l'esprit scientifique est-il compatible avec la croyance religieuse ?
Extrait du document
«
[Introduction]
La pensée scientifique repousse sans cesse les frontières du connu.
Ce faisant, comme le note le philosophe
Dominique Lecourt, sa démarche « implique un risque d'erreur» qui « retire donc par principe à cette pensée toute
garantie absolue de certitude».
La pensée religieuse, au contraire, se tourne « vers une vérité préalablement
donnée ».
Elle est profondément animée d'une certitude intérieure, dont témoignent ces mots du Christ : « Tu ne
me chercherais pas si tu ne m 'avais déjà trouvé.
»
A tout le moins, ces deux formes de la pensée sont fort dissemblables.
Mais peut-on aller jusqu'à dire qu'il y a
incompatibilité entre science et religion?
On les voit parfois s'exclure mutuellement.
S'agit-il d'une véritable incompatibilité entre elles, ou plutôt d'un
malentendu? Nous essaierons dans ce devoir d'examiner à quelles conditions leur accord est possible.
[Partie I.
Le désaccord de la science et de la religion.]
Religieux et scientifiques ne saisissent pas toujours que la connaissance rationnelle et la croyance sont des formes
d'esprit différentes, qui, à ce titre, peuvent tout à fait coexister pacifiquement au sein de l'humanité.
La querelle
survient lorsque l'une ou l'autre revendique exclusivement pour elle le domaine de la vérité et ne laisse aucune place
pour l'autre forme de pensée.
C'est le cas lorsque les vérités révélées, ou théologiques, sont présentées par les religieux comme des vérités
scientifiques, comme des faits.
Les dogmes religieux ne sont pas alors seulement objets de croyance, ils se donnent
aussi comme objets de connaissance, comme s'ils étaient sur le même plan et de même nature que les vérités
scientifiques.
Alors, ces mêmes religieux ne peuvent manquer d'interpréter comme une contradiction avec leur vérité
les résultats scientifiques qui ne la confirmeraient pas.
Par exemple, on assiste de nos jours à une véritable offensive des courants religieux fondamentalistes (qu'ils soient
catholiques, protestants, islamiques) contre la théorie scientifique de l'évolution, contre les résultats de la
recherche géologique ou paléontologique.
Que la terre soit en effet vieille de plusieurs milliards d'années, voilà qui
n'est pas compatible avec les estimations que l'on peut inférer de la Bible, et selon lesquelles elle aurait été créée
par Dieu il y a quelques milliers d'années seulement.
Que l'univers ait pour origine un big bang semble peu conciliable
avec le dogme de sa création divine en quelques jours.
Que l'homme, enfin, soit le produit de transformations
successives à partir d'espèces animales, voilà un véritable scandale pour qui croit qu'il a été créé par Dieu à son
image.
Certains religieux en viennent donc à contester, au nom de ces différents dogmes, la véracité des résultats de la
recherche scientifique, et leur caractère scientifique lui-même.
C'est sur le terrain scientifique qu'ils se placent
apparemment, lorsqu'ils contestent la méthode employée, la valeur des raisonnements et des hypothèses.
La vraie
science est selon eux celle qui s'accorde avec les enseignements de la religion vraie.
Et si les sciences, telles
qu'elles sont faites actuellement par la communauté scientifique, n'apportent pas la confirmation des faits écrits
dans la Bible ou le Coran, alors on les déclare fausses, incertaines.
Dans ces conditions, le rapport de force est inévitable, car les sciences sont animées par un esprit de vérité soumis
aux seules règles de la raison, et ne se soucient pas de corroborer les affirmations théologiques.
Elles ne sont pas
mues par le désir de découvrir des vérités compatibles avec les vérités révélées, et c'est donc leur faire violence
que de les soumettre à ces dernières.
Le jugement d'incompatibilité, posé par tous ceux qui font une lecture littérale
des écritures saintes, de certaines découvertes scientifiques avec la religion peut donc déterminer une attitude
anti-scientifique qui assujettit la science aux vérités religieuses.
Ainsi, il y a quatre siècles déjà, Galilée dut se
rétracter, et affirmer publiquement que la terre ne tournait pas.
Et pourtant,...
A l'inverse, il ne manque pas de philosophes pour penser que l'esprit scientifique finira par remplacer les vieilles
croyances religieuses.
C'est une autre manière de considérer comme incompatibles sciences et religions.
Ainsi, Auguste Comte (philosophe français, 1798-1857) établit une loi sur l'évolution intellectuelle de l'humanité,
suivant laquelle l'espèce humaine comme les individus passent par trois âges différents, qu'il nomme théologique,
métaphysique et positif.
Le premier, l'âge théologique, correspond au besoin primitif de rechercher avidement
l'origine de toute chose, les causes essentielles des phénomènes.
On remonte pour cela jusqu'à une cause première,
Dieu.
Le terme de l'évolution de l'esprit humain est l'état positif «ou réel».
L'âge positif se caractérise par excellence
par l'esprit scientifique moderne.
Pour ce dernier, il ne s'agit pas de raisonner à partir de simples idées, de spéculer
sur l'existence indémontrable d'un principe premier et d'une Cause transcendante.
Son principe est le suivant:
« Toute proposition qui n 'est pas strictement réductible à la simple énonciation d'un fait, ou particulier ou général,
ne peut offrir aucun sens réel et intelligible.
» (Discours sur l'esprit positif, 1844).
L'esprit théologique et l'esprit scientifique se succédant dans le temps, le premier doit s'effacer devant le second; le
recours à des causes imaginaires ou transcendantes doit se subordonner à l'observation.
Il n'y a pas de place en
même temps pour l'attitude rationnelle et la conception religieuse du monde.
Là encore, une forme d'esprit est
assujettie à une autre.
[Partie Il.
A quelles conditions science et religion sont-elles compatibles?]
Dans le conflit qui oppose science et religion, des solutions de compromis et des tentatives de conciliation existent.
Comme le résume Dominique Lecourt, elles « reviennent toutes à délimiter strictement les domaines de certitude de
chacune des formes de la pensée».
En philosophie, un tel partage fut inauguré par Francis Bacon (1561-1626), dans son oeuvre Novum Organum (16051620).
Alarmé par la méfiance que l'on peut déceler dans les Écritures à l'égard du savoir, et soucieux de promouvoir
l'esprit de recherche, il établit de manière inédite dans la religion protestante une séparation aussi nette que.
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