Les techniques ne sont-elles qu'une application des sciences ?
Extrait du document
«
Termes du sujet:
SAVOIR / SAVANT:
* Savoir: a) Comme nom, ensemble de connaissances acquises par l'apprentissage ou l'expérience.
b) Comme
verbe, avoir appris quelque chose, et pouvoir le dire, le connaître, le répéter.
* Savoir-faire: ensemble de procédés de gestes habituels permettant la réalisation régulière de certains buts.
* Savant: a) Celui qui possède un maximum de connaissances.
b) Celui qui exerce une activité scientifique (un
physicien, un biologiste).
SCIENCE : Ensemble des connaissances portant sur le donné, permettant la prévision et l'action efficace.
Corps
de connaissances constituées, articulées par déduction logique et susceptibles d'être vérifiées par l'expérience.
THÉORIE (n.
f., étym.
: grec theoria : vue d'un spectacle, contemplation, spéculation) 1.
— (Lato)
Connaissance spéculative, abstraite, désintéressée, enchaînant des principes à des conséquences ; opposée à
pratique.
2.
— Ensemble d'hypothèses gén.
visant à expliquer soit la totalité, soit une classe déterminée de
phénomènes.
3.
— Ensemble d'hypothèses, d'opinions gén.
propres à un auteur.
4.
— Construction achevée d'une
doctrine scientifique : « La théorie est l'hypothèse vérifiée après qu'elle a été soumise au contrôle du raisonnement
et de la critique expérimentale » (Claude BERNARD).
TECHNIQUE
Tout ensemble de procédés pour produire un résultat utile.
La technique moderne s'appuie sur la science; mais elle
s'en distingue puisque la science est un effort pour expliquer ce qui existe tandis que la technique cherche à
produire ce qu'on souhaite qui soit — qui n'est pas.
La technique peut se définir comme un vouloir, incarné en un
pouvoir par l'intermédiaire d'un savoir.
Comme adjectif: par opposition à esthétique, qui concerne des procédés susceptibles d'être développés et transmis,
et non des dons ou capacités innées.
Il est vrai qu'avec le développement des sciences, la technique s'est considérablement développée.
Elle en est
même venue à changer de forme, abandonnant son caractère artisanal pour devenir une technologie, c'est-à-dire
un ensemble de dispositifs et de procédés dérivés de théories scientifiques.
Fondée sur la science, cette technique
n'est plus celle, traditionnelle, de l'artisan ; elle devient, à partir de la Renaissance, le fait d'un technicien savant,
l'ingénieur.
Bergson a sans doute raison de considérer que l'intelligence technicienne de l'ingénieur s'ajoute, sans s'y
substituer, au véritable « esprit d'invention mécanique » qui perdure aujourd'hui encore chez n'importe quel
bricoleur.
Cet esprit est inventif, rusé, plein de ressources, qualités qu'Ulysse incarnait aux yeux des Grecs.
Il est à
l'origine de la plus grande
révolution technique qu'ait connu l'humanité : le passage à l'ère néolithique déterminé par l'apparition de l'agriculture
et de l'élevage.
Nulle science n'a fondé l'invention de ces très anciennes techniques qui ont été le fait de sociétés
traditionnelles dominées par la croyance aux mythes.
Les techniques ne sont donc pas exclusivement des applications des sciences ; elles le sont devenues seulement en
partie et tardivement.
Le propos de Bergson est sur ce point convaincant.
Mais le texte avance aussi l'idée plus
discutable que le véritable esprit technique est spontané, irréfléchi, donc intuitif, voire instinctif.
L'innovation
technique serait une sorte de jaillissement créateur, un acte irréfléchi accomplissant, indépendamment de tout
calcul, à la fois une synthèse et un dépassement des données en présence.
Cette conception offre l'intérêt de
souligner nettement ce que l'esprit de la technique a d'essentiellement novateur, ne se contentant jamais
d'appliquer aveuglément un schéma général mais le déformant toujours, au moins pour l'adapter aux circonstances.
L'inventivité n'est pas seulement à l'oeuvre dans l'élaboration de procédés nouveaux ; elle anime tout acte
technique.
Une technique routinière est forcément sclérosée, figée, incompatible avec l'efficacité technique.
Faut-il
mettre au compte de l'intuition ce génie créatif dont la technique est l'expression ? On peut au contraire défendre
les droits d'une intelligence technicienne.
Il ne saurait évidemment s'agir de l'intelligence théorique en oeuvre dans
les sciences et plus généralement dans les oeuvres de la raison.
Mais l'intelligence n'est pas nécessairement
théoricienne.
L'ingéniosité innovatrice en oeuvre dans l'activité technique peut résulter d'une pensée combinatoire
dont les calculs échappent le plus souvent à la conscience du sujet.
Les conditions de l'acte technique ne sont donc ni instinctives ni théoriques : elles relèvent d'une intelligence et
d'une culture pratiques.
Précisons ce qu'il faut entendre par là.
Il est rare qu'un inventeur découvre quoi que ce soit
sans avoir pris connaissance des données du problème que sa découverte surmonte.
Une appropriation intellectuelle
des éléments d'une situation critique est indispensable à l'élaboration d'une réponse techniquement pertinente.
D'autre part, les innovations sont en général toujours des améliorations : ce qu'on faisait déjà, on le fait mieux, avec
plus de facilité grâce au nouveau procédé technique.
Par conséquent la pensée technique suppose toujours une
certaine culture pratique : l'inventeur de l'arc était sans doute déjà chasseur ou guerrier et avait donc déjà une
certaine intelligence de l'acte d'atteindre une cible.
C'est l'articulation en pensée d'une action qui rend possible
l'invention de nouveaux moyens pour cette action.
Cette articulation n'est pas forcément conceptuelle, c'est-à-dire
accomplie par l'intermédiaire de mots.
Elle est beaucoup plus concrète et implique bien souvent la perception du
corps propre.
On peut calculer avec ses doigts et c'est d'une telle pratique qu'est issue l'invention du boulier.
Fonder l'ingéniosité technicienne, comme le fait Bergson dans notre texte, sur la nature et l'intuition revient donc à
nier sa nature intelligente et culturelle.
Sans être forcément intellectualisé, c'est-à-dire théorisé, l'acte technique
repose toujours sur la maîtrise d'une pratique et sur la perception articulée, donc intelligente, d'une situation critique.
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