Les limites de la connaissance sensible ?
Extrait du document
«
Dès l'Antiquité, de nombreux philosophes — et pas seulement les spiritualistes — ont souligné l'insuffisance de la connaissance délivrée par les sens.
Démocrite : connaissance bâtarde et connaissance légitime
Démocrite déclarait qu'«il existe deux connaissances, l'une due aux sens, l'autre à l'intellect ; à celle due à l'intellect, il donne le qualificatif de légitime, en
lui accordant crédit pour juger de la vérité ; à celle due aux sens, il donne le nom de bâtarde, en lui ôtant l'infaillibilité dans le discernement du vrai.
Il dit :
«Il est deux formes de connaissance, l'une légitime, l'autre bâtarde.
De la bâtarde relèvent tout ensemble la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût, le toucher.
En
revanche, la légitime en est distincte» (fragment B 11).
Notons au passage que les objets de la connaissance légitime, ce sont, pour Démocrite, les atomes et le vide : impossible, autrement dit, d'avoir, à propos
des atomes et du vide, une connaissance par les sens.
Descartes: l'expérience du morceau de cire
A la fin de la deuxième Méditation métaphysique, Descartes (1596-1650) prend l'exemple d'un morceau de cire, «qui vient d'être tiré de la ruche» : il est
dur, il est froid, relativement solide, et si on le touche, il rend un son.
Mais, dès qu'on approche du feu ce même morceau de cire, tout change : sa forme se
modifie, il devient liquide, s'échauffe et ne rend plus aucun son...
La cire n'est donc conçue que par une «inspection de l'esprit», conclut Descartes — les sens ne fournissant jamais que des informations fugitives,
disparates, rhapsodiques.
Dans la deuxième Méditation, Descartes observe un morceau de cire "qui vient d'être tiré de la ruche, il n'a pas encore
perdu la douceur du miel qu'il contenait, il retient encore quelque chose de l'odeur des fleurs d'où il a été recueilli ; sa
couleur, sa figure, sa grandeur sont apparentes : il est dur, il est froid, on le touche, et si vous le frappez, il rendra quelque
son".
Connaître un corps, c'est apparemment le connaître par les caractères que nous percevons : son odeur nous
renseigne sur son origine, ainsi que sa couleur, sa consistance, sa température, le son qu'il rend, sa forme et sa taille.
A pprochant ce bloc de cire d'une flamme, sa "saveur s'exhale, l'odeur s'évanouit, sa couleur se change, sa figure se perd,
sa grandeur augmente, il devient liquide, il s'échauffe, à peine le peut-on toucher, et quoiqu'on le frappe il ne rendra plus
aucun son".
S'agit-il de la même cire ? Tous les caractères distinctifs par lesquels on le connaissait ont disparu, mais "il
faut avouer qu'elle demeure, et personne ne le peut nier".
Les organes des sens ne peuvent donc rien nous apprendre de
stable ni de certain.
C e que nous percevons de la cire ne nous apprend rien d'elle.
Fondue, il ne demeure d'elle que
quelque chose de flexible, d'étendu et de muable.
Imaginant la cire je ne connaîtrai rien de plus d'elle ; flexible et
malléable, elle pourrait prendre une infinité de figures que mon imagination ne peut se représenter.
P ar conséquent, il
reste qu'il n'y a que "mon entendement seul qui conçoive ce que c'est que cette cire".
C onçue par l'entendement ou
l'esprit, cette cire n'est pas une autre cire que celle dont je fais l'expérience sensible, mais seule une inspection de
l'esprit me permet de la connaître, et non pas la vue, le toucher ou l'imagination.
L'empirisme : une réhabilitation du sensible
Il existe cependant un courant de pensée, l'empirisme (du grec : empeiria «l'expérience»), courant représenté par Locke
(1632-1704) et Hume (1711-1776) notamment, selon lequel il n'y a rien dans l'âme qui ne vienne préalablement des
sens (nihil est in intellectu quod prius non fuerit in sensu).
L'esprit serait originairement comparable à une tabula rasa («table rase»), sur laquelle
viendraient s'imprimer les données fournies par les sens extérieurs.
U n célèbre passage de Leibniz ( 1 6 4 6 - 1 7 1 6 ) constitue la réponse-type que les rationalistes ont constamment opposée à c e type de doctrines :
«L'expérience est nécessaire, je l'avoue, afin que l'âme soit déterminée à telles ou telles pensées, et afin qu'elle prenne garde aux idées qui sont en nous ;
mais le moyen que l'expérience ou les sens puissent donner des idées ? Rien n'est dans l'âme qui ne vienne des sens, sauf l'âme elle-même! » (Leibniz,
Nouveaux Essais sur l'entendement humain, II, 1 - 1704).
Expliquer et discuter la formule de Leibniz : « Rien n'est dans l'intelligence qui n'ait été auparavant dans les sens, si ce n'est l'intelligence elle-même ?
INTRODUCTION.
— Le grand débat philosophique du XV IIe siècle fut celui de l'origine des idées ou principes de la raison.
Vers la fin du siècle, Leibniz
proposa, comme transaction, la formule suivante : « Rien n'est dans l'intelligence qui n'ait été auparavant dans les sens, si ce n'est l'intelligence ellemême.
» Que signifie cette formule et quelle est sa valeur ?
I.
La meilleure explication de la pensée de Leibniz sera de la situer par rapport à celle des philosophes entre lesquels il veut réaliser un accord.
A .
Descartes avait soutenu l'existence d'idées innées, pour l'acquisition desquelles l'expérience serait inutile.
B.
A l'opposé; Locke prétendait que l'expérience suffisait à expliquer la formation de toutes les idées.
C .
Leibniz accorde à Locke que l'expérience est la condition nécessaire de l'apparition des idées, mais non la condition suffisante ; car il est nécessaire
aussi — et par là raison est donnée à Descartes — d'avoir l'intelligence et les idées qu'elle contient virtuellement ou inconsciemment et que l'expérience fait
seulement passer de la virtualité ou de l'inconscience à l'actualité ou à la conscience (La statue d'Hercule dans le bloc de marbre).
II.
Discussion : A .
P rise en elle-même, ;la formule de Leibniz : a) paraît bien rendre compte à la fois des faits sur lesquels s'appuyait Descartes et de ceux
qu'alléguait Locke; b) toutefois il semblerait préférable de dire : « tout ce qui est dans l'intelligence vient des sens, mais l'intelligence est une faculté
distincte des sens.
» Seulement cette formule n'exprimerait pas la pensée de son auteur.
L'intelligence dont il est question à la fin de la phrase (« si ce n'est
l'intelligence elle-même ») n'est pas, en effet, la faculté de comprendre, mais l'ensemble des idées de l'intelligence ou de la raison que Leibniz, fidèle
.cartésien, considère comme innées.
B.
C 'est pourquoi, si elle est interprétée comme la comprenait Leibniz, cette formule ne peut être retenue.
Le recours à l'innéisme est une explication
paresseuse à laquelle on doit ne recourir qu'à défaut d'autre hypothèse.
D'autre part, il est bien difficile de comprendre en quoi consiste l'innéité des idées.
CONCLUSION.
— Nous ne retenons donc pas la théorie leibnizienne de l'origine des idées.
Mais nous conservons, en l'interprétant à notre manière, qui est
d'ailleurs la manière classique, la formule qu'il en a donnée et qui fournit la meilleure réponse au problème; discuté : « Rien n'est dans l'intelligence qui n'ait
été d'abord dans les sens, si ce n'est l'intelligence elle-même », c'est-à-dire la faculté de comprendre et de saisir les rapports qui existent entre les
données des sens..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Y a-t-il des limites à une connaissance de l'homme par les sciences ?
- Existe-t-il des limites à la connaissance humaine ?
- La connaissance connait-elle des limites ?
- Les limites de la connaissance remettent-elles en cause la possibilité d'atteindre le vrai?
- Peut-on assigner des limites à notre connaissance du réel?