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Les mythes comme support philosophique avec les élèves

Publié le 14/09/2024

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« Le mythe comme support à une réflexion philosophique avec les élèves Michel Tozzi, professeur émérite en sciences de l’éducation à l’Université Montpellier 3, didacticien de la philosophie Pour animer en classe une discussion à visée philosophique, on part généralement d’une question forte posée par les enfants et les adolescents en classe.

Une question, car celle-ci met individuellement et collectivement en posture de recherche pour y répondre, amène plusieurs solutions possibles, et suscite donc l’échange.

Une question qui émane des intéressés eux-mêmes, ce qui résoud le problème de la motivation, car on a envie de chercher et de trouver une réponse à une question dès lors qu’on se la pose personnellement et vraiment. Pour des enfants jeunes, ces questions peuvent être recueillies spontanément, ou de manière plus formelle dans une « boite à questions » ; lorsqu’il y a un programme philosophique, comme en classe terminale de lycée, elles peuvent être formulées à partir de notions du programme.

Elles peuvent surgir naturellement d’événements quotidiens, d’une situation qui pose un problème de fond, personnel (ex : l’amitié ou l’amour) ou collectif (une bagarre), de classe ou d’école, existentiel (un décès) ou de société (un fait divers)… Elles peuvent aussi surgir, de façon plus didactique, c’est-à-dire organisée pour un apprentissage réflexif, à partir de supports choisis par le maître : un album de jeunesse (1), une bande dessinée (2), une affiche (3), un roman (4), un film (5), un texte de philosophe (6), ou un mythe… Nous voudrions ici insister sur l’intérêt spécifique du mythe pour faire réfléchir les enfants. Le mutos et le logos, du mythe à la raison… Pourquoi partir de mythes dira-t-on pour faire réfléchir philosophiquement des élèves ? La proposition peut paraître provocante.

Le mythe n’est-il pas, dans une perspective scientiste, prérationnel, de l’ordre d’une pensée prélogique, magique, religieuse, préscientifique ; ou irrationnel, s’originant dans un inconscient collectif dirait Young, puisant dans l’imaginaire, alors qu’il s’agit pour les élèves d’exercer leur raison ? La thèse la plus communément partagée n’est-elle pas que la philosophie occidentale naît précisément du passage grec du mutos au logos, au 6ième siècle av.

J.C., lorsque Xénophane commence à critiquer le comportement répréhensible de Dieux bien trop humains, et quand Ouranos, Chronos, Zeus, laissent place chez les présocratiques à l’air, la terre, l’eau ou le feu comme élément primordial de l’univers ? Le logos comme raison ne naît-il donc pas de la critique du mythe, comme passage d’histoires imaginaires à une connaissance rationnelle du monde sous la forme scientifique ou philosophique de la rationalité ? L’intérêt respectif du mutos et du logos est pourtant un vieux débat philosophique.

Le mythe arrivet-il à dire, en authentique langage, par sa puissance poétique de suggestion, sa suprarationalité, des choses que le logos, la raison, à cause de ses limites, de sa rigidité enfermante, ne peut formaliser ou comprendre (c’est la version des romantiques) ? Ou le logos est-il, par sa rationalité précisément, un dépassement du mythe, un progrès de l’humanité dans la connaissance ? On voit bien cette ambiguïté, je dirai cette complexité chez Platon, qui d’un côté puise dans le mythe orphique, mobilise des mythes ou en crée lui-même, et de l’autre développe une maïeutique rationnelle serrée de définitions conceptuelles avec Socrate (« Qu’est-ce que le courage – ou la vertu ? »), et condamne la métaphore poétique comme mensonge à bannir de la Cité… Ou chez Freud qui veut faire œuvre scientifique, mais a besoin d’inventer le mythe moderne de la horde primitive pour rendre compte de l’infrarationalité de l’inconscient, qui a sa logique propre, étrangère précisément à celle du logos… Des philosophes du concept laissent ouverte la porte du mythe : pour des raisons pratiques, Kant maintient le mythe aux confins d’une « religion dans les limites d’une simple raison ».

Et Hegel voit dans son type de représentation une manifestation spéculative de l’absolu de l’Esprit, dépassée certes dans la dynamique de sa dialectique par le concept, mais conservée… Le mythe fait indéniablement penser.

Il est un tremplin pour la pensée, par son pouvoir de connotation, par la polyphonie de ses significations potentielles, la puissance de ses associations d’idées.

Mais pense-t-il, ou n’y a-t-il que le concept qui pense vraiment ? C’est un débat philosophique, car il y a des philosophes du concept, qui ne font confiance qu’à la raison (ex : l’entendement et ses idées claires et distinctes chez Descartes, l’idée adéquate chez Spinoza, l’architectonique de la raison chez Kant, l’Esprit chez Hegel…), et des philosophes ouverts à la métaphore du mythe (certains présocratiques, Plotin, Nietzsche, Bergson…). Par opposition au mythe, le logos philosophique est comme dit Deleuze une « pensée par concept ». Le concept est une production du logos, comme le jugement ou le raisonnement.

Ses avantages, ce sont : - d’une part, à travers le langage, puisqu’on ne peut penser sans langage, son pouvoir de généralisation et d’abstraction, qui lui assure une large extension : le concept d’homme s’applique à tous les hommes passés, présents ou futurs, réels ou imaginaires ; - d’autre part son pouvoir clarificateur de définition par l’énonciation de ses attributs, qui circonscrit et délimite, donc précise le contenu sémantique d’une notion, et permet de la comprendre (ex : « L’homme est un animal politique »), ce qui entraîne de la rigueur dans l’usage du langage (on commence à penser quand on commence à savoir exactement de quoi on parle) ; - enfin son pouvoir opératoire de compréhension rationnelle du réel : je comprends mieux ce qu’est un homme par rapport à un animal quand je dis par exemple qu’il est loquans, c’est-à-dire parlant, et surtout cogitans, c’est-à-dire pensant. L’avantage du concept est sa rigueur, sa clarté explicative.

Ses limites ? L’aspect abstrait, froid et aride, qui l’éloigne du monde divers et coloré : le concept, comme le mot, n’est pas, ne veut ni peut être la chose ; sa recherche de l’univocité qui le rend clôturant ; sa façon de construire un système, qui en fait une totalité refermée sur elle-même.

La métaphore à l’opposé est relationnelle, buissonnante, polysémique, imaginative, proliférante, mais elle appelle une herméneutique, une exégèse, car elle est incertaine, elle a des contours flous.

Mais faut-il jouer le concept contre la métaphore, ou vice-versa ? L’intérêt de la reprise conceptuelle d’un mythe Par rapport à ceux qui privilégient respectivement la puissance poétique du mutos, ou la puissance explicative rationnelle du logos, je développerai l’idée que chacun opère dans un champ propre. L’humanité a inventé au cours de son histoire de grandes formes culturelles pour répondre à la question du sens : la religion, l’art, la philosophie, la science… Chacune opère dans des registres distincts de vérité, qui ne sont pas forcément contradictoires.

Le mythe de la Genèse cesse d’être un concurrent de la science s’il n’est pas ou plus pris au sens littéral, fondamentaliste, mais considéré comme un texte symbolique susceptible d’interprétations.

Le logos peut de ce point de vue permettre une interprétation rationnelle du mutos, une explicitation conceptuelle de ce qu’il dit métaphoriquement.

C’est cette troisième piste que nous privilégions, sans trancher si le logos dit avec continuité mais autrement la même chose que le mythe, ou s’il fait rupture en disant autre chose… Pour nous, amener des enfants ou adolescents à réfléchir à partir du mythe, c’est leur faire symboliquement et pédagogiquement reparcourir le cheminement grec qui mène du mutos au logos, d’un narratif sacré transcendant à une raison philosophique immanente. Une reprise conceptuelle du mythe par une discussion à visée philosophique permet en effet de puiser dans sa polysémie de quoi alimenter l’échange sur son interprétation rationnelle, et de se poser philosophiquement les questions de la condition humaine qu’il traite à sa façon (7).

C’est un jeu gagnant-gagnant, car on s’imprègne du pouvoir métaphorique de sa compréhension du monde, qui vaut en soi son pesant de profondeur, pour le traduire dans une autre langue, celle de la raison interprétative, qui en explicite rationnement le sens, mais ne referme pas cette richesse dès lors qu’elle est dialogue, « conflit des interprétations » (P.

Ricoeur).

C’est pourquoi le mythe est formateur dans son accompagnement par une discussion à visée philosophique.

Car 1) l’on recueille ainsi par son intermédiaire la richesse connotative de l’image ; 2) mais l’on essaye aussi de concentrer cette dispersion potentielle en un message plus explicite ; 3) tout en évitant cependant la clôture et la froideur du concept aride et réducteur par la pluralité des interprétations et le dialogisme de la discussion autour des questions fondamentales qu’il pose, en tentant d’y répondre. Nous adhérons aux analyses de Bettelheim qui voient dans le conte de fée (c‘est le même processus pour le mythe) une opportunité pour l’enfant de faire travailler inconsciemment, de façon projective, ses conflits intrapsychiques (8).

Il pense aussi que la lecture de ces contes à des enfants se suffit en elle-même pour que ce travail se fasse.

Nous pensons pour notre part qu’une réflexion plus organisée à partir des mythes permet en plus un autre type de travail, apporte une dimension supplémentaire et complémentaire : l’exercice de.... »

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