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Les romantiques voyaient dans l'affectivité le facteur essentiel du travail créateur. Pourtant, Diderot nous dit : « Les grands poètes, les grands acteurs, et peut-être en général tous les grands imitateurs de la nature sont les êtres les moins sensibles

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CONSEILS PRELIMINAIRES    1. Le sujet exige une certaine culture, une connaissance assez approfondie des théories esthétiques du XVIIIe et du XIXe siècles, connaissance qui d'ailleurs ne dépasse pas les possibilités d'un bon élève. Il reste préférable, pour ne pas s'engager dans un contre sens à propos de la formule de Diderot, d'avoir lu le «Paradoxe sur le Comédien».  2. Pourtant, il convient d'éviter les développements purement littéraires. Le sujet précise que la question posée reste le rôle de l'affectivité dans le travail créateur et Diderot restreint encore le problème en indiquant qu'il faut entendre l'expression « travail créateur » dans le sens esthétique (poètes, acteurs, artistes).    L'œuvre du génie et même celle du talent, parce qu'elle a le pouvoir même de la vie, parce qu'elle émeut et inspire des idées, procure au profane — ou à celui qui se croit tel, un étonnement quasi religieux, un respect. Il est tenté de penser que l'homme qui a cet étrange pouvoir est quelque chose de plus qu'un homme, ou même quelque chose d'autre. Le mot « génie » renvoie d'ailleurs au concept d'un être intermédiaire, quelqu'un de moins puissant qu'un dieu, mais de plus valable qu'un homme.  Cette tentation se retrouve jusque dans la critique littéraire et elle est compréhensible dans une certaine mesure. Le critique tente d'expliquer pourquoi telle œuvre touche à partir des lectures de l'auteur par exemple, ou de sa vie ou de ses origines. Mais beaucoup d'autres hommes, beaucoup d'autres auteurs ont eu une vie aussi agitée, beaucoup ont lu les mêmes livres sans atteindre à cette clarté, à cette persuasion que nous admirons chez Balzac ou Tolstoï. Alors le critique s'en tire lui aussi, par le mot « génie » qui constate une supériorité mais ne l'explique pas. Les littératures françaises qu'on utilise dans les classes, à côté d'explications historiques et utiles, abondent en constats de ce genre qui se bornent en quelque sorte à tenir compte de ce qui est inexplicable.  Ce caractère mystérieux de l'œuvre d'art a permis à certains théoriciens de l'esthétique de renvoyer le génie créateur à l'affectivité qui, par définition, est le pouvoir irrationnel et inexplicable. Nous retrouvons en particulier des positions de ce genre à l'époque préromantique et romantique, en France, en Angleterre ou en Allemagne. Le mouvement littéraire du « Sturm und Drang » (tempête et élan) se réfère aux puissances irrationnelles du rêve et de la folie ; en France, Lamartine indique dans divers commentaires joints à ses méditations qu'il a écrit telle ou telle pièce de vers comme sous la dictée, le visage couvert de larmes. Et Musset écrit le vers célèbre :  « Ah, frappe-toi le cœur ; c'est là qu'est le génie. »

« Les romantiques voyaient dans l'affectivité le facteur essentiel du travail créateur.

Pourtant, Diderot nous dit : « Les grands poètes, les grands acteurs, et peut-être en général tous les grands imitateurs de la nature sont les êtres les moins sensibles.

» Que pensez-vous de cette opposition ? CONSEILS PRELIMINAIRES 1.

Le sujet exige une certaine culture, une connaissance assez approfondie des théories esthétiques du XVIIIe et du XIXe siècles, connaissance qui d'ailleurs ne dépasse pas les possibilités d'un bon élève.

Il reste préférable, pour ne pas s'engager dans un contre sens à propos de la formule de Diderot, d'avoir lu le «Paradoxe sur le Comédien». 2.

Pourtant, il convient d'éviter les développements purement littéraires.

Le sujet précise que la question posée reste le rôle de l'affectivité dans le travail créateur et Diderot restreint encore le problème en indiquant qu'il faut entendre l'expression « travail créateur » dans le sens esthétique (poètes, acteurs, artistes). L'œuvre du génie et même celle du talent, parce qu'elle a le pouvoir même de la vie, parce qu'elle émeut et inspire des idées, procure au profane — ou à celui qui se croit tel, un étonnement quasi religieux, un respect.

Il est tenté de penser que l'homme qui a cet étrange pouvoir est quelque chose de plus qu'un homme, ou même quelque chose d'autre.

Le mot « génie » renvoie d'ailleurs au concept d'un être intermédiaire, quelqu'un de moins puissant qu'un dieu, mais de plus valable qu'un homme. Cette tentation se retrouve jusque dans la critique littéraire et elle est compréhensible dans une certaine mesure. Le critique tente d'expliquer pourquoi telle œuvre touche à partir des lectures de l'auteur par exemple, ou de sa vie ou de ses origines.

Mais beaucoup d'autres hommes, beaucoup d'autres auteurs ont eu une vie aussi agitée, beaucoup ont lu les mêmes livres sans atteindre à cette clarté, à cette persuasion que nous admirons chez Balzac ou Tolstoï.

Alors le critique s'en tire lui aussi, par le mot « génie » qui constate une supériorité mais ne l'explique pas.

Les littératures françaises qu'on utilise dans les classes, à côté d'explications historiques et utiles, abondent en constats de ce genre qui se bornent en quelque sorte à tenir compte de ce qui est inexplicable. Ce caractère mystérieux de l'œuvre d'art a permis à certains théoriciens de l'esthétique de renvoyer le génie créateur à l'affectivité qui, par définition, est le pouvoir irrationnel et inexplicable.

Nous retrouvons en particulier des positions de ce genre à l'époque préromantique et romantique, en France, en Angleterre ou en Allemagne.

Le mouvement littéraire du « Sturm und Drang » (tempête et élan) se réfère aux puissances irrationnelles du rêve et de la folie ; en France, Lamartine indique dans divers commentaires joints à ses méditations qu'il a écrit telle ou telle pièce de vers comme sous la dictée, le visage couvert de larmes.

Et Musset écrit le vers célèbre : « Ah, frappe-toi le cœur ; c'est là qu'est le génie.

» Le critère de la poésie, c'est l'inspiration, état de grâce où le cœur parle et le poète écoute et se borne à transcrire. « Poète, prend ton luth...

» Cette conception du génie est particulièrement connue et diffusée à l'époque romantique, mais il s'agit en fait d'une tendance qui précède aussi le romantisme et lui survit.

On la retrouve par exemple dans le surréalisme qui, par réaction contre le raisonnable et le rationnel, proclame que l'art doit utiliser des procédés d'investigation jusque-là peu exploités, le rêve, l'écriture automatique, le « dérèglement des sens » qui seuls nous permettent d'atteindre les zones profondes de la conscience. Ces positions esthétiques se justifient, nous l'avons dit, principalement à cause de ce mystère qui entoure et suit le travail créateur, qui signifie — on ne sait trop pourquoi — un peu plus de ce que raisonnablement il devrait et pourrait signifier.

Mais d'autres arguments s'efforcent de les justifier.

D'abord on fait remarquer l'état singulier — proche de l'hypnose ou du rêve éveillé — qui est celui du créateur lorsqu'il crée.

Ainsi la psychologie s'est interrogée longtemps sur des faits qui apparemment militent en faveur de l'inspiration.

Le poète anglais Coleridge a composé en songe son poème Kubla Khan et au réveil n'a pu que le transcrire.

Le poète français Paul Valéry avoue avoir écrit le « Cimetière marin » parce qu'il était obsédé non par le sujet — jusque-là indéterminé — mais le rythme, la « forme sonore » du vers de onze pieds.

Flaubert déclare dans sa correspondance avoir écrit Madame Bovary pour rendre une impression, à la fois olfactive et visuelle, de moisissure et de cloportes. La psychanalyse, depuis une cinquantaine d'années en particulier, a tenté d'expliquer ces étrangetés de la création esthétique.

Le désir et le besoin de créer correspondraient à la sublimation de pulsions instinctives contrariées par la censure sociale.

La création artistique renverrait donc au riche « substratum » de la conscience, à cette zone obscure qui échappe à l'intelligence et à partir de laquelle les constructions intellectuelles s'organisent.

Il ne faut donc pas être surpris si l'artiste, pour y accéder, est plus aidé par l'inspiration que par la claire lumière de sa raison. Diderot, qui mérite, à cause de beaucoup d'aspects de son génie, d'être classé parmi les préromantiques, assez singulièrement sur ce point prend le contrepied d'une théorie qui allait être celle du romantisme.

Le « Paradoxe sur le comédien » dont est tirée la formule qui nous est proposée, soutient en effet l'idée — qui déjà à l'époque était «paradoxale», que le comédien — et plus généralement l'artiste — a besoin, s'il veut émouvoir — de ne pas être ému lui-même ou, en tout cas, de rester très lucide. Il faudrait se garder ici de commettre un contresens auquel la formule proposée, trop brève, semble nous inviter. Diderot ne dit pas que l'émotion est superflue pour l'artiste, que l'artiste est un cœur froid ou sec; il dit seulement que pour émouvoir, l'artiste doit avoir maîtrisé son émotion, doit pouvoir la considérer de haut, à froid presque, pour en dégager en quelque sorte les principales lignes : c'est alors seulement qu'il peut l'imiter, la faire revivre et aussi faire qu'on la partage. Il faut particulièrement remarquer dans le texte de Diderot l'expression : « Tous les grands imitateurs de la nature ».. »

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