Les progrès techniques s'accompagnent-ils nécessairement d'un progrès de le raison ?
Extrait du document
«
[Plus la raison avance, plus la technique
et la science progressent.
L'homo rationalis est aussi un homo faber.]
La raison est d'abord instrumentale.
avant d'être un homo sapiens, l'homme est homo faber.
si en effet la technique devient décisive dans le travail par lequel l'homme conquiert son humanité, la tentation est grande de
voir dans le développement technique un trait essentiel de l'homme.
C'est le pas que franchit Bergson, qui parle dans «
L'évolution créatrice », de l' « invention mécanique » comme « démarche essentielle », quitte à aller jusqu'à dire que l'histoire
retiendra davantage la « machine à vapeur » que les « guerres et les révolutions ».
Ce propos conduit Bergson à définir
l'intelligence humaine comme « faculté de fabriquer des objets artificiels », et ce, au détriment direct d'une autre compréhension
de l'intelligence, celle qui la comprendrait comme faculté d'articuler des moyens avec des fins.
Une certaine formule de l' «
Evolution créatrice » doit retenir notre attention : Bergson veut en effet substituer à l' « homo sapiens », l'homme qui pense, l' «
homo faber », l'homme qui fabrique.
Cette formulation est lourde de conséquences : elle témoigne de la portée de cette question
de la technique sur l'identité humaine elle-même.
Si l'homme devient « homo faber », il n'est plus qu'un fabricateur d'outils, un
être tourné vers l'efficacité avant tout autre souci ; alors que tant qu'il est encore un homo sapiens, il reste un être capable de
juger de la qualité morale d'une finalité.
« En ce qui concerne l'intelligence humaine, on n'a pas assez remarqué que l'invention
mécanique a d'abord été sa démarche essentielle, qu'aujourd'hui encore notre vie sociale
gravite autour de la fabrication et de l'utilisation d'instruments artificiels, que les inventions qui
jalonnent la route du progrès en ont aussi tracé la direction.
Nous avons de la peine à nous en
apercevoir, parce que les modifications de l'humanité retardent d'ordinaire sur les
transformations de son outillage.
Nos habitudes individuelles et mêmes sociales survivent
assez longtemps aux circonstances pour lesquelles elles étaient faites, de sorte que les effets
profonds d'une invention se font remarquer lorsque nous en avons déjà perdu la nouveauté.
(…) Dans des milliers d'années, quand le recul du passé n'en laissera plus apercevoir que les
grandes lignes, nos guerres et nos révolutions compteront pour peu de chose, à supposer
qu'on s'en souvienne encore ; mais de la machine à vapeur, avec les inventions de tout genre
qui lui font cortège, on parlera peut-être comme nous parlons du bronze ou de la pierre taillée
; elle servira à définir un âge.
Si nous pouvions nous dépouiller de tout orgueil, si, pour définir
notre espèce, nous nous en tenions strictement à ce que l'histoire et la préhistoire nous
présentent comme la caractéristique constante de l'homme et de l'intelligence, nous ne dirions
peut-être pas Homo sapiens , mais Homo faber .
En définitive, l'intelligence, envisagée dans
ce qui en paraît être la démarche originelle, est la faculté de fabriquer des objets artificiels, en
particulier des outils à faire des outils et d'en varier indéfiniment la fabrication.
» BERGSON, «
L'évolution créatrice ».
En clair, c'est dans les progrès techniques que se manifestent en premier lieu les progrès de
la raison.
La technique manifeste la puissance d'une raison triomphante nous permettant de devenir comme "maîtres et
possesseurs de la nature" (Descartes)
« Sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que commençant à les
éprouver en diverses difficultés particulières, j'ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien
elles diffèrent des principes dont on s'est servi jusqu'à présent, j'ai cru que je ne pouvais les tenir cachées
sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, autant qu'il est en nous, le bien général
de tous les hommes.
Car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient
fort utiles à la vie, et qu'au lieu de cette philosophie spéculative, qu'on enseigne dans les écoles, on peut
en trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des
astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous
connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les
usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature.
Ce qui
n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouirait, sans
aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi
pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres
biens de cette vie.
»
Dans la sixième partie du « Discours de la méthode » (1637), Descartes met au jour un projet
dont nous sommes les héritiers.
Il s'agit de promouvoir une nouvelle conception de la science, de la
technique et de leurs rapports, apte à nous rendre « comme maître et possesseurs de la nature ».
Descartes n'inaugure pas seulement l'ère du mécanisme, mais aussi celle du machinisme, de la
domination technicienne du monde.
Si Descartes marque une étape essentielle dans l'histoire de la philosophie, c'est qu'il rompt de
façon radicale et essentielle avec sa compréhension antérieure.
Dans le « Discours de la méthode »,
Descartes polémique avec la philosophie de son temps et des siècles passés : la scolastique, que l'on
peut définir comme une réappropriation chrétienne de la doctrine d'Aristote.
Plus précisément, il s'agit dans notre passage de substituer « à la philosophie spéculative qu'on.
»
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