Les vivants sont gouvernés par les morts - COMTE (Auguste)
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«
Les vivants sont gouvernés par les morts - COMTE
L'homme fait partie de l'histoire et l'individu d'aujourd'hui a une dette envers ses prédécesseurs qui lui ont permis d'être ce qu'il est.
Son héritage est
grand, c'est tout le trésor de l'oeuvre commune qui le précède.
"C e n'est pas seulement aujourd'hui que chaque homme, en s'efforçant d'apprécier ce qu'il doit aux autres, reconnaît une participation beaucoup plus
grande chez l'ensemble de ses prédécesseurs que chez celui de ses contemporains.
Une telle supériorité se manifeste, à de moindres degrés, aux
époques les plus lointaines ; comme l'indique le culte touchant qu'on y rendit toujours aux morts (...).
Ainsi, la vraie sociabilité consiste davantage dans
la continuité successive que dans la solidarité actuelle.
Les vivants sont toujours, et de plus en plus, gouvernés nécessairement par les morts : telle est
la loi fondamentale de l'ordre humain."
Auguste C OMTE, Catéchisme positiviste, Première partie, 1852, ® Flammarion.
Expliquez : « la vraie sociabilité consiste davantage dans la continuité successive que dans la solidarité actuelle.
»
L'homme est lié aux siens dans la double dimension du temps et de l'espace et ce qu'il doit à ses aînés est plus important que ce qu'il tient de ses
contemporains.
La « sociabilité » qui caractérise sa dimension humaine ne se réduit pas au seul sentiment qui pousse les hommes à s'entraider en un moment donné (« la
solidarité actuelle »).
La « vraie sociabilité » concerne la reconnaissance de tous les efforts de ceux, plus nombreux, qui nous ont précédés dans la réalisation du monde actuel.
Introduction
Dans son Discours sur l’ensemble du positivisme, Auguste C omte consacre sa conclusion générale au « culte systématique de l’humanité » dont provient notre
extrait.
Il y défend la nécessité d’un culte des grands hommes du passé que les hommes doivent poursuivre à travers les âges afin d’affirmer la continuité de la
culture humaine.
L’enjeu de ce texte est donc d’établir le devoir que les hommes du présent ont de célébrer le culte systématique de l’humanité, fondement de
tout le positivisme.
Comte établit sa thèse en deux moments corollaires : tout d’abord la reconnaissance de la dette des hommes vivants aux grands hommes
du passé supérieure à celle qu’ils ont contracté à l’égard des contemporains, ensuite la thèse d’une sociabilité fondée sur la continuité de l’humanité.
I Le devoir de mémoire fondé sur la dette
_ Tout d’abord C omte montre que les hommes ont une dette supérieure à l’égard des morts anciens que des contemporains encore vivants.
Il étaye sa thèse
en montrant qu’elle n’est pas l’invention de son seul esprit : « ce n’est pas seulement aujourd’hui que chaque homme en s’efforçant d’apprécier ce qu’il doit aux
autres reconnaît une participation beaucoup plus grande chez l’ensemble de ses prédécesseurs que celui de ses contemporains; » En effet si notre vie
quotidienne se fait avec les vivants qui concourent au progrès de l’esprit humain, leur part est infime comparée à celle du passé.
Dans notre vie de tous les
jours, nous existons par la technique, l’art, les croyances, les idées, les institutions et la langue qui nous vient des morts.
Ainsi nous sommes infiniment plus
redevables aux anciens qu’aux vivants : L’héritage qu’ils nous ont légué est non seulement plus important et plus grand que ce notre époque produit en termes
de savoir ou de technique, mais cet héritage est la condition sine qua none sans laquelle le progrès de notre époque ne pourrait être possible.
_ Pour confirmer la nécessité d’un culte systématique de l’humanité, il se réfère à l’exemple paradigmatique de la tradition antérieure : « une telle supériorité
se manifeste , à de moindre degrés, aux époques les plus lointaines : comme l’indique le culte touchant qu’on y rendit toujours aux morts »; En effet que ce soit
le culte des ancêtres dans la C hine ancienne, le culte des ancêtres sous la forme des « imagines » masques mortuaires en cire dans la Rome ancienne ou
encore le culte des pharaons dans l’Égypte, l’histoire de la culture humaine est traversée par l’idée de ce culte que Comte veut instituer à l’époque moderne.
II La gloire est le soleil des morts qui est lui-même éclairé par les vivants
_ La culture est ce qui fait que les hommes sont des hommes arrachés au règne de la nature.
Or selon Comte, toute culture est en son essence culte des
morts.
En effet « la vraie sociabilité consiste davantage dans la continuité successive que dans la solidarité actuelle ».
La sociabilité désigne la capacité que
les hommes ont de vivre en commun; Or s’il est évident que les vivants avec d’autres vivants, il est étonnant de penser que la sociabilité est plus forte dans la
continuité de l’humanité qui relie les vivants et les morts que dans la solidarité, c’est-à-dire dans les liens du présent avec lui-même.
Notre capacité à vivre
en commun selon Comte trouverait sa signification la plus paradigmatique dans la relation ue nous avons avec les morts.
Au fond nous aurions plus de
relations avec les grands morts du passé qu’avec nos vivants contemporains !
_ Sur cette continuité de l’humanité par la culture, Comte fonde la nécessité d’une nouvelle religion de l’humanité basée sur le culte des grands hommes.
Selon
lui, une civilisation ne peut tenir que si ses membres sont liés entre eux par ce qui les dépasse, c’est-à-dire les grands hommes.
On comprend alors pourquoi
la solidarité actuelle est jugée inférieure à la continuité successive de l’humanité : ce qui nous relie les uns aux autres (la solidarité), c’est précisément cette
continuité avec les anciens; on peut se référer à la construction du Panthéon à l’époque révolutionnaire à cette idée comtienne sur lequel est inscrit la
sentence « aux grands hommes la patrie reconnaissante ».
Le Panthéon est à l’origine l’ambition de concurrencer les saints de l’église chrétienne par le culte
des saints laïcs : les grands hommes de la nation.
On comprend alors pourquoi « les vivants sont toujours et de plus en plus gouvernés nécessairement par
les morts » la progression de l’histoire humaine accumule des grands hommes morts dont l’héritage gouverne les vivants que nous sommes.
Conclusion :
Le culte des morts illustres n’est pas la célébration du passé en tant que tel, mais celle de la continuité de ce grand être que forme l’humanité passée,
présente et future.
Par opposition à l’ordre animal où chaque individu en naissant doit recommencer ce que tous les autres membres de son espèce a fait
avant lui, l’homme est le premier être dans l’histoire de la vie terrestre qui n’est pas condamné à tout recommencer en naissant.
Ce qui le libère de la
répétition, c’est justement l’héritage laissé par les morts qui fonde une dette et la nécessité pour les vivants de les célébrer par des commémorations.
Dans le
calendrier positiviste, chaque jour est consacré à un homme illustre comme dans le calendrier chrétien et l’école est le lieu où la commémoration a lieu.
Les
grands hommes méritent en effet notre reconnaissance puisque ils ont fait ce que nous sommes.
Néanmoins, il convient de nuancer la thèse de C omte : les
morts ne gouvernent les vivants u’à conditions que les vivants reconnaissent la grandeur des morts.
En effet le divinisation des grands hommes n’est que
relative; les morts sans les vivants pour perpétuer leur souvenir disparaissent dans l’oubli; Au fond la seule religion c’est la mémoire, c’est-à-dire la vie des
morts en nous; Ainsi les morts ne sont vivants ue par la continuité que nous décidons nous-mêmes d’établir entre le passé dont nous sommes les héritiers et
l’avenir que nous contribuons à construire par la reprise de ce flambeau : la culture..
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