Les images et les mots représentent-ils de la même manière ?
Extrait du document
«
Une telle question, comprise dans un sens littéral, ne peut que recevoir une réponse négative.
Les systèmes de
représentations plastiques et linguistiques n'obéissent pas aux mêmes règles.
Lorsqu'on fait l'hypotypose d'un
tableau de Van Gogh (Antonin Artaud à propos du Champ de Blé) ou lorsqu'on dessine une scène de Shakespeare
(les peintures de Delacroix inspirées d'Hamlet), on ne répète pas l'œuvre prise pour modèle.
Il n'est même pas
possible de parler d'une traduction picturale ou textuelle : l'image et le texte sont deux niveaux de représentation
incomparables.
La première est sensible et analogique, la seconde codée et rationnelle.
Pourtant, quiconque a pu assister à l'apprentissage de l'écriture chez un enfant en bas âge ne saurait nier
l'importance primordiale de l'activité de dessiner pour comprendre et acquérir le fonctionnement de la langue.
Il
convient donc de ne pas oublier que le mot lui-même est avant tout un tracé, une image.
Composition picturale, développement logique
Dans son Cours de linguistique générale, Saussure définit le langage comme un système de signes référentiels, dont
les significations sont dépendantes les unes des autres plus que des objets auxquelles elles renvoient.
Pour qu'un
objet puisse être dit langage, il faut que son rapport au monde se fasse non pas par une ressemblance entre la
chose et le signe, mais par une stabilité purement conventionnelle de leur correspondance.
Le mot « table » ne
renvoie jamais à une table réelle que dans la mesure où un groupe humain suffisamment important accepte un tel
code.
La définition saussurienne du langage exclut à priori l'image, qui repose sur la ressemblance sensible entre le
modèle et le support (photographie, dessin, toile…).
Platon propose ainsi une critique de l'image, en particulier de la peinture, dans laquelle il discrédite cette dernière, à
laquelle il prête une infériorité ontologique vis-à-vis du logos.
La parole, en particulier dialogique, est construite puis
se dissout dans la durée, elle est toujours dynamique et progresse par une succession des raisonnements articulés
par les systèmes logiques.
La parole, en ce sens, peut se targuer de donner accès à l'Idée, alors que la
représentation imagée fonctionne par ressemblance immédiate, et n'est donc qu'un succédané de la chose sensible,
elle-même dérivée de l'Idée pure.
L'image artificielle n'est donc qu'une copie de copie.
L'image, support d'un contenu rationnel spécifique
Pourtant, le dessin ne se résume pas à une simple imitation de son sujet.
Il est ainsi nécessaire de prendre en
compte l'existence d'une grammaire picturale : le tableau ne dépend pas tant de la ressemblance entre la toile et la
scène représentée, mais d'élabore en fonction de sa propre cohérence : l'équilibre des couleurs, des motifs, et tout
particulièrement les sources et les jeux de lumières du tableau, qui chargent l'image d'une valeur transcendantale,
donc morale.
En ce sens, la toile créé à sa manière un discours rationnel et spécifique, que toute autre forme
artistique,linguistique ou musicale, ne saurait prendre en charge.
La peinture présente élabore une pensée qui
apparaît au spectateur dans une cohérence instantanée, non soumise aux règles temporelles qui régissent le
discours, selon le mot de Léonard de Vinci, elle est « Causa mentale ».
Si l'image apparaît en un coup d'œil au spectateur, le peintre, lui, la compose donc dans une temporalité, c'est-àdire un développement logique.
Une image est ouverture en soi : elle est en avant d'elle-même dans la mesure où
elle se compose en fonction de raisonnements implicites, y compris au niveau de la perception la plus immédiate.
A
ce titre, on peut citer le célèbre exemple des Méditations Métaphysiques de Descartes : le morceau de cire n'est
reconnu avant et après avoir fondu que grâce à l'entendement qui réunit les apparences diverses de la cire sous un
concept unique.
Le signe : discours pictural, image discursive
Sans aller jusqu'au cratylisme, on trouve dans l'Essai sur l'origine des langues de Rousseau une théorie de la
formation du langage qui n'envisage plus le système linguistique et l'image dans une relation d'opposition.
Les
premières paroles formulées, telles que les conçoit Rousseau, n'ont pas été
formées dans un but utilitaire.
Leur objet fondamental est au contraire de séduire, de manifester une émotion.
On ne
représente pas un objet, mais un état intérieur, une certaine posture de l'énonciateur vis-à-vis de l'objet désigné.
Il
y a une expressivité du code linguistique.
A l'inverse, il y a un sens à parler de la peinture comme d'un langage.
La peinture de la Renaissance, présente ainsi
un univers d'objets dont les significations se dégagent de leur apparence immédiate, et composent un discours
implicite, à la fois né du tableau et dissimulé par celui-ci (voir le rôle du miroir dans Les Epoux Arnolfini, de Van
Eyck).
De manière plus évidente, le principe du hiéroglyphe égyptien ou de la calligraphie chinoise relèvent de
représentations culturelles détachées de l'opposition mot-image, finalement spécifique à la pensée occidentale.
De façon plus essentielle, même l'image inédite, qui ne renvoie pas à un univers de références communes entre le
peintre et le spectateur, peut enfin être comprise sur un modèle linguistique, et non plastique.
Bergson remarque
dans L'Evolution Créatrice que les objets ne sont jamais perçus de manière neutre : en effet, le fonctionnement
fondamental du cerveau humain est de ramener les expériences vécues à des signes qui résument les raisonnements
passés et permet de les articuler à des réflexions plus globales.
En ce sens, tout mode de représentation humain
peut se ramener à un système primordial de manipulation du signe.
Les différences de représentation entre l'image et le mot sont indéniables, mais elles n'ont rien de nécessaire.
C'est
au sein d'un certain type de parole poétique le lecteur-spectateur retrouve une unité fondamentale du langage et
du dessin.
Le recueil d'Apollinaire intitulé Calligramme apparaît ainsi comme la recherche d'un signe où le code et la.
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