l'héritage des mots est-il un héritage d'idées ?
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«
I N TRO DUCTI O N
Définition des termes et problématisation : L ' h o m m e n a î t d a n s un c ontexte partic ulier, s a l a n g u e m a t e r n e l l e n ' e s t pas q u e l q u e c h o s e qu'il c h o i s it mais elle s ' i m p o s e à lui, elle lui es t trans m i s e par s e s proc h e s .
Il ne c rée pas les mots qu'il utilis e m a i s les apprend et s 'e n s ert afin de s 'exprimer, de dire c e q u ' i l p e n s e, c e qu'il res s ent, et afin de c o m m u n i q u e r a v e c les autres .
Les mots s ont diffic i l e m e n t d i s s o c i a b l e s d e s i d é e s en tant qu'ils s ont le moyen par lequel c e s i d é e s s o n t e
Première pensée : Le langage est la condition de possibilité de la communication de la pensée.
1.1 L'homme comme animal politique a besoin de communiquer et le langage est le moyen d'exprimer sa pensée.
« L'homme est un animal politique plus que n'importe quelle abeille et n'importe quel animal grégaire.
Car, comme nous le disons, la nature ne fait rien en vain ; or seul parmi les animaux l'homme a un langage.
Certes la voix est le signe du douloureux et de l'agréable, aussi la rencontre-t-on chez les animaux ; leur nature, en effet, est parvenue jusqu'au point d'éprouver la sensation du douloureux et de l'agréable et de se les signifier mutuellement.
Mais le langage existe en
vue de manifester l'avantageux et le nuisible, et par suite aussi le juste et l'injuste.
Il n'y a en effet qu'une chose qui soit propre aux hommes par rapport aux autres animaux : le fait que seuls ils aient la perception du bien, du mal, du juste, de l'injuste et des autres (notions de ce genre).
Or avoir de telles notions en commun c'est ce qui fait une famille et une cité.
» ARISTOTE, Politiques, I 2.
1.2 La pensée reste muette sans les mots, ils sont là pour révéler nos idées.
« Quoique l'homme ait une grande diversité de pensées, qui sont telles que les autres Hommes en peuvent recueillir aussi bien que lui, beaucoup de plaisir et d'utilité ; elles sont pourtant toutes renfermées dans son esprit, invisibles et cachées aux autres, et ne sauraient paraître d'elles-mêmes.
Comme on ne saurait jouir des avantages et des commodités de la Société sans une communication de pensées, il était nécessaire que l'Homme inventât quelques signes extérieurs et
sensibles par lesquels ces idées invisibles dont ses pensées sont composées, pussent être manifestées aux autres » LOCKE, Essai sur l'entendement humain, III 2.
Transition : Le langage est indissociable de la pensée, les mots sont les signes des idées.
Cependant est-ce que le langage nous permet d'exprimer toutes nos idées ? L'usage de mots peut être maladroit, les mots utilisés peuvent être mal interprétés.
L'usage et la réception des mots ne sont pas parfaits, les malentendus sont là pour souligner les obstacles possibles à une transmission juste de la pensée.
Deuxième partie : La pensée déborde le langage.
2.1 Le pouvoir du langage est limité : le sentiment est indicible.
Le deuxième sens de parler fait alors défaut : communiquer.
« Ainsi chacun de nous a sa manière d'aimer et de haïr, et cet amour, cette haine, reflètent sa personnalité tout entière.
Cependant le langage désigne ces états par les mêmes mots chez tous les hommes ; aussi n'a-t-il pu fixer l'aspect objectif et impersonnel de l'amour, de la haine, et des mille sentiments qui agitent l'âme.
Nous jugeons du talent du romancier à la puissance avec laquelle il tire du domaine public, où le langage les avait fait descendre, des sentiments et des
idées auxquels il essaie de rendre, par une multiplicité de détails qui se juxtaposent, leur primitive et vivante individualité.
Mais de même qu'on pourra intercaler indéfiniment des points entre deux positions d'un mobile sans jamais combler l'espace parcouru, ainsi, par cela seul que nous parlons, par cela seul, que nous associons des idées les unes aux autres et que ces idées se juxtaposent au lieu de se pénétrer, nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent : la
pensée demeure incommensurable avec le langage.
» BERGSON, Essais sur les données immédiates de la conscience, p123-124.
2.2 La généralité des mots contraste avec la singularité de nos pensées.
Quelque chose résiste à l'expression.
« Enfin, pour tout dire, nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles.
Cette tendance, issue du besoin, s'est encore accentuée sous l'influence du langage.
Car les mots (à l'exception des noms propres) désignent des genres [...] nos propres états d'âme se dérobent à nous dans ce qu'ils ont d'intime, de personnel, d'originalement vécu [...] nous n'apercevons de notre état d'âme que son déploiement
extérieur.
Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu'il est à peu près le même, dans les mêmes conditions pour tous les hommes.
Ainsi jusque dans notre propre individu, l'individualité nous échappe.
» BERGSON, Le rire.
Transition : si les mots ne sont pas toujours des témoins fidèles de nos pensées et de nos idées il n'en reste pas moins qu'il semble difficile d'envisager une dissociation entre le langage et la pensée ils n'ont de sens que l'un par rapport à l'autre.
Troisième partie : La relation entre la pensée et le langage est essentielle.
3.1 La parole s'origine dans la pensée.
« Si on apprend à une pie à dire bonjour à sa maîtresse, lorsqu'elle la voit arriver, ce ne peut être qu'en faisant que la prolation de cette parole devienne le mouvement de quelqu'une de ses passions ; à savoir, ce sera un mouvement de l'espérance qu'elle a de manger, si l'on a toujours accoutumé de lui donner quelque friandise, lorsqu'elle l'a dit ; et ainsi toutes les choses qu'on fait faire aux chiens, aux chevaux et aux singes, ne sont que des mouvements de leur crainte, de
leur espérance, ou de leur joie, en sorte qu'ils les peuvent faire sans aucune pensée.
Or il est, ce me semble, fort remarquable que la parole, étant ainsi définie, ne convient qu'à l'homme seul [...] Ce qui me semble un très fort argument pour prouver que ce qui fait que les bêtes ne parlent point comme nous, est qu'elles n'ont aucune pensée, et non point que les organes leur manquent.
» DESCARTES, Lettre au Marquis de Newcastle, 23 novembre 1646.
3.2 Le langage n'est pas seulement héritage il est aussi création.
« Les cartésiens essayaient de montrer que même si on affine, on clarifie et on pousse à la limite la théorie des corps, elle reste encore incapable de rendre compte de faits évidents à l'introspection et qui nous apparaissent également lorsque nous observons les actions des autres.
En particulier, elle ne peut rendre compte de l'emploi normal du langage humain, de même qu'elle ne peut expliquer les propriétés fondamentales de la pensée.
Il devient par conséquent nécessaire
d'invoquer un principe entièrement nouveau, en termes cartésiens de postuler une seconde substance dont l'essence est la pensée, accolée au corps, avec ses propriétés essentielles d'étendue et de mouvement.
Ce principe nouveau a un « aspect créateur » qui est clairement mis en évidence dans ce que nous pouvons désigner comme « l'aspect créateur de l'utilisation du langage », la faculté spécifiquement humaine d'exprimer des pensées nouvelles et de comprendre des
expressions de pensées nouvelles dans le cadre d'un « langage institué », produit culturel soumis à des lois et à des principes qui lui sont en partie propres et qui reflètent en partie des propriétés générales de la pensée.
» CHOMSKY, Le langage et la pensée.
CONCLUSION
Les mots étant les signes des idées, le langage est indissociable de la pensée.
Mais cela ne signifie pas que tout ce que l'on conçoit soit dicible, des pensées résistent à la traduction.
Cette limitation de la puissance du langage n'est pas une insuffisance en tant que tout n'est pas bon à dire et que des pensées doivent rester secrètes, la singularité ne trouvant pas par les mots un moyen d'expression adéquat.
Le langage comme la pensée ne sont pas figés et si nous héritons
d'une langue nous héritons aussi de la possibilité de la modifier, de la transformer de même que notre pensée évolue et s'enrichit, elle n'est pas réfractaire à la nouveauté..
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