Les progrès de la technique sont-ils nécessairement des progrès de la raison?
Extrait du document
«
1.
La raison est d'abord instrumentale.
avant d'être un homo sapiens, l'homme est homo faber.
si en effet la technique devient décisive dans le travail par lequel l'homme conquiert son humanité, la tentation est
grande de voir dans le développement technique un trait essentiel de l'homme.
C'est le pas que franchit Bergson, qui
parle dans « L'évolution créatrice », de l' « invention mécanique » comme « démarche essentielle », quitte à aller
jusqu'à dire que l'histoire retiendra davantage la « machine à vapeur » que les « guerres et les révolutions ».
Ce
propos conduit Bergson à définir l'intelligence humaine comme « faculté de fabriquer des objets artificiels », et ce,
au détriment direct d'une autre compréhension de l'intelligence, celle qui la comprendrait comme faculté d'articuler
des moyens avec des fins.
Une certaine formule de l' « Evolution créatrice » doit retenir notre attention : Bergson
veut en effet substituer à l' « homo sapiens », l'homme qui pense, l' « homo faber », l'homme qui fabrique.
Cette
formulation est lourde de conséquences : elle témoigne de la portée de cette question de la technique sur l'identité
humaine elle-même.
Si l'homme devient « homo faber », il n'est plus qu'un fabricateur d'outils, un être tourné vers
l'efficacité avant tout autre souci ; alors que tant qu'il est encore un homo sapiens, il reste un être capable de juger
de la qualité morale d'une finalité.
« En ce qui concerne l'intelligence humaine, on n'a pas assez remarqué que
l'invention mécanique a d'abord été sa démarche essentielle, qu'aujourd'hui
encore notre vie sociale gravite autour de la fabrication et de l'utilisation
d'instruments artificiels, que les inventions qui jalonnent la route du progrès en
ont aussi tracé la direction.
Nous avons de la peine à nous en apercevoir, parce
que les modifications de l'humanité retardent d'ordinaire sur les transformations
de son outillage.
Nos habitudes individuelles et mêmes sociales survivent assez
longtemps aux circonstances pour lesquelles elles étaient faites, de sorte que
les effets profonds d'une invention se font remarquer lorsque nous en avons
déjà perdu la nouveauté.
(...) Dans des milliers d'années, quand le recul du
passé n'en laissera plus apercevoir que les grandes lignes, nos guerres et nos
révolutions compteront pour peu de chose, à supposer qu'on s'en souvienne
encore ; mais de la machine à vapeur, avec les inventions de tout genre qui lui
font cortège, on parlera peut-être comme nous parlons du bronze ou de la
pierre taillée ; elle servira à définir un âge.
Si nous pouvions nous dépouiller de
tout orgueil, si, pour définir notre espèce, nous nous en tenions strictement à
ce que l'histoire et la préhistoire nous présentent comme la caractéristique
constante de l'homme et de l'intelligence, nous ne dirions peut-être pas Homo
sapiens , mais Homo faber .
En définitive, l'intelligence, envisagée dans ce qui
en paraît être la démarche originelle, est la faculté de fabriquer des objets
artificiels, en particulier des outils à faire des outils et d'en varier indéfiniment
la fabrication.
» BERGSON, « L'évolution créatrice ».
En clair, c'est dans les progrès techniques que se manifestent en premier lieu les progrès de la raison.
2.
La technique manifeste la puissance d'une raison triomphante nous permettant de devenir comme
"maîtres et possesseurs de la nature" (Descartes)
« Sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique,
et que commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j'ai
remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des
principes dont on s'est servi jusqu'à présent, j'ai cru que je ne pouvais les tenir
cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, autant
qu'il est en nous, le bien général de tous les hommes.
Car elles m'ont fait voir qu'il
est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et
qu'au lieu de cette philosophie spéculative, qu'on enseigne dans les écoles, on
peut en trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du
feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous
environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos
artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels
ils sont propres et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature.
Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui
feraient qu'on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les
commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la
santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres
biens de cette vie.
»
Dans la sixième partie du « Discours de la méthode » (1637), Descartes
met au jour un projet dont nous sommes les héritiers.
Il s'agit de promouvoir une
nouvelle conception de la science, de la technique et de leurs rapports, apte à
nous rendre « comme maître et possesseurs de la nature ».
Descartes n'inaugure.
»
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