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Les passions: entre vices et vertus ?

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Si toute la philosophie, qui est une méditation de la vie, se propose de distinguer ce que l'homme doit poursuivre et ce qu'il doit craindre, donc de reconnaître les biens et les maux, on ne peut guère concevoir une analyse des passions à part d'une théorie des vertus. Il n'y a pas de psychologie sans quelque idée de l'homme et de ses fins; c'est sa manière d'être positive. La passion, tout simplement, c'est Phèdre. Si la littérature ne s'y est pas trompée, les philosophes n'ont pas été aussi unanimes. Ainsi pour Descartes, est passion toute affection causée par le corps et que l'âme rapporte à elle-même : quand l'âme subit son union avec le corps, pâtit, éprouve confusément sa servitude au lieu d'en triompher par la connaissance et la résolution. Par contre, sous l'influence du romantisme, la passion se donne pour un élan, une énergie orientée vers une fin; on y voit donc un principe de liberté et d'action. Il est plus conforme à notre langage d'y reconnaître une espèce de la passion cartésienne. Mais d'abord elle ne se confond pas avec l'affection pure (douleur et plaisir) qui, comme état, ne qualifie pas notre conduite. Elle diffère aussi de l'émotion banale (peur, colère), dont le désordre s'épuise à peu près dans l'instant, par la fuite, le rire ou les larmes, et dépend surtout des circonstances extérieures. Enfin on doit l'opposer soigneusement au sentiment : l'amour et l'amitié, les préférences multiples, les sentiments qui nous attachent aux divers groupes sociaux, assurent le rôle que joue l'instinct chez l'animal: ils inspirent nos pensées, ordonnent nos actions, et, si puissants soient-il parfois, ils nous livrent le monde en nous adaptant à lui. La passion est bien différente. Qu'elle trahisse les retours obscurs de l'instinct ou qu'elle adopte les finesses de l'imagination, elle demeure une servitude. Loin d'être une tendance exclusive qui traduirait notre être profond, elle développe toutes les conséquences d'une méprise. Non seulement on ne choisit pas son amour ou sa haine, mais la passion toujours contredit la vocation. Faire ce qui plaît n'est pas faire ce qu'on veut, disait Platon. Le tyran est le moins puissant et le plus malheureux des hommes, parce qu'il ne fait pas ce qu'il veut. Il suit son caprice, l'opinion, l'apparence; il ne se possède pas, mais il est possédé : voilà son supplice. Et tel est l'ambitieux, l'amoureux, le joueur. C'est moins avec le monde qu'avec soi que le passionné se divise. Cette dissonance, cet échec, ce malheur qui s'éprouve ou qui s'annonce, c'est la passion tout entière. Ni les obstacles par lesquels la société refoule les élans, ni l'injustice de la vie qui déçoit les choix du coeur, n'expliquent ces convulsions et ce désespoir. Le drame doit précéder les circonstances pour que la passion se donne l'apparence d'un destin. Et certes la fin est donnée d'avance. Le passionné n'a plus rien à apprendre du monde et le monde n'a plus rien à attendre de lui. La tragédie est un système clos.

« Si toute la philosophie, qui est une méditation de la vie, se propose de distinguer ce que l'homme doit poursuivre et ce qu'il doit craindre, donc de reconnaître les biens et les maux, on ne peut guère concevoir une analyse des passions à part d'une théorie des vertus.

Il n'y a pas de psychologie sans quelque idée de l'homme et de ses fins; c'est sa manière d'être positive. La passion, tout simplement, c'est Phèdre.

Si la littérature ne s'y est pas trompée, les philosophes n'ont pas été aussi unanimes.

Ainsi pour Descartes, est passion toute affection causée par le corps et que l'âme rapporte à elle-même : quand l'âme subit son union avec le corps, pâtit, éprouve confusément sa servitude au lieu d'en triompher par la connaissance et la résolution.

Par contre, sous l'influence du romantisme, la passion se donne pour un élan, une énergie orientée vers une fin; on y voit donc un principe de liberté et d'action. Il est plus conforme à notre langage d'y reconnaître une espèce de la passion cartésienne.

Mais d'abord elle ne se confond pas avec l'affection pure (douleur et plaisir) qui, comme état, ne qualifie pas notre conduite.

Elle diffère aussi de l'émotion banale (peur, colère), dont le désordre s'épuise à peu près dans l'instant, par la fuite, le rire ou les larmes, et dépend surtout des circonstances extérieures. Enfin on doit l'opposer soigneusement au sentiment : l'amour et l'amitié, les préférences multiples, les sentiments qui nous attachent aux divers groupes sociaux, assurent le rôle que joue l'instinct chez l'animal: ils inspirent nos pensées, ordonnent nos actions, et, si puissants soient-il parfois, ils nous livrent le monde en nous adaptant à lui.

La passion est bien différente.

Qu'elle trahisse les retours obscurs de l'instinct ou qu'elle adopte les finesses de l'imagination, elle demeure une servitude.

Loin d'être une tendance exclusive qui traduirait notre être profond, elle développe toutes les conséquences d'une méprise.

Non seulement on ne choisit pas son amour ou sa haine, mais la passion toujours contredit la vocation.

Faire ce qui plaît n'est pas faire ce qu'on veut, disait Platon.

Le tyran est le moins puissant et le plus malheureux des hommes, parce qu'il ne fait pas ce qu'il veut.

Il suit son caprice, l'opinion, l'apparence; il ne se possède pas, mais il est possédé : voilà son supplice.

Et tel est l'ambitieux, l'amoureux, le joueur.

C'est moins avec le monde qu'avec soi que le passionné se divise.

Cette dissonance, cet échec, ce malheur qui s'éprouve ou qui s'annonce, c'est la passion tout entière.

Ni les obstacles par lesquels la société refoule les élans, ni l'injustice de la vie qui déçoit les choix du coeur, n'expliquent ces convulsions et ce désespoir.

Le drame doit précéder les circonstances pour que la passion se donne l'apparence d'un destin.

Et certes la fin est donnée d'avance.

Le passionné n'a plus rien à apprendre du monde et le monde n'a plus rien à attendre de lui.

La tragédie est un système clos. Par là les passions se ressemblent toutes, et l'on ne saurait en donner une classification profonde.

Par exemple, il est superficiel de réduire l'ambition à la volonté de puissance; elle n'est une passion que si l'élan s'est rué sur l'obstacle pour se changer en une réaction qui se répète indéfiniment à la manière d'une névrose.

L'amour même n'est une passion que par des échecs antérieurs et des barrages; s'il n'était qu'instinct, il n'aurait pas d'histoire et n'inspirerait pas les poètes.

L'élan impérieux du Besoin ne fait pas seul la fureur de Phèdre, mais plutôt, comme on l'a montré, la conscience qu'elle a peut-être que ses charmes sont mortels et fragiles ou qu'un sort la précipite hors des normes et des lois.

L'amour appartient avec la haine au même destin.

Si donc on veut tenir compte d'une différence, ce sera pour mettre d'un côté les passions qui nourrissent encore l'illusion d'un avenir et, de l'autre, celles qui ferment d'avance toutes les issues : quelques passions imitent la tendance, les autres perpétuent les réactions primitives de défense. Tandis que la passion est désordre, le vice est un ordre aberrant.

Par exemple, l'avarice a un objet comme toute passion et se propose, comme elle, la jouissance d'une valeur; mais Kant montre bien qu'elle n'est pas un excès d'économie, donc un désordre; elle est une vie dont l'ordre normal a été renversé (l'avarice sacrifie la jouissance à la possession des moyens de la jouissance).

De même l'ivrognerie loin d'exaspérer le besoin, comme fait la passion, le détourne à la fois de son objet et de sa fonction naturels.

Non pas que la vertu veuille qu'on poursuive les seuls voeux de la nature; mais alors que les sentiments humains traduisent les besoins pour les satisfaire selon les formes de la civilisation, la perversion déplace leur sens, elle est contre nature. Mais n'est-il pas illusoire de chercher les fins de la nature? Ne les imagine-t-on pas trop souvent d'après les vertus admises et les valeurs reçues? On oublie que la vie se moque des règles; qu'un organe, par exemple, n'est pas destiné à une seule fin.

Bien plus, en reprenant à la nature les fins qu'elle lui impose d'abord, l'homme en change le sens.

Donc non seulement la vie n'est pas conformiste par elle-même, mais chez l'homme elle assouplit encore ses tendances par le moyen d'une culture.

Il y a plusieurs façons de manger, de boire et d'aimer.

Quel signe biologique, quel modèle social peut-il nous indiquer quelles sont les formes vicieuses et les formes vertueuses de ces actions? Aucun sans doute.

On ne saurait convaincre l'ivrogne par un argument biologique, si on lui dit par exemple que l'alcool n'est pas un aliment; car le tabac encore moins.

Faut-il donc se priver d'alcool ou de tabac par principe? Ainsi font ceux qui placent mal leur vertu.

Reste alors que le vice est une disposition rebelle au changement, une suite d'actes semblables, qui refusent l'appel de la liberté.

Il ressemble à la passion par cette incorrigible répétition et par ce fatalisme.

La lâcheté, l'orgueil, l'envie, loin d'aller contre la nature, lui cèdent plutôt avec complaisance.

Tout vice est dans la nature une privation de liberté. Virtus, c'est vir, puissance.

Il faut revenir à ce sens premier.

Fidélité, courage, tempérance sont des formes de la volonté; même les vertus de l'intelligence se ramènent toutes à la maîtrise de soi.

La vertu s'est altérée et parfois perdue, quand, au lieu de signifier l'aptitude réelle à agir, elle n'a plus désigné que l'intention privée de puissance.

Il y a une vertu de chaque chose, selon Platon, qui est l'excellence de sa nature propre et joint ensemble l'utilité et la beauté.

Telle est la vertu de l'arc, qui est de lancer; celle du cheval, qui est de courir; du médecin, qui est de guérir.

Mais l'efficacité d'un instrument ou d'une aptitude n'implique aucune fin morale ni aucune obligation.

Les vertus sont admirées pour elles-mêmes; encore ne sont-elles louées ou blâmées que selon les circonstances où elles agissent.

Leibniz note que « ceux qu'on roue en pleine paix pourraient servir quelquefois d'excellents partisans en temps de guerre ». C'est, en effet, parce que la ruse et l'habileté au meurtre sont des vertus guerrières que voleurs et assassins vont se racheter parfois et se faire apprécier comme soldats d'élite.

Réciproquement il n'est pas rare que le héros échoue quand on lui propose une vraie tâche d'homme, car le temps si bref de l'héroïsme ne cache pas longtemps la décomposition des vertus morales.

Mais celles-ci ont été si intimement unies aux idées de sagesse et de piété, qu'il est désormais impossible de les en séparer.

D'où l'équivoque des vraies et des fausses vertus. Enfin.

de même que les passions ne se classent pas selon les besoins, les vertus ne se divisent pas selon les institutions, sinon tous les crimes seraient vertus en tel lieu et en tel temps.

Le conformisme a provoqué des protestations dans lesquelles s'est retrouvé le plus pur souci de la moralité.

Elles ont eu le mérite de rappeler que la morale se dégradait quand elle s'abaissait à justifier les institutions et les moeurs.

La mystification a été dénoncée tantôt avec ironie, tantôt avec amertume et révolte.

Le nom même de la vertu en a souffert.

Car sans la liberté de l'esprit, nous cédons à l'habitude et nos vertus ne sont plus que nos passions.

Mais nous ne pouvons pas échapper à notre nature; il n'est pas d'action sans un élan préalable; c'est pourquoi les morales répressives sont vaines et hypocrites. Il dépend seulement de nous, comme l'explique Descartes, que nos passions soient aussi des vertus.. »

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