L'histoire a-t-elle nécessairement recours au témoignage ?
Extrait du document
«
• C'est un sujet classique qui ne comporte pas de difficultés particulières.
Interrogez-vous d'abord sur les mots
utilisés : vous comprendrez vite la problématique engagée ici.
En effet, le «recours» est étymologiquement un
retour en arrière, le dernier moyen efficace : cette dernière ressource à laquelle l'histoire fait appel est le
«témoignage ».
Qu'est-ce qu'un témoignage ? C'est la déclaration de ce qu'on a vu, entendu, perçu, et qui va
servir à l'établissement de la vérité.
«Je n'entends, par ce mot histoire, rien autre chose que les actes du
temps, les témoignages sérieux », écrit Michelet.
Ces informations, ces rapports, sont l'oeuvre d'individus, et
sont donc soumis à l'appréciation de leurs auteurs.
Se pose d'emblée le problème de la subjectivité des
documents, des traces laissées.
Associer ces traces subjectives à la vérité, et y ajouter qu'elles sont
nécessaires pour faire l'histoire, semble paradoxal.
« Est nécessaire ce dont le contraire est inconcevable », dit
Alain.
Ne peut-il pas y avoir d'histoire sans ces témoignages ? Comment se construit l'histoire ?
• Le problème essentiel de l'histoire concerne l'objectivité des faits historiques.
L'historien doit construire son
objet, le créer.
Il fabrique les faits par l'observation, l'interrogation, la sélection des documents.
Il y a donc
irruption constante de la subjectivité de l'historien dans son récit.
D'où la pluralité des interprétations en
histoire.
La méthode historique est bien obligée d'utiliser les seuls matériaux à sa disposition : les témoignages.
L'historien va donc comparer les documents pour établir leur authenticité, opérer des choix, et élaborer des
hypothèses.
Le problème de l'objectivité en histoire est indissociablement lié au problème méthodologique dont
parle l'intitulé du sujet.
Il s'agit d'un recours indispensable pour établir le passé humain sur les bases les plus
authentiques, les plus intègres possibles.
Il n'y en a pas d'autres.
• C'est pourquoi, au cours du temps, la perception des faits passés peut changer : on découvre de nouveaux
témoignages, de nouveaux indices (c'est le cas pour les périodes préhistoriques et la découverte des grottes ;
c'est le cas lorsque, dans la seconde moitié du XXe siècle, on découvre des tablettes sumériennes qui
mentionnent un déluge bien antérieur à celui de la Bible (cf.
l'épopée de Gilgamesh) ; c'est le cas lorsqu'on
ouvre les archives après cinquante années de silence, etc.).
Tout comme l'homme lui-même est en perpétuel
mouvement et en quête incessante, l'histoire tâtonne et se transforme.
Le fait historique est un fait passé, donc n'est pas observable.
Mais on peut reconstruire le fait passé à partir
de ses « traces » présentes, des « documents » qui subsistent (nous avons vu que même en physique il n'est pas
d'observation passive du donné).
Ces documents sont d'abord les témoignages, les récits qui nous ont légués les
générations précédentes.
Mais ces récits, malheureusement, n'ont pas toujours été établis selon les exigences de
l'esprit scientifique.
Nous pouvons connaître l'histoire romaine d'après Tite-Live, mais Tite-Live n'a fait que
reprendre les écrits de ses prédécesseurs Polybe ou Valérius Antias.
Et quelle garantie nous offrent les premiers
témoins ? On a dit que l'historien se trouve dans la condition d'un physicien qui ne connaîtrait les faits que par le
compte rendu d'un garçon de laboratoire ignorant et menteurs.
L'historien ne peut utiliser un témoignage qu'en prenant toute une série de précautions dont l'ensemble
constitue la Critique.
La Critique implique non pas un refus systématique, mais un choix éclairé (au sens étymologique grec, c'est le tri, le
discernement).
La Critique est simplement « une méthode scientifique destinée à distinguer le vrai du faux en
histoire » (Halkin in « Initiation à la critique historique »).
Dans leur ouvrage fondamental, « Introduction aux
études historiques » (1897), Langlois et Seignobos observent que « de même que l'instinct naturel d'un homme
à l'eau est de faire tout ce qu'il faut pour se noyer », de même c'est la crédulité naïve qui est spontanée tandis que
la critique est « contre-nature ».
Mais pour être un bon historien, il faut que « cette attitude contre-nature
devienne une habitude organique ».
Tout d'abord, la critique externe[1] se propose de rétablir les témoignages
qui nous sont parvenus, dans leur authenticité primitive, de faire la chasse aux interpolations.
Songez que nous ne
connaissons l'histoire ancienne que par les manuscrits qui sont des copies de copies.
Par exemple, considérons la
grande histoire juive de Flavius Josèphe, qui date du premier siècle de notre ère.
Cet auteur donne une foule de
détails sur la Palestine de son temps et dans les manuscrits copiés que nous possédons, il y a une dizaine de lignes
sur Jésus conformes à l'orthodoxie chrétienne (Dieu s'est fait homme, a souffert pour la Rédemption de l'humanité,
etc.).
Ces lignes sont surprenantes chez un auteur qui fut hostile aux premiers chrétiens.
Tous les historiens y
voient aujourd'hui l'interpolation de quelque moine copiste qui, scandalisé par le silence de Flavius sur Jésus,
« complète » le texte à sa manière ! Une fois les interprétations reconnues (par la contradiction des idées, les
différences de style) et éliminées, le témoignage rétabli doit être livré aux opérations de la critique interne[2].
Car
le témoin a pu se trouver et même mentir.
Par exemple, dans ses « Mémoires », le général Marbot raconte que du 7 au 8 mai 1809 il traversa en barque les
flots démontés du Danube en crue et enleva sur l'autre rive des prisonniers autrichiens.
La critique, nous dit Bloch,
permet de prouver la fausseté du récit ; il n'est que de le confronter à d'autres témoignages, indépendants les uns
des autres pour mettre au jour la contradiction (les carnets de marche autrichiens montrent que les troupes
n'avaient pas les positions que Marbot leur assigne ; la correspondance de Napoléon indique que la crue du
Danube n'avait pas commencé le 8 mai ; le 30 juin enfin, Marbot lui-même a signé une demande de promotion où il
ne faisait pas état de son exploit !).
La vérité scientifique c'est ici encore la non-contradiction, en l'espèce la noncontradiction de témoignages indépendants..
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