L'ÉTAT RESTREINT-IL LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE ?
Extrait du document
«
Problématique:
L'État peut tout, sinon il n'est pas État.
L'État démocratique garantit la liberté de chacun.
Mais en lui offrant la
sécurité, ne le prive-t-il pas de l'exercice effectif de sa liberté? Celle-ci dépend aussi de la culture et des choix du
sujet, sur lesquels l'État ne peut rien.
INTRODUCTION
Il est difficile d'apprécier le rôle de l'État à partir des seules invectives du discours politique, sans s'interroger sur sa
raison d'être.
Tantôt exalté, tantôt vilipendé, l'État fait l'objet des accusations les plus diverses, des louanges et
des critiques les moins nuancées.
Gardien des libertés grâce à l'ordre qu'il maintient, ou au contraire fossoyeur de
celles-ci pour la même raison, l'Etat semble présenter un double visage.
Peut-on s'en tenir à cette apparence
contradictoire, qui fait de toute critique ou de toute apologie de l'État quelque chose d'ambigu ou d'abstrait,
puisqu'on ne semble retenir alors qu'un cas de figure pour fonder le jugement de valeur ? Au-delà des circonstances
particulières qui déterminent cette vision changeante ou incertaine des choses, et les opinions qui s'y attachent, la
philosophie invite à examiner les questions à partir d'une réflexion sur les fondements de l'État, référant ainsi tout
jugement porté sur lui à ce qui définit sa raison d'être, ou à ce qui devrait la définir, ce qui est souvent très
différent.
Dans cette perspective, elle permet de situer rigoureusement l'une des questions les plus fréquentes et les
plus essentielles : l'État restreint-il la liberté individuelle ?
Première partie : analyse du sujet
Un examen de la formulation de la question fait apparaître d'emblée un statut différent des notions en jeu, telles
qu'elles sont situées l'une par rapport à l'autre.
L'idée que l'État puisse restreindre la liberté individuelle présuppose
que celle-ci existe, ou pourrait exister, avant l'intervention de l'État.
Si tel est le cas, comment la définir? Par
ailleurs, le caractère très général de la question permet d'envisager deux points de vue distincts.
On ne dit pas : «
L'État restreint-il nécessairement (toujours) la liberté individuelle?» ou encore «Tout État restreint-il la liberté
individuelle ?»; car alors serait enjeu une seule interrogation : celle qui porte sur l'essence de l'État et ses
implications en ce qui concerne la liberté individuelle.
On ne dit pas non plus « Certains États restreignent-ils la
liberté individuelle ?», car alors l'interrogation porterait seulement sur certaines réalités de fait, envisagées dans leur
discordance par rapport à une réalité de droit, celle d'un État agissant conformément à son fondement, c'est-à-dire
légitimement.
L'ambiguïté de la question conduit donc à une prise en charge des deux cas de figure, c'est-à-dire à la
mise en oeuvre de la distinction du droit et du fait.
Bien sûr, c'est de la définition même de Y État, et de la nature des exigences auxquelles il doit répondre que dépend
pour une large part la réponse à la question.
Ensemble d'institutions et d'organes de pouvoir qui se tient (latin =
stat) en face de la société civile, l'État est en effet l'objet de perceptions diverses qui faussent souvent la définition
qui peut en être donnée, notamment à la faveur d'une confusion fréquente entre le droit et le fait : tantôt pensé
comme la forme même que prend la communauté humaine lorsqu'elle le saisit dans son unité et sa nécessaire
cohérence, tantôt appréhendé comme instance «extérieure» qui s'imposerait à la société sans procéder d'elle-même.
L'opposition de ces deux « figures » ne relève-t-elle pas d'un processus à expliquer ?
Quant à la liberté individuelle, elle doit être envisagée elle aussi en sa spécificité.
Pouvoir d'agir reconnu en droit
et/ou effectivement mis en oeuvre, la liberté peut se dire d'un individu ou d'un groupe, mais aussi se diversifier en
fonction des types d'action en cause : liberté de penser, de se déplacer, de s'exprimer, de décider de ce qui importe
à la conduite de l'existence en étant son propre maître.
La liberté individuelle est propre à l'individu en tant que tel,
c'est-à-dire en tant que sujet unique reconnu irremplaçable, auteur singulier de ses pensées et de ses actes, pour
lesquels il dispose d'une sphère personnelle.
Affirmer la liberté individuelle, c'est se référer à cette sphère d'action
propre à l'individu, et en poser la valeur distinctive.
Comment la délimiter, et dans le cadre de quelles exigences?
Question décisive impliquée dans le sujet.
Esquissons la démarche de réflexion.
Il faudra, dans un premier temps, se
demander quelle peut être cette liberté individuelle qui préexiste à l'intervention de l'État, et réfléchir sur ses
éventuelles limites, voire sur le sens problématique qui peut être le sien.
Dans un deuxième temps, les fondements
de l'État seront envisagés en relation avec les analyses précédentes, et dans la perspective d'une éventuelle
redéfinition de la liberté individuelle.
Dans un troisième temps, la distinction du fait et du droit sera mise en oeuvre
pour savoir si la réalité effective des États correspond toujours à la fonction idéale qu'ils sont censés remplir.
Dans
cette perspective, on se demandera ce que devient la liberté individuelle lorsque l'État usurpe ses fonctions
et ne joue pas le rôle qu'il devrait jouer.
Deuxième partie : quelle peut être cette liberté individuelle « préexistant » à l'État ?
La première détermination qui survient est celle d'un individu ne rendant de comptes qu'à lui-même, et disposant
d'une sphère d'action limitée par les seules bornes de ses propres forces.
Mais est-ce bien une référence pour la vie
sociale ? Dans l'hypothétique état de nature ou dans la configuration imaginaire de ce que peut faire un individu, le
droit de faire se confond avec le pouvoir effectif de faire : chaque individu dispose d'une liberté strictement
proportionnelle à sa force.
Besoins et désirs individuels trouvent à se satisfaire dans les limites ainsi définies.
On
saisit tout de suite les «avantages» et les « inconvénients » d'une telle condition, à supposer qu'elle ait existé.
La «
loi de la jungle » permet au plus fort de s'affirmer, tant du moins qu'il peut faire valoir sa force ; elle met le plus
faible à la merci des autres.
Les seules «libertés individuelles» pouvant s'accomplir dans un tel contexte sont celles
de certains individus.
Elles sont d'ailleurs elles-mêmes précaires dans la mesure où elles relèvent d'un rapport de.
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