Les sciences ont-elles pour objet de transformer le monde ?
Extrait du document
«
Après comprendre et agir, la science tend à réaliser et à transformer le monde.
Il faudrait compléter la formule
d'Auguste Comte en disant : « Science d'où prévoyance, prévoyance d'où action..., action d'où réalisation,
réalisation d'où transformation ».
Auguste Comte: Le but de la science est-il la réussite technique ?
Science, d'où prévoyance : prévoyance, d'où action ; telle est la formule très simple qui exprime, d'une manière
exacte, la relation générale de la science et de l'art, prenant ces deux expressions dans leur acception totale.
Mais
malgré l'importance capitale de cette relation, qui ne doit jamais être méconnue, ce serait se former des sciences
une idée bien imparfaite que de les concevoir seulement comme les bases des arts, et c'est à quoi malheureusement
on n'est que trop enclin de nos jours.
Quels que soient les immenses services rendus à l'industrie par les théories
scientifiques, quoique, suivant l'énergique expression de Bacon, la puissance soit nécessairement proportionnée à la
connaissance, nous ne devons pas oublier que les sciences ont, avant tout, une destination plus directe et plus
élevée, celle de satisfaire au besoin fondamental qu'éprouve notre intelligence de connaître les lois des phénomènes.
— I — La science construit un inonde artificiel.
Rien de péjoratif dans ce mot d' « artificiel ».
La science n'est
plus seulement connaissance, ni seulement moyen d'agir, elle est aujourd'hui créatrice.
Technique et science
transfigurent le monde sous nos yeux : nous vivons dans un univers d'artifices ; nos maisons, notre cuisine, nos
plaisirs, nos villes et nos déplacements, nos campagnes, nos fleuves et nos montagnes s'enrichissent sans cesse de
réalisations, d'inventions, de transfigurations qui rendent la simple nature réduite et méconnaissable.
Certains le
regrettent (qui cependant portent lunettes, écoutent la radio, apprécient les autostrades et prennent des
remèdes), beaucoup ne s'en aperçoivent déjà plus.
Au fameux slogan de Descartes « nous rendre maîtres et
possesseurs de la nature », la science moderne ajoute « nous rendre responsables d'un autre univers ».
Dans la sixième partie du « Discours de la méthode » (1637),
Descartes met au jour un projet dont nous sommes les héritiers.
Il s'agit de
promouvoir une nouvelle conception de la science, de la technique et de leurs
rapports, apte à nous rendre « comme maître et possesseurs de la nature ».
Descartes n'inaugure pas seulement l'ère du mécanisme, mais aussi celle du
machinisme, de la domination technicienne du monde.
Si Descartes marque une étape essentielle dans l'histoire de la
philosophie, c'est qu'il rompt de façon radicale et essentielle avec sa
compréhension antérieure.
Dans le « Discours de la méthode », Descartes
polémique avec la philosophie de son temps et des siècles passés : la
scolastique, que l'on peut définir comme une réappropriation chrétienne de la
doctrine d'Aristote.
Plus précisément, il s'agit dans notre passage de substituer « à la
philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles » une « philosophie
pratique ».
La philosophie spéculative désigne la scolastique, qui fait
prédominer la contemplation sur l'action, le voir sur l'agir.
Aristote et la
tradition grecque faisaient de la science une activité libre et désintéressée,
n'ayant d'autre but que de comprendre le monde, d'en admirer la beauté.
La
vie active est conçue comme coupée de la vie spéculative, seule digne non
seulement des hommes, mais des dieux.
Descartes subvertit la tradition.
D'une part, il cherche des « connaissances qui soient fort utiles à la vie », d'autre part la science
cartésienne ne contemple plus les choses de la nature, mais construit des objets de connaissance.
Avec le cartésianisme, un idéal d'action, de
maîtrise s'introduit au cœur même de l'activité de connaître.
La science antique & la philosophie chrétienne étaient désintéressées ; Descartes veut, lui, une
« philosophie pratique ».
« Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices qui feraient
qu'on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais
principalement aussi pour la conservation de la santé […] »
La nature ne se contemple plus, elle se domine.
Elle ne chante plus les louanges de Dieu, elle est offerte à
l'homme pour qu'il l'exploite et s'en rende « comme maître & possesseur ».
Or, non seulement la compréhension de la science se voit transformée, mais dans un même mouvement, celle
de la technique.
Si la science peut devenir pratique (et non plus seulement spéculative), c'est qu'elle peut
s'appliquer dans une technique.
La technique n'est plus un art, un savoir-faire, une routine, elle devient une science
appliquée.
D'une part, il s'agit de connaître les éléments « aussi distinctement que nous connaissons les métiers de nos
artisans ».
Puis « de les employer de même façon à tous les usages auxquels ils sont propres ».
Il n'est pas
indifférent que l'activité artisanale devienne le modèle de la connaissance.
On connaît comme on agit ou on
transforme, et dans un même but.
La nature désenchantée n'est plus qu'un matériau offert à l'action de l'homme,.
»
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