Lévinas
Extrait du document
«
"L'Autre n'est pas pour la raison un scandale qui la met en mouvement dialectique, mais le premier
enseignement raisonnable, la condition de tout enseignement.
Le prétendu scandale de l'altérité
suppose l'identité tranquille du Même, une liberté sûre d'elle-même qui s'exerce sans scrupules et à
qui l'étranger n'apporte que gêne et limitation.
Cette identité sans défaut, libérée de toute
participation, indépendante dans le moi, peut cependant perdre sa tranquillité si l'autre, au lieu de la
heurter en surgissant sur le même plan qu'elle, lui parle, c'est-à-dire se montre dans l'expression,
dans le visage et vient de haut.
La liberté s'inhibe alors non point comme heurtée par une résistance,
mais comme arbitraire, coupable et timide ; mais dans sa culpabilité elle s'élève à la responsabilité.
La contingence, c'est-à-dire l'irrationnel, ne lui apparaît pas hors d'elle dans l'autre, mais en elle.
Ce
n'est pas la limitation par l'autre qui constitue la contingence, mais l'égoïsme, comme injustifié par
lui-même.
La relation avec Autrui comme relation avec sa transcendance – la relation avec autrui qui
met en question la brutale spontanéité de sa destinée immanente, introduit en moi ce qui n'était pas
en moi.
Mais cette « action » sur ma liberté met précisément fin à la violence et à la contingence et,
dans ce sens aussi, instaure la Raison." LEVINAS
L'irruption d'autrui dans mon existence ne dégénère pas nécessairement en appropriation fusionnelle, ni en lutte
pour la reconnaissance, comme dans la dialectique hégélienne du maître et du serviteur.
La méditation de Lévinas le conduit à poser que le visage humain est ce qui, dans le visible, déborde infiniment
le visible.
Le visage d'autrui me révèle autre chose qu'une partie du monde, il oppose à toute tentative de
manipulation ou de destruction une « résistance éthique ».
Le visage d'autrui ne se laisse pas réduire à une
chose.
Il constitue l'expression irrécusable et le rappel vivant du commandement : « tu ne commettras pas de
meurtre ».
D'après Lévinas, le visage d'autrui est cette expression « qui oblige à entrer dans le discours,
commencement du discours que le rationalisme appelle de ses voeux, " force " qui convainc même " les gens qui
ne veulent pas entendre " (Platon, République, 327b) et fonde ainsi la vraie universalité de la raison ».
C'est cette vraie universalité de la raison que Lévinas veut ici défendre, contre les constructions dialectiques
du rapport moi — autrui.
Dans la dialectique hégélienne, chaque conscience luttant pour la reconnaissance
essaie d'absorber l'autre dans sa propre totalité : « chacune des deux consciences de soi, qui s'opposent l'une
à l'autre, s'efforce de se manifester et de s'affirmer, devant l'autre et pour l'autre, comme un être-pour-soi
absolu », écrit Hegel.
A cette conception conflictuelle de la rencontre avec autrui, Lévinas oppose la
perception de l'Autre comme un enseignement que je reçois.
Cet enseignement me révèle l'irrationalité de
l'égoïsme, qui ne peut rendre raison de soi, autrement que par la force brute.
La relation avec autrui, m'oblige à lui répondre, mais aussi à répondre de moi devant autrui, dans une obligation
mutuelle de vérité et de justice, qui instaure la Raison.
La rationalité éthique ne consiste pas à régler des
comptes, mais à répondre de soi avec l'autre, jusqu'à se tenir responsable de la mort d'autrui (ce qu'exprime,
par exemple, l'assistance à personne en danger).
La raison me décentre de moi-même et m'apprend à chercher
et à recevoir mon humanité de l'Autre, et non du Même.
« Car, comme l'a dit Spinoza, qui n'est poussé ni par la
Raison ni par la pitié à être secourable aux autres, on l'appelle justement inhumain, car il ne paraît pas
semblable à l'homme » (Éthique, IV, prop.
L).
La raison exprime alors une relation éthique universelle, d'un
rapport mutuel et d'un dialogue ouvert à l'infini.
Elle n'est donc plus seulement, dans la sphère de l'action, un
instrument de calcul ou d'évaluation..
»
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