapportés auraient tout aussi
bien pu se produire autrement.
La chronique reste immergée dans la sphère
de la contingence, du possible, du hasard.
Elle ne peut donc pas nous éclairer sur ce qui nous entoure.
A l'inverse, la poésie ne s'en tient pas à la réalité, mais en produit, grâce à la fiction, une intelligence.
Elle ne traite
pas du particulier, du contingent, mais du général.
« Le général, c'est le type de chose qu'un certain type d'homme
fait ou dit vraisemblablement.
»
L'intrigue proposée par le poète n'est pas un pur caprice imaginatif, ni un simple récit des faits : c'est une
intelligence de l'action.
La fiction vise à dégager la cohérence, la vraisemblance ou la nécessité d'une action.
Tel
type de personnage, placé dans tel type de situation devra logiquement se conduire de la façon décrite.
C'est la
mise à jour de cette logique que le poète effectue, alors que le chroniqueur est astreint à décrire les hasards et les
interférences qui peuvent perturber cette cohérence.
Par exemple, Sophocle décrira dans « Antigone » non pas le caractère des héros, Antigone et Créon, mais ce que
leurs types de convictions les amèneront à faire.
Le souci politique de Créon le poussera à interdire à celui des
frères d'Antigone qui s'est battu contre la ville d'être enterré, et à accorder une sépulture à l'autre.
La piété
religieuse et familiale d'Antigone la conduit à juger tyrannique et injuste l'édit de Créon.
La pièce décrit alors la
logique d'un affrontement inévitable.
La force d'une telle oeuvre (et aussi bien d'oedipe) provient du fait que le
lecteur y reconnaît des schèmes, une logique à l'oeuvre dans d'autres situations, et que cette reconnaissance
permet une meilleure compréhension de la réalité.
Si l'on préfère, la fiction, la mise en intrigue, épure l'histoire réelle
ou supposée telle de ses scories contingentes, pour en dévoiler la pure logique.
Par suite, si la conception de l'histoire qui est celle d'Aristote s'éloigne considérablement de la nôtre, il en va de
prime abord de même pour sa conception de l'art.
L'intérêt premier de l'oeuvre ne vient pas de l'étude psychologique
des caractères, de l'étude des personnages.
L'unité de l'oeuvre provient de ce qu'elle représente l'unité d'une
action.
« L'unité de l'oeuvre ne vient pas, comme certains le croient, de ce qu'elle a un héros unique.
Car il se produit dans
la vie d'un individu unique un nombre élevé, voire infini, d'événements dont certains ne forment en rien une unité.
»
Il s'agit donc d'étudier une situation : la fiction st l'organisation cohérente de la logique d'une action, action dot on
doit concevoir la naissance, le développement et le dénouement.
C'est au travers de ce déroulement que se
manifestera le caractère des héros.
Ainsi le destin exemplaire d'oedipe n'est-il pas dévoilé dans une seule pièce.
Tandis qu' »oedipe Roi » représente la quête de soi d'oedipe , « oedipe à Colone » prendra à charge l'apaisement
d'oedipe.
Deux actions : deux pièces.
Platon voulait chasser les poètes de la citée idéale.
Les poètes, selon lui, pratiquent un art du mensonge, de
l'illusion.
Imitant l'action des autres, ils incarnent un savoir qu'ils ne possèdent pas.
L'imitation d'action était pour
Platon l'indice du mensonge et de la duperie.
A l'inverse, Aristote, attentif à la procédure même de la construction
poétique, décèle dans l'imitation, dans la représentation, une épuration du réel.
La fiction, l'imitation consiste à
organiser en un tout cohérent la nécessité d'une action, elle délivre une intelligence du réel en débarrassant les
actes de leur poids de contingence.
Elle permet ainsi au spectateur ou au lecteur un plaisir intellectuel, celui de la
reconnaissance.
C'est le plaisir d'identifier, au travers de l'intrigue fictive, une pluralité d'actions réelles.
Parlant des images, Aristote précise qu'en regardant une imitation d'une chose réelle, « on apprend à connaître ».
C'est-à-dire que l'on identifie la forme du modèle, de e qui est représenté, mais en dehors de la matière de l'objet.
(La peinture d'une pipe n'est pas en écume.) La représentation, l'imitation, nous élève donc toujours du particulier,
du contingent, de la matière, jusqu'au général, à la forme, à l'intelligence.
Or, ce plaisir intellectuel de la reconnaissance, de l'identification, explique en partie que l'on puisse prendre plaisir à
voir représenter fictivement des choses qui nous feraient horreur dans la vie.
Aristote prétend que la représentation opère une « catharsis », une épuration des passions.
La question est
d'importance, dans la mesure où elle est un réponse à Platon, mais aussi parce que toute notre tradition théâtrale
est traversée par le problème de la moralité du théâtrale et de l'oeuvre d'art.
Là où Platon affirmait que le plaisir pris
au spectacle flatte en nous ce qu'il y a de plus bas, nous fait partager ces passions que sot la pitié et la frayeur, et
nous pousse à sympathiser avec des actions immorales, Aristote répond par la théorie de la « catharsis »..
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