L'État est-il l'ennemi de l'individu ?
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[Introduction]
Au XX° siècle plus encore que dans les siècles précédents, certains États sont apparus préoccupés par l'écrasement
des individus composant leur population : dans les totalitarismes, le pouvoir concentré au sommet interdit toute
initiative, ou même toute pensée particulière.
Le citoyen est noyé dans une masse indistincte, et tout écart de sa
part est
gravement sanctionné.
Une telle situation est-elle l'aboutissement logique de la forme étatique, ou peut-on
considérer qu'il y a dans de telles situations une véritable perversion de l'État et de ce qu'il doit
être ?
[I.
L'État met fin à une indépendance antérieure]
Les théoriciens de l'« homme naturel » (Rousseau, mais déjà Platon à sa manière) affirment qu'il existe dans l'homme
initial une forme première de la liberté.
La solitude s'accompagne en effet de la capacité de combler ses désirs
propres, à son rythme personnel, sans avoir à tenir compte de la présence d'autrui.
Toutefois, même si cette
indépendance paraît appréciable, on peut se demander si elle caractérise bien un individu au sens propre : celui-ci
est-il possible en l'absence des autres ? Peut-il se définir (avoir conscience de lui-même) sans s'opposer
mentalement à d'autres présences humaines ?
La cohabitation, dans les premiers groupes humains, entraîne nécessairement une modification de l'indépendance
première.
Il faut désormais tenir compte des autres, et harmoniser ses actions avec les leurs.
Platon en souligne les
avantages (la production par exemple, se spécialisant, est mieux et plus rapidement faite), Rousseau en déduit sa
thèse du contrat social : l'existence collective n'est possible que par et après l'aliénation totale de l'indépendance
naturelle.
C'est donc parce qu'il s'inscrit dans la société - avant même qu'il y ait à strictement parler un État, ou
que l'on en définisse la forme - que l'individu doit renoncer à ne faire que ce que bon lui semblait.
Au-delà du regroupement social, la constitution de l'État va poser de nouveaux problèmes.
L'existence en société
concerne bien des individus, qui restent distincts les uns des autres, et ont des pensées, des sentiments, des
passions qui n'appartiennent qu'à chacun d'entre eux (Rousseau montre précisément que pensées, sentiments, etc.,
ne sont possibles dans l'individu qu'à partir du moment où il y a société) : l'État va-t-il les respecter, ou, au
contraire, les faire disparaître ?
[II.
Critique de la machine étatique]
Si l'on évoque les théories de Hobbes, on constate que la machinerie du pouvoir a pour fonction de ne laisser au
citoyen pratiquement aucune initiative.
Face au pouvoir du « tyran », il n'y a que l'obéissance.
Mais Hobbes souligne
simultanément que ce n'est que grâce à l'instauration d'un tel système que les concepts de justice, de loi, de
morale, ou de droit acquièrent du sens et correspondent à une réalité.
En sorte qu'il faudrait considérer que ce n'est
globalement que grâce à la mise en place de l'État - et peut-être même du plus exigeant - que l'individu trouve son
propre espace.
Que ce dernier soit restreint importe alors assez peu, s'il est vrai que, sans l'État, il n'existerait
aucunement.
C'est précisément ce que n'admettent pas les théories anarchistes, qui supposent que l'individu existe avant l'État,
et que ce dernier n'est dès lors qu'une machine qui l'annule et le fait disparaître sous le poids de devoirs qui lui sont
imposés.
Si l'on souligne d'abord, comme le fait notamment Max Stirner, l'unicité de l'individu, on le dote
simultanément de qualités caractéristiques, l'intervention de l'État ne pouvant ensuite que détruire ces dernières.
L'État devient automatiquement l'ennemi de l'individu parce qu'il impose des exigences correspondant à des intérêts
collectifs, alors que l'« Unique », comme le nomme Stirner, ne devrait se soucier que de ses intérêts et désirs
singuliers et personnels.
Si l'on admet par ailleurs que l'État n'est rien de mieux que le représentant de la classe dominante et de ses
intérêts, on aboutit à un constat du même ordre, même s'il n'est pas exactement équivalent.
Dans la société
moderne, l'individu « bourgeois » ne semble sans doute pas victime de l'État, mais c'est évidemment le « prolétaire »
qui souffre le plus immédiatement du fait que l'État correspond aux intérêts de la classe qui l'exploite.
Toutefois, on
peut noter que l'idéologie bourgeoise est elle-même constitutive de la notion d'individu, en sorte que l'individu
bourgeois est trompé dans sa vision des rapports humains.
C'est bien ce que montre notamment la critique, rédigée
par Marx, de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : cette Déclaration ne concerne en fait qu'un
homme bourgeois, individualiste et séparé du collectif.
En conséquence les deux consciences sont fausses, et c'est
l'État lui-même qui produit une notion d'individu à laquelle adhère la conscience ouvrière en allant contre ses propres
intérêts..
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