Les hommes se croient-ils déterminés parce qu'ils se masquent leur responsabilité ou bien se croient-ils libres parce qu'ils ignorent les causes de leurs actes ?
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«
Introduction
Épictète, l'un des plus célèbres stoïciens (v.
50 – v.
125), s'est particulièrement intéressé à la question de la liberté humaine (C f.
Ce qui dépend de nous, et
aussi Manuels et entretiens ).
Il fait une distinction fondamentale et préalable entre « les chos es qui ne dépendent pas de nous » (corps, biens, réputation,
dignité) et « celles qui en dépendent » (opinion, désir, aversion).
C e qui trompe l'humain et le rend malheureux, c'est sa croyance d'un libre pouvoir sur les
premières choses, nous dit-il.
C e questionnement philosophique capital sur la nature et les limites de la liberté humaine sera repris tout au long de l'histoire de la dis cipline.
Il met en jeu
la connaissance spécifique de l'humain sur lui-même (aspect théorique) mais également la possibilité ou non d'une action morale humaine (aspect pratique).
C 'est à l'aune même des mensonges et croyances humaines que l'acte de naissance de la philosophie se mesure.
C omme interrogation et lutte, contre
ceux-ci, pour le vrai et par le raisonnement libre, la philosophie se définit donc comme raison délivrant de la croyanc e et de l'ignorance humaine.
C 'est en ce
sens que le questionnement sur la liberté et responsabilité humaines est décisif philosophiquement.
En effet, la philosophie cherche, par nature, à répondre
à la ques tion ici posée : « Les hommes se croient-ils déterminés parce qu'ils se masquent leur responsabilité ou bien se croient-ils libres parce qu'ils
ignorent les causes de leurs actes ? ».
C ette question, capitale pour le statut même de la philosophie, appelle un traitement spécifique de deux questions s ous-jacentes :
La philosophie peut-elle délivrer les notions de liberté et de respons abilité humaines de la croyance et du mensonge ?
P eut-elle, dès lors, proposer une réponse « une », positive et déterminée à l'alternative ici posée ?
I.
La question philosophique de la liberté humaine : penser et dépasser croyance, mensonge et ignorance
L'acte de naissanc e de la philosophie, nous l'avons c ompris, s e fait dans le questionnement systématique des idées reçues (mythes , croyanc es
populaires ...).
En s oulevant le problème d'une possible liberté humaine, la pensée affirme en même temps un pouvoir libre : le pouvoir de questionner
librement et par le raisonnement toute détermination a priori (déjà là).
C 'est cette pensée libre et questionnante qui fonde l'activité singulière qu'est la
philosophie.
A vant elle, c'est effectivement (dans l'antiquité grecque) le « muthos » (le mythe) qui définit et détermine inconditionnellement l'agir humain.
En
posant librement la question de la liberté humaine, la philosophie fonde cette liberté comme arrachement à toute détermination d'ordre mythologique ou
doctrinale.
Elle pos e en outre la faculté de recherche du vrai par la raison (que les Grecs nomment « logos »).
L'illustre « allégorie » (expression d'une idée
par une image) platonicienne de « la caverne » (C f.
La République, livre V I I ) met en exergue cet effort « dialectique » (par étapes) d'arrachement
philosophique de l'illusion vers la vérité.
En ce sens la question philosophique de la liberté humaine possible est l'exemple même de cette liberté : plus,
c'est une délivrance du mythe, du mensonge et de l'illusion qui caractérise l'objectif philosophique de vérité.
M ais ce questionnement sur la liberté humaine ne saurait en rester là.
C e dépassement d'un état déterminé par le mythe, l'ignorance et du dogme pose
également la question de la distinction de ce qu'il est possible de faire humainement et de ce qui ne l'est pas.
Épictète fait cette distinction préalable ;
distinction qui doit aboutir à une sagesse morale.
C elle-ci ne peut en effet exister que dans la mesure ou l'homme sait discerner avec raison la part
déterminée de son être d'avec la libre action qui est en s on pouvoir.
A vant c ela les hommes considéraient faussement cette distinction.
Soit ils résidaient
dans le mensonge et le mythe lorsqu'ils convenaient que rien n'était en leur pouvoir (le monde est régit et déterminé par les dieux), soit ils concevaient la
liberté comme pouvoir de faire tout et n'importe quoi.
Il s'agissait alors, pour Épictète, de donner une double définition vraie de ce qui est déterminé dans la
nature des hommes distinguée de leur part de liberté, bien comprise :
"Puisque l'homme libre est c elui à qui tout arrive comme il le désire, me dit un fou, je veux aussi que tout arrive comme il me plaît.
Eh, mon ami, la folie et la
liberté ne se trouvent jamais ensemble.
La liberté est une chose non seulement très belle mais très raisonnable et il n'y a rien de plus absurde ni de plus
déraisonnable que de former des désirs téméraires et de vouloir que les choses arrivent comme nous les avons pensées.
Q uand j'ai le nom de D ieu à écrire,
il faut que je l'écrive non pas comme je veux mais comme il est, s ans y changer une seule lettre.
Il en est de même dans tous les arts et dans toutes les
sciences.
Et tu veux que sur la plus grande et la plus importante de toutes les choses , je veux dire la liberté, on voie régner le caprice et la fantaisie ? Non,
mon ami : la liberté consiste à vouloir que les choses arrivent non c omme il te plaît, mais comme elles arrivent.
» (C f.
Entretiens , Livre I, XXXV .)
L e s hommes souffrent donc d'une mauvaise interprétation de la détermination et de la liberté humaines.
La philosophie cherche donc au préalable de
redéfinir c es deux notions avant de les distinguer.
Mais peut-elle trouver « la » vérité s ur cette alternative ?
II.
Une liberté humaine illusoire ?
La philosophie n'a de cesse de chercher et de vouloir l'homme libre.
Le déterminisme naturel (lois de la nature, pass ion dévorante...) ne peut cependant être
nié.
Épictète ne le nie d'ailleurs pas, il propose simplement de faire la part des choses entre celui-ci et la liberté qu'il juge accessible pour peu que l'homme
la voit telle qu'elle est vraiment.
Être libre ne signifie pas faire tout ce que l'on veut, mais plutôt accepter et vouloir que les choses arrivent telles qu'elles
arrivent.
C 'est donc une ébauche de la liberté fondée sur la volonté éclairée que propose le stoïc ien.
Seulement, c'est la ques tion de la responsabilité qui se
pose alors.
C elle d'un homme qui a le pouvoir d'agir et de choisir librement.
Par la conscience de la nature de ses choix et de ses ac tes, l'homme ne peut
plus prétexter un déterminisme total de sa condition.
Il s'ouvre alors à la question de la moralité : est libre celui qui est responsable de ses actes et de s e s
choix.
N o u s retrouvons ici une pensée existentielle célèbre, celle de Sartre.
Mais celui-ci ne va pas définir la liberté comme
possible choix.
Il va paradoxalement définir la liberté c omme nécessité : l'homme est « condamné à être libre » (C f.
L'existentialisme est un humanisme , Nagel, P aris, 1946, p.
37).
P ourquoi un tel paradoxe ? Sartre explique que la condition
humaine est consciente de s on origine absurde.
Il n'est prédisposé à rien, déterminé en rien au départ de son exis tence.
Son existence est donc comprise comme projet perpétuel qui ne débouche sur rien d'autre que le « néant » (pas de paradis
ou d'enfer, seulement la mort).
En tant que livré, par le néant, au néant, l'homme es t donc, parce que conscient de sa
condition, totalement responsable de ses choix et de ses actes.
L'homme ne peut ignorer cette responsabilité.
Le faire
serait tomber dans ce que Sartre considère comme de la « mauvaise foi » : attitude de la cons cience faisant mine de se
masquer la vérité et responsabilité morale qui lui incombe.
La liberté est donc abs olue et la nier c'est faire acte de
mensonge et non pas d'ignorance.
Conclusion
P enser la liberté c'est déjà l'affirmer philosophiquement.
C 'est même l'acte de naissance de la philosophie dans son effort
de délivrance des dogmes, mythes, mensonges et ignorances humaines.
C 'est donc la croyance fausse et infondée qui,
dans cette alternative, est éminemment combattue par la philosophie.
I l y a une liberté humaine absolue, fondée sur la consc ience d'une nécessaire responsabilité morale.
Selon la pensée
existentielle il y a liberté absolue ou pas d e liberté.
O n peut cependant s e demander si les lois naturelles et les
déterminations psychologiques ne contreviennent pas à cet absolutisme..
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