L'histoire est-elle la science du passé humain ?
Extrait du document
«
APPROCHE: L'objet qui appartient en propre à la connaissance historique, qui constitue son territoire
spécifique, sa propriété privée, c'est (dit-on) : le passé humain.
L'attribution d'un tel «objet» aux seuls historiens est cependant ambiguë et problématique.
D'une part, le passé c'est ce qui est révolu, ce qui définitivement a eu lieu, ce qui ne peut plus changer et en
ce sens, c'est pour la connaissance, un objet privilégié, inaltérable, qui peut enfin être étudié à loisir.
Mais, d'autre part, où se trouve cet objet ? Où réside-t-il ? Le passé en tant que tel est-il à proprement parler
un objet ? Comment pourrait-il avoir une consistance quelconque, et à plus forte raison une existence
objective, observable – s'il n'est plus ?
En revanche, si le passé humain subsiste, sous quelque forme que ce soit (documents, monuments, croyances,
mentalités, etc.), c'est qu'il n'est pas passé mais présent, c'est qu'il n'est pas entièrement périmé, mais en
quelque sorte toujours actuel.
Paradoxalement, c'est la présence du passé qui le désigne à l'attention de
l'historien.
En outre, pourquoi dissocier le passé humain de l'ensemble des phénomènes de l'univers (les cataclysmes aussi
bien que le cours ordinaire des planètes, etc.), sinon parce que seuls les événements humains ont à la fois une
direction et une signification (au double sens du mot « sens »), tandis que les phénomènes naturels sont
soumis à des lois (qu'il importe de connaître car elles nous découvrent les relations nécessaires et universelles
qui les régissent).
Le cours de la nature, régulier et constant jusque dans ses apparentes exceptions, est – de
ce fait – anhistorique.
L'histoire du passé humain ne présente au contraire qu'une infinité de faits particuliers et
uniques en dépit d'apparentes similitudes.
Louis XVI a été guillotiné le 21 janvier 1793 : si ce fait est incontestable, il est non moins incontestable que
Louis XVI ne sera plus jamais guillotiné.
Quel intérêt l'historien peut-il donc trouver à restituer aussi
précisément, aussi objectivement que possible un « fait divers » dont nous sommes certains qu'il ne se
reproduira jamais plus ? Quand l'ouvrage d'un historien contemporain consacré à « Louis XVI» est présenté ainsi
: «Le martyre du dernier roi de droit divin, raconté avec objectivité ! Intelligent, mais faible, Louis XVI ne sut
pas résister aux caprices d'une jeune épouse coquette, la belle Marie-Antoinette », ne sommes-nous pas
tentés de nous écrier avec Bossuet : «Qu'y a-t-il de plus inutile, que de se tant arrêter à ce qui n'est plus,
que de rechercher toutes les folies qui ont passé dans la tête d'un mortel, que de rappeler avec tant de soin
ces images que Dieu a détruites dans sa cité sainte, ces ombres qu'il a dissipées, tout cet attirail de la vanité,
qui de lui-même s'est replongé dans le néant, d'où il était sorti ?» Bossuet, Traité de la Concupiscence (1694),
chap.
VIII.
Aucun contemporain de ces faits particuliers ne pouvait en connaître l'importance historique, les vraies
«causes» et les «conséquences» incalculables.
Les historiens, aujourd'hui, y voient plus clair sans doute, car
ils savent à présent ce qui a suivi, du moins jusqu'à «nos jours ».
Mais ignorant comme nous tous «la fin de
l'histoire », ils entrent eux aussi dans l'avenir «à reculons » (Valéry).
Ils sont les «prophètes du passé»
(Cournot).
Introduction : Toutes les sciences ont un objet bien particulier (la vie pour la biologie, la nature pour la
physique…) et, depuis Kant, nous savons qu'elles ne peuvent cerner cet objet en soi.
L'histoire, assimilée à une
science, pourrait alors avoir le passé de l'homme comme objet tout en ne pouvant le connaître tel qu'il est en soi.
Elle s'aviserait de reconstruire le passé.
En effet, l'histoire s'intéresse aux événements qui ont eu lieu dans un temps
révolu -le passé comme passé- et essaye de reconstituer l'enchaînement de ces événements.
Le sujet ici présent
insiste tout particulièrement sur l'aspect humain du passé, c'est à dire sur tout ce qui relève de la pure production
humaine, sur ce que l'homme a créé par son esprit et ses mains.
L'ensemble de ces données culturelles serait alors
l'objet dont l'histoire ( précisons, la science historique) aurait à s'occuper.
Surgit cependant un problème majeur.
L'histoire, qui cherche à retracer ce que fut notre passé, procède-t-elle vraiment en toute scientificité ? En effet, le
rôle majeur de l'historien, qui devrait à la fois répertorier, analyser et interpréter les faits, peut-il être apparenté à
celui d'un physicien ou d'un biologiste ? Les sciences, que nous avons coutume de nommer exactes, se
caractérisent par une méthode de raisonnement rigoureux à laquelle elles s'attachent en vue dégager des lois qui
révélerait la présence d'une nécessité.
De la même façon, l'histoire est-elle uniquement constituée de lois,
manifestation d'une nécessité ? Il nous faut donc éprouver ici la valeur scientifique de l'histoire, pour en arriver à
savoir si le passé qu'elle reconstruit peut être reconnu objectivement au point de se passer de toute interprétation.
I/ L' histoire n'est pas un objet de science.
Le passé humain, comme nous l'avons dit précédemment constitue l'ensemble des productions humaines à
travers le temps.
Quel rôle peut alors avoir l'histoire vis-à-vis de ce passé ? Nous savons, depuis Héraclite, qu'avec
le temps, tout s'écoule et rien ne demeure.
Et cette fatalité à laquelle est soumise la matière n'épargne pas les
productions humaines.
Or, l'homme dispose d'un moyen pour lutter contre cette fatalité.
Il peut, par l'esprit,
conserver la trace de ce qui a eu lieu afin que les générations suivantes s'en souviennent.
N'est-ce pas là la tâche.
»
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