Les sciences progressent-elles vers la vérité ?
Extrait du document
«
Introduction
S'il est un progrès qui paraît peu contestable (si la notion de progrès a un sens sérieux), c'est bien dans
l'accumulation des savoirs scientifiques à quoi aboutit le développement des sciences modernes.
Cela signifie-t-il
que ces dernières s'avancent vers la vérité, c'est-à-dire vers une vérité qui pourrait être considérée comme absolue
ou définitive? Ne vaut-il pas mieux penser que la vérité scientifique elle-même est en fait à toujours réélaborer?
1.
Connaissance, réalité et vérité
— Rappeler que tous les problèmes rencontrés par la philosophie classique à propos de la vérité viennent d'une
confusion entre cette dernière et la réalité.
— Tant que l'on a admis (de Platon jusqu'au criticisme kantien) que la connaissance avait pour but de coïncider
avec la réalité (quelle que soit la conception de cette coïncidence, notamment sous l'aspect de la copie), on s'est
heurté à des difficultés insurmontables.
Une idée ne serait pas qualifiée de « vraie » ou « fausse » en elle-même par ses caractéristiques
intrinsèques, mais seulement par sa conformité ou non à la réalité.
Les scolastiques disaient : « La vérité
c'est la conformité de notre pensée aux choses » (« adeaquatio rerum et intellectus »).
L'idée vraie est celle
qui est fidèle à la réalité.
Si on admet que ma connaissance d'un objet doit s'accorder avec lui pour être vraie ; mais, pour que
je puisse juger de cet accord il faudrait que j'en saisisse les deux termes.
Dans ces conditions remarque
Kant, « le seul moyen que j'ai de comparer l'objet avec ma
connaissance, c'est que je le connaisse », ce qui constitue un cercle,
« car, puisque l'objet est hors de moi et que la connaissance est en
moi, tout ce que je puis apprécier, c'est si ma connaissance de l'objet
s'accorde avec ma on de l'objet ».
Cette définition est incontestable mais imprécise.
Car il reste à
interpréter cette conformité, cette fidélité de la pensée vraie au réel.
Le sens
commun en donne une interprétation très simple : la vérité serait une simple
copie de la réalité, la présence même de la réalité dans ma conscience qui la
reconnaît.
La connaissance vraie serait une simple réception de la réalité.
Or nous nous proposons de montrer que cette notion de vérité-copie n'a
aucun sens, que tout jugement vrai est une reconstruction intelligible du réel,
suppose un travail de l'esprit et n'est pas un simple reflet passif.
Et ceci
s'applique à la vérité au sens artistique, comme à la vérité au sens
scientifique et philosophique.
Pour le sens commun, la vérité artistique n'est qu'un fidèle reflet.
Entre deux
portraits, un tableau, une photographie le sens commun n'hésite pas : malgré
la ressemblance « intérieure » du portrait peint, seule la photographie est
vraie.
Ainsi pour le sens commun, le moulage est plus vrai que la sculpture.
La vérité artistique n'est donc pas copie et reflet mais structuration, transfiguration.
L'art, dit Malraux, dans ses
« Voix du silence », « c'est ce par quoi les formes deviennent style ».
Le vrai ce n'est pas ici la réalité brute, mais
un réel stylisé, transfiguré, repensé par l'esprit.
De même la vérité scientifique suppose toute une reconstruction de l'expérience par les concepts.
Non seulement
les faits sont liés entre eux par des lois nécessaires, mais le jugement vrai n'atteint le fait qu'à travers des
techniques expérimentales.
Par exemple ce jugement : « Ce matin à 8heures il faisait 17° », qui paraît tout simple &
élémentaire, suppose déjà un haut niveau d'abstraction et diverses techniques expérimentales : d'abord les
techniques relatives à la mesure du temps, ensuite l'utilisation du thermomètre.
Pour que mon auditeur comprenne le
sens de ce jugement il faut qu'il sache que je parle de degrés centésimaux, il faut qu'il sache que la chaleur dilate
les corps et qu'en disant « il fait 17° » j'indique la hauteur de l'alcool dans un tube attaché à une règle graduée
posée sur ma fenêtre.
Dire qu'il fait 17° c'est parler un langage d'initié.
Mon jugement se réfère à la technique du
thermomètre qui suppose elle-même la théorie de la dilatation.
« Un instrument n'est qu'une théorie matérialisée »
(Bachelard).
Le jugement vrai transpose et reconstruit la réalité à travers tout un réseau de manipulations.
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