Les obstacles à la philosophie depuis son début jusqu'au XXème siècle selon Russell
Publié le 07/11/2022
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Les obstacles à la philosophie depuis son début jusqu'au XXème siècle selon Russell.
« Depuis les temps les plus reculés, plus que toute autre branche du savoir, la philosophie a eu le
plus d'ambition et atteint le moins de résultat.
», C'est ce que Bertrand Russell (1872-1970),
philosophe, logicien, mathématicien, épistémologue et homme politique anglais nous dit dans la
première conférence de son ouvrage publié en 1913 : « La méthode scientifique en philosophie ».
La philosophie est une discipline vielle de plusieurs millénaire qui à vue passer nombreux auteurs,
courants, traditions, théories et idées qui se sont sans cesse opposés sans pour autant, selon Russell,
que cela aboutisse à de réelles évolutions de la discipline.
Russell reproche à la philosophie
d'essayer de trouver des solutions à des problèmes qui sont, avec nos moyens actuels, tout à fait
insolvables, tandis que d'autres problèmes pas moins importants peuvent être résolus à l'aide d'une
méthode différente des méthodes philosophiques jusqu'à présent, mais qui reste, si ce n'est plus,
philosophique.
En effet, on peut facilement constater que la philosophie vague d'objets d'études et
de méthodes extrêmement différents au fils des siècles mais malheureusement, on peut constater
également des points communs qui sont, du point de vue de la connaissance parfaitement
regrettables, comme par exemple nombreux sujets traités et conclus différemment sans pour autant
qu'une de ces conclusions soit réellement satisfaisante.
Il ne s'agit pas ici de dire que la philosophie
est un échec en elle-même mais plutôt de constater sa maigre évolution au vue de son âge et de sa
pratique comparé à des disciplines bien plus récentes qui semblent avoir bien plus progressées, que
ce soit en terme de méthode ou bien de découverte.
Ainsi nous nous demandons pourquoi la
philosophie ne semble pas progresser, et semble être en retard sur des disciplines comme les
mathématiques ou bien la physique ? C'est la question à laquelle Russell à essayer de répondre dans
« La méthode scientifique en philosophie ».
Il critiquera alors les différentes méthodes
philosophiques et examinera en quoi elles constituent des échecs, il exposera alors selon lui ce qui
doit constituer le véritable sujet de la philosophie pour qu'elle devienne une discipline ayant son
sujet singulier, et qu'elle puisse progresser.
Russell est considéré comme étant le père de la
philosophie analytique qui se distingue de la philosophie continentale, par l'élaboration d'une
nouvelle méthode philosophique qui se revendique scientifique : l'atomisme logique.
Notre travail
consistera à comprendre la pensée de Russell, comprendre pourquoi il est si critique envers la
philosophie et quel est son projet philosophique ? Nous exposerons dans un premier temps sa
critique de la philosophie, en exposant sa critique de la tradition classique et de l'évolutionnisme
philosophique.
Ce qui nous permettra de dégager de ces deux critiques les points communs qui
représenteront alors les obstacles à la progression de la philosophie.
C'est ce qui nous permettra de
répondre à notre problématique, et nous emmènera ensuite à la proposition méthodique de Russell
pour surmonter ces obstacles : l'atomisme logique.
I/Critique de la philosophie
a) La critique de la tradition classique
Selon Russell, la tradition classique naît chez les grecs, sur le modèle de la géométrie 1 (elle s'étend
selon lui de Platon à Hegel).
Les grecs aurait plaqué la méthode géométrique et les considérations
qu'elle impliquait, qu'ils considéraient comme parfaites, sur les problèmes philosophiques1.
Voilà
leurs tares : ils appliquaient les méthodes déductives apriori aux problèmes philosophiques.
A priori
signifie non empirique, antérieur à l'expérience.
Donc les méthodes déductives a priori consistent à
déduire une conclusion de données a priori .
Les grecs ont développés une croyance sans faille au
pure raisonnement1, il faut ici entendre pure comme sans mélange avec l'expérience.
Le problème
étant selon Russell qu'ils appliquaient ce raisonnement à des problèmes qui concernaient non pas
des entités a priori comme les entités mathématiques, mais à des problèmes qui concernaient
l'empirique1, ou bien à des problèmes qui n'étaient par essence pas du domaine de la philosophie
(on reviendra sur ce point –là par la suite).
Il n'y avait absolument aucun mal à conclure une
« vérité » qui était totalement contradictoire avec la réalité de notre expérience.
Au 17ème siècle, on
entretient la croyance selon laquelle les raisonnements a priori ont une valeur heuristique
parfaitement supérieure aux raisonnements empiriques : « De plus, sauf en Grande-Bretagne, elle
croyait que le raisonnement a priori nous révélerait des secrets de l'univers que l'on n’aurait pas
découverts autrement, et qu'elle pourrait démontrer que la réalité différait complètement de ce
qu'elle semblait être à l'observation immédiate.
»2.
Russell ajoute que c'est cette croyance -là qui
pour lui,distingue la tradition classique, et c'est cette même croyance qui est l'obstacle principal à
une « attitude scientifique ».
Russell utilise l'exemple d'une thèse et de son argumentation du
philosophe Francis Herbert Bradley (1846-1924) qui fait partie de la tradition classique : Bradley
soutient que le réel est un tout unique et indivisible qu'il nomme « L'Absolue » ; il démontre sa
thèse à l'aide d'une logique abstraite qui ,de toutes manières, ne laisse place à aucune autre solution
que l'existence unique de l'Absolue.
La démonstration est citée p37 de la première conférence.
La
démonstration paraît aussi compliquée qu'hasardeuse : Russell juge qu'elle a pour but seulement de
nous porter à confusion, au moyen de sophismes3.
Russell nous dit que la logique est tout à fait
importante pour la philosophie mais qu'il ne faut pas la considérer comme la tradition classique le
fait :
« Dans cette tradition, la logique devient constructive au prix d'un certain nombre de négations.
Lorsqu’un
nombre d'alternatives semblent, à première vue, également possibles, la logique doit les condamner toutes,
sauf une, et déclarer celle-ci réalisée dans notre monde.
Le monde est donc construit au moyen de la logique
sans faire appel, ou très peu à l'expérience concrète.
Le rôle véritable de la logique, à mon avis, est
exactement l'opposé de celui-là.
Dans la mesure où elle s'applique à un contexte qui fait l'objet de
l'expérience, elle est plus analytique que constructive.
Prise a priori, elle montre la possibilité d'alternatives
insoupçonnées jusqu'alors, plus qu'elle ne montre l'impossibilité d'alternatives qui semblaient de prime abord
possibles.
Ainsi, tandis qu'elle offre à l'imagination ce que le monde peut être, elle se refuse de légiférer sur
ce que le monde est.
»4
Dans le passage cité ci-dessus, ce qui semble frappant dans la tradition classique telle que l’a décrite
Russell, c'est un besoin fondamental d'éviter la réalité.
Elle a principalement pour objet d'études des
sujets qui dépassent fondamentalement nos capacités, elle se réfugie dans des raisonnements
hasardeux qui ne laissent d'autre choix que d'accepter : la tradition classique étudie principalement
la métaphysique et par conséquent les problématiques liées à Dieu, l'âme ou le monde.
Russell
reproche à la tradition classique d'être bien trop ambitieuse4, il s'appuie sur plusieurs doctrines qui
illustrent cette prétention : existe une doctrine affirmant que le monde est une « unité organique »,
pour montrer l'absurdité de cette doctrine Russell met en avant le fait que cette croyance « (…) on
l'affirme tantôt comme un dogme, tantôt on la défend à grand renfort d'argument logique.
»5.
Ce
qu'il met en avant ici, c'est une contradiction: un dogme signifie une ou plusieurs thèses qui sont
considérées comme absolument incontestables, elles sont vraies, et le prouver n'est pas nécessaire
car c'est vrai, il consiste en une croyance.
Normalement, à bon usage, la logique permet un
raisonnement valide pour arriver à une conclusion valide, donc argumentée.
Ainsi, si le monde était
bien une unité organique et que des arguments valides le prouvaient, ce ne serait pas un dogme mais
une connaissance (d'autant qu'ici il est très facile de trouver des points absurdes dans cette thèse : si
elle est vraie cela signifie, logiquement, que si l'on connaît, on connaît tout parfaitement vu que le
monde est une unité.5).
Voilà ce que Russell reproche à la tradition classique : L'essence de sa méthode semble absurde, on
calque des méthodes fonctionnant sur des entités a priori sur la réalité de notre expérience.
La
tradition classique veut à tout prix la vérité sur les sujets pour lesquels la possibilité d'augmenter la
connaissance semble inexistante, ce qui donne inévitablement des argumentations fallacieuses qui
se cachent derrière la sainte logique alors que finalement cette logique n'est que sophismes.
Russell
formule l'hypothèse que si la tradition classique a eu autant de succès c'est parce que dans une
époque où les guerres, famines, drames font rage, les hommes ont eu un besoin viscéral de sécurité,
d’ordre, et d'espoir d’où le besoin de s'échapper de la réalité et trouver des explications qui
rassurent6.
Mais vient au fur et à mesure plus de paix, moins de guerre : les hommes ne trouvent
plus d’intérêt à chercher la sécurité à tout prix, à négliger la réalité de notre expérience : on n'a
besoin d'une philosophie plus vivante, ancrée dans la réalité.
1: Bertrand Russel, La méthode scientifique en philosophie, trad.
Philippe Davaux, edit.
Payot, Paris, 2018 :
Première conférence, La tradition classique, p35.
2: Bertrand Russel, La méthode scientifique en philosophie, trad.
Philippe Davaux, edit.
Payot, Paris, 2018 :
Première conférence, La tradition classique,p36.
3:Bertrand Russel, La méthode scientifique en philosophie, trad.
Philippe Davaux, edit.
Payot, Paris, 2018 :
Première conférence, La tradition classique, p37
4:Bertrand Russel, La méthode scientifique en philosophie, trad.
Philippe Davaux, edit.
Payot, Paris, 2018 :
Première conférence, La tradition classique, p39.
5: Bertrand Russel, La méthode scientifique en philosophie, trad.
Philippe Davaux, edit.
Payot, Paris, 2018 :
Première conférence, La tradition classique, p40.
6: Bertrand Russel, La méthode scientifique en philosophie, trad.
Philippe Davaux, edit.
Payot, Paris, 2018 :
Première conférence, La tradition classique, p41.
b/ La critique de l'évolutionnisme.
Russell attribue à Nietzsche (1844-1900) et Bergson (1859-1941) d'être les développeurs de ce
courant en philosophie1, le fait que leurs travaux aient dépassé le champs de la philosophie prouve à
qu'elle point cette doctrine était conforme à l'esprit de cette époque.
L'évolutionnisme philosophique
se construit en opposition à la tradition classique : la tradition classique néglige l'expérience, le
corps, en bref le sensible ; ce qui est beau, bon est de l'ordre de l'intelligible, les objectifs suprêmes
humains doivent se réaliser dans l'intelligible.
L'évolutionnisme s’intéresse au réel, à notre
expérience sensible et se revendique de la science, c'est elle qui redonne de la puissance à l'homme,
quand celui-ci a été méprisé au profit de l'intelligible.
L'évolutionnisme se base sur la biologie,
accorde énormément d'importance au changement, au contingent (complètement à l'inverse de la
tradition classique) et croit en une progression de l'évolution.
Russell critique :
« Pour le moment je désire seulement formuler deux critiques : d'abord, que la vérité de cette philosophie ne
suit pas du tout ce que la science a rendu probable dans l'ordre des faits et de l'évolution, et ensuite, que les
motifs et les intérêts qui l'inspirent son exclusivement pratiques, et les problèmes qu'elle se pose tellement
spéciaux, que l'on peut difficilement la considérer comme ayant réellement touché à quelqu'une des
questions qui, à mon sens, constituent la véritable philosophie.
»2
Selon Russell, l'évolutionnisme comprend deux problèmes principaux : une mauvaise interprétation
de la biologie ; des sciences en générale (qui est très intéressée) et ce qui semble donc en commun
avec la tradition classique, des mauvais (dans le sens qui ne sont pas des sujets dont la philosophie
peut traiter) objets d'études.
L'évolutionnisme naît de la théorie de l'évolution de Darwin (1809-1982), qui en son temps,
bouleverse complètement l’ordre des choses : on croit ,à son époque, que les espèces naturelles sont
créés par Dieu, l'ordre naturel est donc fixe et stable et le terme d'évolution désigne un processus de
développement programmé et finalisé comme par exemple le développement d'un fœtus ou bien
d'un adolescent à un adulte.
Darwin lui-même n'utilise pas vraiment ce terme, et est très silencieux
et préventif sur les théories qu'il s’apprêtait à rendre publiques sachant parfaitement les
conséquences sociétales et morales qu'elles engendreraient3.
Les idées principales de Darwin sont
les suivantes : « Les petites variations » ; les espèces ne sont pas immuables d'une génération à une
autre, elles sont sujettes à multiples mini-transformations qui ne sont ni dûes à l'adaptation
individuelle ni dûes à une transcendance, mais sont le résultat d'un aléatoire ; « La sélection
naturelle » ; les individus ayant reçu aléatoirement des petites variations utiles pour la survie dans le
milieu évinceront ceux qui ne les ont pas reçues au fur et à mesure (évidemment la pensée de
Darwin est bien plus complexe et développée mais il me semble que ces deux idées sont les plus
révolutionnaires)3.
En bref, Darwin vient exclure la possibilité que l'être humain soit parfaitement
crée par Dieu et immuable.
Et selon Russell, cela a blessé l'homme dans son amour-propre : « Mais
si l'amour propre de l'homme fut un instant troublé par sa parenté avec le singe.
»4.
Il me semble,
que Russell reproche à l'évolutionnisme d'être une doctrine qui flatte, on a envie d'y croire.
Elle
découle de surinterprétations Darwiniennes, se cachant donc derrière une science qui la légitime et
qui est « pratique » car rentre en contradiction totale avec la tradition classique, et qui semble
finalement assez simple à manipuler : On peut retrouver l'interprétation selon laquelle l'homme est
en constante évolution vers quelque chose de meilleure, qu'il tend à s'améliorer sans cesse sans aide
de la transcendance, l'évolution est positive elle est corrélée au progrès.
On peut assez facilement voir en quoi, par exemple, la philosophie Nietzschéenne est attirante et
flatteuse (attention, il ne s'agit pas de dire ici que la philosophie de Nietzsche ne vaut rien, il est
question seulement de l'interprétation de Russell): elle remet l'homme au centre de tout, lui redonne
de la puissance, valorise les émotions/sentiments, lui redonne une force d'action qui semblait
perdue.
Mais voilà, la pertinence d'une philosophie ne devrait pas être définie selon un critère de
flatterie.
Selon Russell, les thèses de Darwin sont passionnantes mais ce qu'elles prouvent ne peuvent faire
l'objet de la philosophie5.
Russell insiste sur la mauvaise interprétation des philosophes de la
biologie, ce n'est pas parce que les découvertes et changements de notre monde nous apparaissent
comme étant un progrès selon notre éthique, que l'évolution du monde peut se définir selon un
progrès5.
Résulte des sciences que pour comprendre l'univers, nous devons comprendre le
changement et la continuité, et pour l'instant que ce soit la biologie ou même la physique ne semble
pas nous apporter une réponse entière et fiable.
La philosophie suppose dogmatiquement des
réponses à cela, l'évolutionnisme cesse alors d'être scientifique du même coup, et c'est uniquement
dans cette voix-là que l'évolutionnisme peut être un sujet philosophique, mais dans ce cas-là cela n'a
plus rien à voir avec la science.
Ainsi l'évolutionnisme voulant se distinguer de la tradition classique
en se légitimant scientifiquement représente selon Russell un échec ; ils généralisent des
observations scientifiques (d'autant plus qu'il ne jure que par la biologie.) et en tire des thèses
philosophiques sans fondements.
L'évolutionnisme se présente alors comme une contrefaçon de la
science, elle tire des conclusions hâtives qui devraient être résolues par la science, à un moment ou
la science n'en est pas capable.
Selon Russell, «(...) Il est nécessaire d'abord et avant tout que les philosophes acquièrent la curiosité
intellectuelle désintéressée qui caractérise le véritable savant.
»6 .
En quête de connaissance, nous
devrions adopter un point de vue parfaitement neutre afin de recevoir les théories, faits, conclusion
de la manière la plus objective possible, ne nous devrions pas rechercher quelque chose en ayant
une idée précise de ce que l'on veut découvrir, le problème étant qu'en adoptant cette posture, on
modèle les faits à notre volonté et la rigueur n'est plus notre souci premier.
L'évolutionnisme
souhaite donner à l'homme de la puissance, un sens à sa destinée, ce qui suppose d'accepter déjà que
l'homme ait une destinée, ce qui est un dogme, et donc ne peut être associé à une méthode
scientifique.
______________________________________________________________________________
1:Bertrand Russel, La méthode scientifique en philosophie, trad.
Philippe Davaux, edit.
Payot, Paris, 2018 :
Première conférence, La tradition classique, p42
2:Bertrand Russel, La méthode scientifique en philosophie, trad.
Philippe Davaux, edit.
Payot, Paris, 2018 :
Première conférence, L'évolutionnisme, p46
3:Hottois Gilbert, « Chapitre 9.
La pensée évolutionniste : théories scientifiques, philosophies, idéologies »,
dans : , De la Renaissance à la Postmodernité.
Une histoire de la philosophie moderne et contemporaine,....
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