L'esprit qui ne sait plus douter, dit Alain, descend au-dessous de l'esprit. Qu'en pensez-vous ?
Extrait du document
«
Introduction :
Bien définir les termes du sujet :
- « L'esprit » : Il s'agit ici du sens général de l'esprit entendu comme ce qui est opposé au corps, et à la matière, c'est le
principe de la pensée et de la réflexion.
L'esprit est donc considéré comme spécifiquement humain.
- « Le doute » : Douter c'est remettre en cause, refuser d'accepter immédiatement ce que l'on nous dit, ne pas adhérer.
Le
doute est l'état d'esprit touchant la réalité d'une chose ou d'un événement, la validité d'un raisonnement.
Ne plus savoir douter, c'est ne plus être en mesure de prendre de la distance par rapport à une information pour
l'examiner, et décider si on l'accepte.
- « Descendre au-dessous de l'esprit » : il s'agit ici d'un jugement de qualité, c'est ne plus exercer les fonctions de l'esprit,
et donc ne plus pouvoir être considéré comme un esprit en tant que tel.
Construction de la problématique :
Le sujet ne pose pas la question de la capacité initiale de l'esprit à douter – il ne s'agit pas ici de savoir quel est le
rôle de l'esprit, mais plutôt de sa possible dénaturation : l'esprit ne sait plus douter.
Il ne s'agit pas d'un choix libre, d'une
décision - qui n'empêche pas à nouveau l'exercice du doute, mais plutôt d'une incapacité contractée, peut-être à la suite
d'un manque d'exercice.
à Cependant, si l'on admet que le doute est une caractéristique de l'esprit, et que l'esprit est une caractéristique
de l'homme, alors il semble que le doute soit une caractéristique de l'homme.
Se pose donc la question de savoir si
l'absence de l'exercice du doute met en danger l'humanité de l'homme.
Autrement dit, est-ce que l'homme qui ne doute
pas est tout de même un homme – au sens d'être spirituel ?
Plan :
I/ Le doute est nécessaire à la connaissance :
Si l'esprit se définit par sa capacité à douter, alors il se définit aussi par la capacité qui lui est concomitante, à
savoir celle de connaître.
C'est en effet le doute qui permet de faire avancer la science en la poussant à aller sans cesse
plus loin dans ses justifications.
● C'est de cette manière que Descartes utilise le doute.
En effet, il est selon lui la méthode par excellence pour
constituer une science vraie – une science qui ne se base pas sur des illusions.
Dans les Méditations métaphysiques,
Descartes s'est rendu compte qu'il croyait à bon nombre de choses, et que certaines d'entre elles étaient fausses.
Il
décide donc de tout examiner, de mettre tout en doute, pour parvenir à la vérité et se libérer des illusions.
Il considère
comme fausse toute chose qui n'est pas certaine, c'est l'évidence qui est le critère de certitude.
Le doute cartésien est
radical (pas d'intermédiaire entre le vrai et le faux), rationnel (motivé par des raisons de douter) volontaire (repose sur
une pure décision) et vécu.
● Ce doute, par ses caractéristiques apparaît donc bien comme étant provisoire, et comme n'étant qu'un moyen
pour parvenir à une véritable science ; il fonde ainsi de manière inébranlable chaque certitude.
L'esprit doit donc douter
pour parvenir à la vérité, et celui qui ne sait plus douter est condamné à vivre dans le monde des apparences.
II/ Le doute comme distance par rapport au monde :
Le doute nécessite un objet, c'est-à-dire qu'il porte toujours sur quelque chose, que ce soit un objet extérieur, ou
soi-même.
De ce fait, le doute invite à considérer le monde, et ce n'est possible que lorsque l'on se considère comme
distant du monde.
● En effet, c'est seulement parce que je considère le monde comme extérieur à moi, comme différent de moi que je
peux exercer le doute.
Cette distance par rapport au monde est permise par la conscience.
En effet, comme l'explique
Sartre dans L'être et le néant, la conscience est un « néant », c'est-à-dire une puissance néantisante – capable de nier
l'existence du monde, de le dire différent d'elle - qui permet le dévoilement du monde par sa mise à distance.
● Si le doute implique nécessairement comme fondement une mise à distance du monde, et si cette mise à
distance n'est possible que par le biais de la conscience, alors celui qui ne sait plus douter est celui qui ne sait plus se
mettre à distance du monde.
Il est engagé dans le monde, enfoncé, englué, il ne se distingue plus de lui, et n'existe donc
plus en tant que conscience.
L'individu qui ne doute plus n'existe donc plus comme conscience et n'existe donc plus non
plus en tant qu'esprit.
Sa qualité d'homme peut de ce fait être remise en cause.
III/ Douter comme marque de la liberté :
Mais la particularité du doute cartésien, est qu'il est motivé par une tromperie.
Il s'aperçoit en effet que certaines
choses qu'il a toujours considérées comme vraies sont en réalité fausse.
Or, on pourrait considérer que le véritable doute
ne se contente pas de porter sur ce qui nous est révélé comme étant une illusion.
● C'est ce qu'explique Alain dans Libres propos, lorsqu'il dit « douter quand on s'aperçoit qu'on s'est trompé ou que
l'on a été trompé, ce n'est pas difficile ; je voudrais même dire que cela n'avance guère.
» Ce doute là est selon lui forcé,
c'est une violence qui nous est faite, et il est de ce fait une faiblesse, et caractérise plus une confiance trompée qu'une
réelle capacité de l'esprit.
Le véritable doute doit être une initiative, une décision : l'esprit doit toujours douter, c'est-à-dire
toujours examiner.
● Croire, selon Alain, est un confort qui nous permet d'avoir des illusions, de vivre agréablement, mais cela fait de
nous des animaux.
La crédulité est l'absence de l'exercice du doute, elle nous démet de notre rang d'Homme, parce qu'elle
« nous fait dormir les yeux ouverts comme font les bêtes ».
Le doute doit être pratiqué par chacun, et jamais délégué sous
peine de perdre sa liberté.
En nous permettant de nous constituer notre propre jugement, le doute nous permet donc de
rester libres, autrement dit, de rester des hommes.
C'est la raison pour laquelle il est possible de dire avec Alain que
l'esprit qui ne sait plus douter descend au-dessous de l'esprit..
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