L'essence même de la réflexion, c'est de comprendre qu'on n'avait pas compris. Qu'en pensez-vous ?
Extrait du document
«
Introduction
L'affirmation qu'on prétend nous imposer à la réflexion – « l'essence même de la réflexion, c'est de comprendre
qu'on avait pas compris » – semble, au premier abord, absurde : la réflexion n'est-elle pas censée aboutir à la
compréhension ?
Qu'est-ce donc que cette compréhension négative, qui rejette la compréhension passée comme erronée ?
En nous faisant douter de ce que l'on croyait savoir, l'ironie socratique nous oblige à admettre que la réflexion ne
commence que lorsque nous prenons conscience de notre ignorance, auparavant déguisée en savoir positif.
La
philosophie tente ainsi de nous défaire de nos opinions fausses, et de nous mettre en position de penser.
L'
« étonnement philosophique », cet événement par lequel nous « comprenons que nous n'avions pas compris », nous
met ainsi sur la voie d'un savoir assuré, fondé sur la contemplation des Idées éternelles (le Beau, le Bien, etc.).
Mais
en ce cas, l'essence même de la réflexion ne se révélerait-elle pas un processus temporel ?
Première partie
- La maïeutique socratique consiste à se défaire de ses fausses opinions : à l'intérieur de la doxa, Platon distingue
entre « opinion vraie » et « opinion fausse », dont on se défait volontairement dès lors que nous avons compris sa
fausseté (La République, 412a-413a, 506c).
Perdre une opinion fausse, c'est déjà se débarrasser d'un préjugé par
lequel nous croyions comprendre le monde.
L'allégorie de la caverne (La République, VII) montre comment le
prisonnier évadé prend conscience de son ignorance préalable.
Penser, c'est ainsi se détourner du monde sensible
que l'on croyait connaître pour contempler les idéalités intelligibles (idéalisme platonicien – cf.
La République, VII,
533 e - 534).
Exemple de l'écolier placé devant un schéma représentant notre galaxie : en lui expliquant les acquis de la révolution
galiléo-copernicienne, on lui permet de comprendre l'origine de l'illusion des sens selon laquelle le Soleil tournerait
autour de la Terre.
- Ce n'est qu'en se retournant sur son « savoir » présumé que l'on acquiert un véritable savoir.
La réflexion est ainsi
ce retour de la pensée sur elle-même, qui pense ses propres opérations.
Elle commence par le savoir négatif de
notre ignorance et de l'inadéquation de notre « savoir » antérieur soit à la vérité (opinion fausse), soit à la vie
(savoir positif, « opinion vraie » ou science, qui ne nous apprend néanmoins pas à « bien vivre »).
C'est
l'insatisfaction dans laquelle nous plonge cette compréhension négative qui nous donne à penser.
Deuxième partie
- La réflexion est ainsi ce dialogue de soi à soi, où l'on ne fige pas la pensée en adoptant une opinion, affirmative ou
négative, ou même une thèse scientifique donnée.
Elle est suspension du jugement : la réflexion commence là où le
doute s'installe (Méditations métaphysiques de Descartes).
Mais si l'étonnement qui surgit de la compréhension présente de notre état d'ignorance provoque la négation de
notre pensée présente, alors l'essence de la réflexion se révèle dans le cheminement dialectique de la négation à
l'affirmation, le doute initial devant conduire à l'assentiment (ou non) ultérieur.
Le doute cartésien conduit ainsi à
chercher les fondements stables et indubitables de la pensée (cogito).
- Si donc l'essence de la réflexion réside dans l'étonnement qui nous fait douter de notre savoir présumé,
compréhension négative qui nous amène à un savoir positif (la conscience de soi, ou le cogito), la pensée est alors
confrontée à un nouveau paradoxe.
En effet, l'essence est en principe immuable et éternelle, c'est-à-dire hors du
temps.
L'essence de la réflexion est la même, quel que soit le lieu ou le sujet qui pense.
Néanmoins, le temps
s'installe au cœur même de l'essence de la réflexion et du sujet : il ne suffit pas à l'écolier d'apprendre les acquis de
la révolution galiléo-copernicienne, ou de lire les Méditations métaphysiques ; il doit lui-même répéter ce processus
temporel de réflexion, « comprendre qu'il n'avait pas compris », c'est-à-dire prendre conscience de lui-même comme
« chose pensante dans le temps » (cogito kantien – cf.
cours de Deleuze sur Kant).
Conclusion
L'étonnement provoqué lorsque nous comprenons que nous n'avions pas compris est donc ce qui nous donne
à penser.
L'essence de la réflexion réside donc dans ce retour de la pensée à elle-même, par lequel le sujet prend
conscience de son ignorance préalable, qu'il déguisait en savoir positif.
Pour réfléchir, il faut d'abord admettre, avec
Socrate, que nous ne savions pas.
Dès lors, l'essence de la réflexion qui, comme toute essence, devrait être
immuable et anhistorique, fait intervenir en son sein la durée : le cheminement qui nous fait parvenir du doute
radical au cogito, lequel peut seul fournir un fondement stable à notre réflexion, est un parcours temporel que
chacun doit répéter pour soi-même.
La réflexion est ainsi un dialogue du sujet avec lui-même, où celui-ci se
découvre comme « chose pensante dans le temps » (Kant)..
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