Les passions, maladies de l'âme
Extrait du document
«
A.
La « cristallisation »
La passion suppose une double illusion.
Elle est tout d'abord valorisation délirante d'un objet privilégié.
Stendhal a
très bien décrit ce processus psychologique sous le nom de cristallisation.
Une branche banale, jetée dans les
salines de Salzbourg, est retirée toute couverte de cristaux, étincelante comme un bijou.
C'est l'image exacte de ce
qui se passe dans l'état de passion.
Une femme ordinaire paraîtra exceptionnelle à celui qui en est passionnément
amoureux, parce que tous ses rêves, tous ses souvenirs viennent « cristalliser » sur l'objet de sa passion.
C'est sans
doute pour cela que les amours des autres nous sont généralement incompréhensibles.
L'objet de la passion semble
dérisoire pour celui qui juge de l'extérieur.
On a ainsi pu dire que l'objet d'une passion était son prétexte, plutôt que
sa source.
Si la passion est liée aux vicissitudes de mon existence corporelle, comme l'a montré Spinoza, il n'est nullement
étonnant qu'elle soit fille de l'imagination, cette faculté par laquelle nous combinons et formons les représentations
sensibles.
L'exemple le plus célèbre de cette action de l'imagination nous est fourni par Stendhal, à propos de la cristallisation.
Un banal rameau d'arbre, jeté dans les mines de sel de Salzbourg, en est retiré trois mois après, couvert de
cristallisations brillantes.
De même, l'objet aimé, grâce au travail de l'imagination, cristallise autour de lui un
ensemble de souvenirs et de rêves.
Que serait la passion sans cette cristallisation de l'imaginaire, qui véritablement
l'engendre ou la recrée? A peu près rien, peut-être un pur néant affectif ...
«Laissez travailler la tête d'un amant pendant vingt-quatre heures, et voici ce que vous y trouverez :
Aux mines de sel de Salzbourg, on jette, dans les profondeurs abandonnées de la mine, un rameau d'arbre effeuillé
par l'hiver; deux ou trois mois après, on le retire couvert de cristallisations brillantes : les plus petites branches,
celles qui ne sont pas plus grosses que la patte d'une mésange, sont garnies d'une infinité de diamants, mobiles et
éblouissants; on ne peut plus reconnaître le rameau primitif.
Ce que j'appelle cristallisation, c'est l'opération de l'esprit qui tire de tout ce qui se présente la découverte que
l'objet aimé a de nouvelles perfections.» (Stendhal, De l'amour).
Stendhal a très bien décrit ce processus psychologique sous le nom de cristallisation.
Une branche banale, jetée
dans les salines de Salzbourg, est retirée toute couverte de cristaux, étincelante comme un bijou.
C'est une image
exacte de ce qui se passe dans l'état de passion.
Une femme médiocre paraîtra divine à celui qui en est
passionnément amoureux, parce que tous ses rêves, tous ses souvenirs viennent « cristalliser » sur l'objet de sa
passion.
C'est sans doute pour cela que les amours des autres nous sont généralement incompréhensibles.
L'objet
de la passion apparaît le plus souvent dérisoire pour celui qui en juge de l'extérieur, objectivement.
C'est le
passionné qui l'enrichit de tout ce qu'il projette sur lui.
On a dit que l'amour était comme les auberges espagnoles.
Dépouiller les êtres de tout ce que nos passions leur prêtent, c'est les réduire à eux-mêmes, cad souvent à peu de
chose.
Le héros de Proust note avec lucidité qu' « Albertine n'était, comme une pierre autour de laquelle il a neigé,
que le centre générateur d'une immense construction qui passait par le plan de mon coeur.
» Proust a montré en
des analyses admirables, que l'objet d'une passion était son prétexte plutôt que sa source.
Ce sont les femmes à
peine connues et restées mystérieuses qui suscitent les passions les plus intenses, précisément parce que rien ne
fait alors obstacle au processus de cristallisation Tout ce qui est susceptible d'accroître le mystère de l'objet aimé
(par exemple lorsque celui-ci se dérobe à notre approche) intensifie la passion, précisément parque le phénomène de
la cristallisation, de la projection psychologique est favorisé par l'éloignement, l'évanescence de l'être aimé.
La passion mobilise à son profit tout le dynamisme psychologique.
On a souvent décrit les effets très remarquable de
la passion sur le jugement.
Proust écrit par exemple : « C'est le propre de l'amour de nous rendre à la fois plus
défiants et plus crédules, de nous faire soupçonner plus vite que nous n'aurions fait une autre celle que nous aimons
et d'ajouter foi plus aisément à ses dénégations.
» Le passionné ne raisonne pas du tout comme l'homme équilibré, il
raisonne à la fois beaucoup plus, mais à faux.
Le jaloux par exemple passe son temps à épier des signes.
Il retient
tout ce qui peut justifier sa jalousie, le grossit et néglige tout le reste.
Sur de faibles indices, il construit des
raisonnements qui ont une structure très rigoureuse, mais dont la base est très fragile.
C'est ce que les
psychologues nomment « la logique des passions ».
Le trait le plus remarquable est que le raisonnement passionnel
demeure imperméable aux réfutations d'autrui ; s'il est impossible de réfuter les constructions du passionné, c'est
parce que ses conclusions, au lieu de découler du raisonnement qui les précède, sont, en réalité, posées d'abord.
L'échafaudage du raisonnement n'est construit qu'après coup, pour justifier la passion.
Ainsi Othello est jaloux de
Desdémone dès l'origine, pour des mobiles très profonds et en partie inconscients.
Othello qui, comme dit André
Maurois, « a souffert à Venise, malgré sa gloire militaire, des préjugés raciaux », se dit au fond qu'il ne mérite pas
Desdémone, qu'il n'est pas digne d'elle Ce complexe d'infériorité le trouve prêt à accueillir sans critique les plus frêles
indices et les arguments tendant à prouver l'infidélité de Desdémone.
Car la conclusion a été posée d'abord, de
façon profonde et inconsciente.
La passion s'empare de l'intelligence, de l'imagination.
Elle nous attache à des objets souvent médiocres qu'elle
recouvre de prestiges illusoires.
Par là, elle semble nous déposséder de notre self-control, nous entraîner à des
actes dont nous ne cessons réellement d'être maîtres.
Aussi, nous paraît-il nécessaire de conserver dans l'acception
moderne psychologique du terme passion cette signification de passivité qui, dans la tradition philosophique,
d'Aristote à Descartes (reprise de nos jours par Alquié), inspire l'opposition de la passion et de l'action.
Le passionné
ne se définit-il pas lui-même comme un possédé, comme la victime d'une force fatale qui s'est emparée de lui ?
Dans « le Désir d'éternité » (1943), Alquié distingue précisément la passion passive et la passion active :
1 — La passion passive est caractérisée par le refus du temps.
Le passionné est l'homme qui préfère le présent
immédiat au futur de sa vie.
« Pour l'ivrogne, l'essentiel est de boire sur-le-champ, pour l'amoureux de retrouver sa.
»
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