Les sciences morales peuvent-elles et doivent-elles être calquées sur les sciences de la nature
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«
Les sciences morales peuvent-elles et doivent-elles être calquées sur les sciences de la nature ?
INTRODUCTION.
— L'homme a cherché d'abord à connaître le monde extérieur.
Plus tard seulement sa curiosité s'est portée sur sa vie
intérieure et sur les faits individuels ou sociaux qui résultent de la vie psychique et qui font l'objet des sciences morales.
Aussi, dernières
venues et ayant tout juste acquis droit d e cité dans le domaine scientifique, les sciences morales cherchent encore leur voie et se
demandent si elles peuvent et doivent se calquer sur les sciences de la nature.
I.
— CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
A.
Sans doute, le processus de la pensée scientifique est partout le même : on commence par observer et par décrire les êtres concrets
qu'on veut connaître; le second moment consiste à généraliser en formant l'idée, de types généraux et en déterminant les lois qui les
régissent; enfin, u n e fois l'essence des choses connue, le servant peut, indépendamment des données d e l'expérience, construire
mentalement des êtres dont il détermine les propriétés par simple déduction; les mathématiques.
sont parvenues à ce dernier stade.
B.
Mais l'activité de l'esprit, est conditionnée aussi par la nature de l'objet auquel il s'applique : s'il peut partout observer, la complexité de
certains objets rend difficile, sinon impossible, le p a s s a g e au stade d e la généralisation et d e la déduction.
Le vaste domaine que
recouvre le terme de « sciences de la nature » nous permet de voir que, suivant la matière à laquelle il s'applique, le savant s'approche
plus ou moins de l'idéal représenté par les mathématiques.
Les sciences physiques s'acheminent vers lui : la chimie détermine des types bien distincts; la physique formule des lois générales
précises; toutes deux, dans une large mesure, recourent à la déduction.
Les sciences naturelles, au contraire, en restent encore fort éloignées : les espèces biologiques paraissent bien artificielles quand on les
compare aux espèces chimiques; les lois qui régissent les être vivants ne sauraient avoir la précision des lois physiques et les déductions
qui se fondent sur elles risquent d'aboutir à des conclusions que démentira l'expérience : ces lois ne sont que statistiques et n'assurent
qu'une probabilité.
On le voit, bien que ses- démarches soient toujours les mêmes, l'esprit est obligé de s'adapter aux divers objets auxquels il s'applique :
même dans les sciences de la nature, les méthodes diffèrent et les sciences biologiques ne sont pas rigoureusement calquées sur lessciences physico-chimiques.
II.
— APPLICATION AU CAS DES SCIENCES MORALES.
Après ces considérations générales, il nous sera facile d e déterminer si les sciences morales peuvent s e contenter de décalquer les
sciences de la nature.
A.
Elles diffèrent des sciences de la nature par leur objet.
— a) L'objet des sciences morales est d'abord plus complexe que celui des
sciences naturelles, car, à la Complexité déjà fort grande du vivant s'ajoute celle qui résulte : 1° de la pensée qui comporte, dans sa plus
large compréhension, toutes les formes d'activité supérieure de l'esprit (mémoire réfléchie ou pensée, imagination créatrice, sentiment
esthétique, constructions rationnelles, conceptions générales sur la vie, projets à longue portée, etc.) et comme corollaire la liberté; 2° de
la vie en société qui forme l'individu, lui donnant un moi collectif qui interfère d'une façon inextricable avec le moi personnel.
b ) O n peut même dire qu'il est réellement autre.
Les sciences de la nature, en effet, se cantonnent dans la matière.
Au contraire, les
sciences morales ont pour centre essentiel d'intérêt l'activité spirituelle de l'homme et des sociétés humaines.
Sans doute, cette activité a
des effets dans le monde matériel, mais, pour expliquer ces événements matériels e u x - m ê m e s , l e s sciences morales recourent à la
considération de la vie intérieure ou psychique, et c'est par cela précisément qu'elles se distinguent des sciences de la nature.
B.
La différence d'objet entraîne une différence de méthode.
— a ) C o m m e les sciences de la nature, les sciences morales partent de
l'observation; mais tandis que les premières se contentent de l'observation externe, les secondes recourent aussi constamment, d'une
façon plus ou moins réfléchie ou explicite, à l'observation interne ou par la conscience : c'est l'introspection seule qui, non seulement en
psychologie, mais encore en sociologie et en histoire, peut donner une idée des faits qu'elles étudient; c'est aussi elle qui suggère la
plupart des hypothèses explicatives; c'est enfin par une expérience imaginaire interne que ces hypothèses sont soumises à une première
vérification.
b) Ainsi, l'expérimentation intervient dans les sciences morales comme dans les sciences d e la nature, mais sous des formes bien
différentes.
Dans les sciences morales, on expérimente au sens fort du terme, c'est-à-dire que .l'on vit ou que l'on revit soi-même le fait étudié :
jalousie ou
association d'idées, atmosphère d e crise politique ou d e défaite, patriotisme ou sentiments religieux.
Dans les autres sciences,
l'expérience consiste à provoquer un phénomène qu'on observe toujours du dehors et jamais du dedans; on constate, on n'éprouve pas.
Mais on entend par expérimentation scientifique la production d'un phénomène dans des conditions rigoureusement déterminées avec la
possibilité de le reproduire dans des conditions identiques et de varier à volonté ces conditions.
Ce programme, facile à réaliser dans les
sciences physico-chimiques et partiellement réalisable en biologie, est inapplicable dans les sciences morales qui, sauf quelques cas
exceptionnels, doivent se contenter de comparer des faits observés et renoncer à les provoquer dans les conditions qui permettraient une
vérification indiscutablement valable de l'hypothèse.
CONCLUSION.
— Les sciences morales ne peuvent donc pas- et ne doivent pas être calquées sur les sciences de la nature.
Il n'en est pas
moins vrai que leur progrès est conditionné par l'introduction dans leurs recherches des procédés de ces dernières.
Elles doivent donc
s'inspirer des sciences de la nature dont les méthodes peuvent être adaptées à leur propre objet.
Sciences de la nature
Sciences humaines
langage mathématiques
langage du sens
ensemble de propositions formalisées
ensemble de significations
d'où les conséquences mesurables
d'où les interprétations
explication
compréhension
objectivité scientifique
intelligibilité herméneutique
ordre de l'objectivité des phénomènes
ordre de la subjectivité du sujet humain
chose et objet
conscience et sujet.
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