l'expression « contemplation de l'oeuvre d'art » signifie-t-elle que nous soyons passifs dans le plaisir esthétique ?
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«
INTRODUCTION
L'art devient, dit-on volontiers, objet de consommation.
Si résonne encore dans ce terme ce que l'on nomme
«contemplation de l'oeuvre d'art », cette expression signifie-t-elle que nous soyons passifs dans le plaisir
esthétique, c'est-à-dire que ce plaisir spécifique suppose une totale absence d'activité intellectuelle?
I.
TOUTE CONTEMPLATION EST UN ABOUTISSEMENT
— Dès Platon, la contemplation de l'Idée (en particulier de celle du Beau) apparaît
comme le terme d'un parcours, qui suppose un travail long et difficile de l'esprit.
Elle
n'est pas simple réception passive.
— Tout contact avec une oeuvre d'art suppose au minimum une orientation (curiosité)
du sujet vers la dimension esthétique, qui n'est pas une donnée immédiate, ou
permanente, du quotidien.
Il y faut en effet un minimum de désintérêt à l'égard des
tâches pratiques (si je suis soumis à une faim extrême, je ne risque pas de passer des
heures dans un musée à contempler des tableaux).
— Cette ouverture vers la dimension esthétique s'accompagne en général d'un minimum
d'efforts (il faut aller au concert, au musée, etc.) et d'informations (historiques, sur la
date de l'oeuvre, son époque, son contexte, etc., stylistiques...).
Il est rare que l'accès
à une oeuvre soit immédiat: lorsque l'esprit a brutalement la révélation d'un style ou
d'une oeuvre jusqu'alors méconnu, on constate qu'il était déjà imprégné de culture
artistique le préparant à accepter un tel inédit (les cubistes et l'art « nègre »).
Mais
l'esprit non cultivé rejettera plus volontiers l'oeuvre en la trouvant choquante (la
réaction des contemporains des cubistes au même art « nègre »).
— Ainsi, même si l'on devait constater que le temps de la contemplation est passif, il faudrait souligner combien
cette passivité résulte d'un travail antérieur.
II.
COMMENT ET QUE CONTEMPLE-T-ON?
— Pour savoir si la contemplation est en elle-même passive ou non, il faut l'analyser précisément.
Que vise-t-elle et
comment (dans quelles conditions) a-t-elle lieu?
— S'il y avait passivité, cela signifierait que l'oeuvre d'art vient combler simplement une attente préétablie — c'està-dire qu'elle n'apporte rien d'imprévu.
Or l'oeuvre véritable propose au contraire — à la sensibilité et peut-être
complémentairement à l'esprit — un dispositif qui, n'étant pas en permanence présent dans le quotidien, s'affirme
comme singulier.
En quoi réside cette singularité?
— Solution kantienne: dans l'impression d'une finalité sans fin.
On peut alors montrer que cette perception d'une
finalité sans fin suppose une activité du «consommateur» puisqu'il arrive fréquemment que l'oeuvre, par suite de
modifications matérielles, ne corresponde plus à sa première organisation.
Donc:
• ou bien l'oeuvre attire immédiatement l'attention par sa forme (le sonnet);
• ou bien cette forme a été transformée et c'est alors l'esprit qui reconstitue une autre version de la finalité
intrinsèque.
Ex.: statues mutilées, tableaux tronqués, architectures ayant perdu leur coloration d'origine (intérieur
des églises romanes), etc.
— Confirmation par Hegel: si l'art a une dimension spirituelle, cela signifie que l'esprit y trouve des éléments qui le
dirigent sur la voie d'une compréhension pré-conceptuelle.
Hegel rompt avec Kant, pour qui la beauté naturelle tient une large part.
La
contemplation de la belle nature accorde
mystérieusement l'imagination et l'entendement.
Hegel rejette la beauté
naturelle, car la beauté artistique étant un produit de l'esprit lui est
nécessairement supérieure.
C'est pour nous et non en soi et pour soi qu'un
être naturel peut être beau.
L'imitation de la nature n'est donc pas de l'art,
tout au plus un exercice d'habileté, par lequel on imite le Créateur.
Il y a plus
de plaisir à fabriquer des outils ou des machines qu'à peindre un coucher de
soleil.
La valeur de l'art est tout autre : c'est l'esprit à l'oeuvre, qui s'arrache
de la nature en la niant.
Au moyen de l'art, l'homme se sépare de la nature et
se pose comme distinct.
L'art peut donc faire l'objet d'une science, pense
Hegel, il suffit d'en montrer la nécessité rationnelle dans l'histoire de
l'humanité.
L'oeuvre d'art ne décrit pas une réalité donnée, elle n'est pas faite
pour notre plaisir, mais l'art est en son essence une intériorité qui cherche à
s'exprimer, à se manifester ; c'est un contenu qui cherche une forme, un sens
qui veut se rendre matériel.
On ne peut le condamner pour son apparence,
car il faut bien à la vérité une manière de se montrer.
L'art étant
historiquement la première incarnation de l'esprit, il se confond d'abord à la
religion : la religion grecque est l'art grec lui-même.
Ce sont Homère et
Hésiode qui ont inventé les dieux grecs.
Cet âge d'or de l'art, que Hegel
définit comme "classique", sera dépassé par l'art romantique avec l'apparition
du christianisme.
La religion chrétienne est essentiellement anthropomorphique : le divin est le Christ, soit une pure
individualité charnelle, qui a souffert et qui est morte en croix.
Seul l'art peut ici donner une représentation charnelle
de ce divin, dont le passage historique a été fugitif, et si l'art est mort dans notre société moderne, c'est.
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