Levi-Strauss et la barbarie
Extrait du document
«
Commentaire d'un texte de Lévi Strauss
« Chacun appelle barbarie ce qui n'est point de son usage » nous explique déjà, au XVIe siècle, Michel de Montaigne
dans ses Essais.
Le barbare, c'est étymologiquement, l'étranger (βαρβαρος) pour les grecs, celui qui s'exprime par
onomatopées – bar-bar – au lieu de s'exprimer dans le logos, le langage grec.
Et il faut réfléchir à cet idée
d'étranger, cette altérité cristallisée par l'appréhension et l'angoisse des hommes.
L'étranger, c'est cet autre
proprement étrange justement, celui qui surprend, celui dont on a bien du mal à évaluer, ou même comprendre, la
conduite.
Un sourire au coin des lèvres, on écarte aujourd'hui une telle pensée: jamais nous, nous ne traiterions un
peuple étranger de peuple barbare sous prétexte qu'il ne parle pas notre langue.
Aucun barbare aujourd'hui donc,
seulement des différences peut-être pas si insondables pour pouvoir dialoguer.
Pourtant, un préjugé continue à nous
hanter.
Il ne s'appelle plus barbare, il s'appelle l'évolution culturelle.
Il faut bien que nous, entendons les occidentaux
– puisque c'est ce que nous sommes – soyons plus évolués: nous construisons des voitures, des hélicoptères, des
ordinateurs, des stations d'épurations, des médicaments...
Alors comment comparer ces atouts indéniables face aux
peuples Tasmaniens, Mbuti, Bushmen, Mrabi ou Tasaday dont les performances technologiques sont pour le moins
assez timides, et les connaissances globales sur le monde pour le moins restreintes? Comment ne pas penser ici que
l'évolution culturelle de la civilisation occidentale est autrement plus avancée que celle de peuples semblant encore
balbutier ce nous découvrions il y a 5000 ans de cela? En d'autres termes, comment ne pas penser que certains
peuples ont une histoire cumulant inventions, découvertes et idées, là où d'autres stagnent et n'ont pour ainsi dire
pas d'histoire, leur vie se réduisant à l'éternelle répétition de traditions?
1.
Civilisation et éthnocentrisme
Il faut dans un premier temps être attentif au terme même que Lévi Strauss utilise dès la première ligne, à savoir
celui de civilisation.
On tend naturellement à assimiler ce terme avec celui de culture, alors qu'il jouit d'une
signification plus vaste et précise.
L'idée de civilisation est à comprendre comme celle d'une coalition entre
différentes cultures.
Elle s'affiche donc comme une force centripète qui s'élabore lorsqu'un certain nombre et une
certaine diversité de cultures, élabore (à vrai dire le plus souvent involontairement) une stratégie commune.
L'Europe de la renaissance est un bel exemple en ce sens, par cette rencontre d'influences grecque, romaine,
germanique, ou même arabe et chinoise.
On remarque que c'est cette effervescence de la rencontre qui génère le
plus souvent des inventions considérables susceptibles de faire faire un bond à cette civilisation.
On peut même dire
que, plus cette différence entre cultures est grande, plus la coalition par l'effort d'intégration qu'elle représente,
assure une dynamique puissante à la civilisation.
La civilisation exprime donc une certaines modalités des cultures, celle qu'elles ont à vivre ensemble.
Il faut saisir ici
quelque chose d'essentiel.
En effet, il va de soi qu'un homme seul est pour ainsi dire un homme perdu, mieux, il n'est
tout simplement pas un homme.
L'homme nécessite un processus culturel qui lui permet d'émanciper ce que la
nature humaine ne garde quant à elle qu'à l'état de germe, qu'à l'état de possible.
L'enfant humain ne nait pas avec
la parole, mais avec la possibilité de pouvoir parler.
Il ne nait pas comme être social, mais toujours avec la possibilité
de cette sociabilité même.
C'est à la culture qu'il revient par différents mécanismes et processus d'apprentissage
d'actualiser ce qui n'est qu'un potentiel.
L'homme soustrait aux autres au début de son existence devient l'enfant
sauvage; l'homme soustrait aux hommes durant sa vie déraisonne et se perd dans les limbes d'une folie radicale.
Il
lui faut l'autre.
Or, Lévi Strauss nous oriente vers un autre impératif tout aussi essentiel: les cultures fonctionnent
sur le même schéma.
Il leur faut un contact avec les autres cultures, un contact qui s'établit au sein de super
organismes sociaux que constituent les groupes de sociétés.
L'homme, pour réaliser sa nature, doit entrer en
contact avec l'autre, de même que sa culture doit rentrer en contact avec d'autres cultures.
Une culture représente toujours la façon dont l'homme a actualisé les potentialités de la nature humaine.
Elles sont
un pattern original se traduisant sous la formes de coutumes, de rites, de mythes, et en somme de systèmes
d'échanges inter-humains ayant leur identité propre et, comme nous l'explique Lévi Strauss dans Race et Histoire,
« correspondant à la façon propre dont chaque société a choisit d'exprimer et de satisfaire l'ensemble des
aspirations humaines ».
Or, il faut préciser qu'une tendance naturelle prend place au sein même de nos propres
jugements: nous pensons notre culture comme La Culture.
Nos jugements sur l'altérité s'enracinent dans cette
tendance spontanée à faire de notre culture le centre même, le nombril du monde.
L'éthnocentrisme exprime
précisément cette tendance à se croire centre: nous projetons sur des pattern différents, les valeurs esthétiques,
morales, spirituelles, de notre propre pattern.
Nous sommes incapables de nous émanciper du milieu dans lequel nous
nous insérons précisément parce que l'ensemble de notre pensée entretient un rapport à la fois de cause et d'effet
avec ce pattern.
Notre pattern ressemble à notre manière de pensée, et en retour, il influence précisément cette
manière de penser.
Chaque pattern à un mode de développement différent, et il est vain de penser que l'Afrique
traverse notre Moyen-Âge, ou qu'il existe des peuples enfants.
2.
Pattern et Éthnocentrisme.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- «Il n’y a plus d’ailleurs» CLAUDE LÉVI-STRAUSS
- Claude Levis-Strauss: Race et Histoire, chapitre 3 (commentaire)
- Lévi-Strauss: Les sauvages sont-ils des barbares ?
- STRAUSS: «...il y a dans l'homme quelque chose qui n'est point totalement asservi à sa société et par conséquent [...] nous sommes capables, et par là obligés, de rechercher un étalon qui nous permette de juger de l'idéal de notre société comm
- Lévi-Strauss: Le mariage comme réalisation de l'union entre nature et culture