Les hommes peuvent-ils en même temps être libres et égaux ?
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«
[Introduction]
L'article 1 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen stipule que « tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en
dignité et en droits ».
Liberté et égalité se trouvent en même temps associées.
On peut se demander pourquoi il a fallu attendre la
Révolution française pour voir réunis deux termes, si étroitement liés aujourd'hui que nous n'y prêtons pas toujours l'attention qu'il
faudrait.
En effet, comment ma liberté — que je considère comme infinie — peut-elle rester entièrement libre quand l'égalité, qui ne tolère
ni exception, ni privilège, lui est coexistante ? Serait-ce que la loi, égale pour tous, est le seul garant de ma liberté ?
[II - Seule la loi rend possible la liberté]
Le passage de l'état naturel — même si cet état reste hypothétique — à l'état civil modifie l'homme.
Pour Hobbes, on passe d'un homme naturellement égoïste, mauvais, brutal, à un citoyen obligé à l'obéissance au tyran.
L'entrée dans la
société ne produit pas une égalité totale puisque le gouvernant reste supérieur aux gouvernés.
Mais ce pacte permet de se soustraire à
l'état de guerre, permanent dans l'état de nature.
« Avant qu'il y ait un gouvernement, il n'y a ni juste ni injuste », dit Hobbes.
Là où
règnent la force et la crainte, la liberté n'a aucun sens : c'est le règne de l'arbitraire.
La loi est ainsi la condition de possibilité d'une liberté
civile, le choix d'une société où la paix est possible.
Rousseau va beaucoup plus loin.
Il affirme que la loi garantit la liberté qui ne peut exister sans l'égalité
: « L'égalité, parce que la liberté ne peut subsister sans elle ».
En obéissant aux lois qu'il s'est
prescrites, l'homme, en fait, n'obéit qu'à lui-même : « Les lois ne sont proprement que les conditions
de l'association civile.
Le Peuple soumis aux lois en doit être l'auteur », écrit Rousseau dans le Contrat
Social (livre I, chap.
8).
Obéir aux lois n'est ni être esclave ni aliéner sa liberté, mais s'imposer des
limites voulues et acceptées afin de nous garantir dignité et égalité en droits.
Obéir à la loi fondée sur
la raison, dont seul l'homme est doué, c'est être véritablement libre.
L'obéissance
au
seul
appétit est esclavage et
l'obéissance à la loi qu'on
s'est prescrite est liberté.
(Du Contrat Social)
La liberté ne consiste pas à suivre nos désirs.
Elle n'est pas dans l'absence de contraintes
mais dans le libre choix des contraintes que
l'on se donne à soi-même.
On peut appliquer
cette idée au peuple.
Un peuple libre est celui
qui se donne à lui-même ses propres lois, ce
qui définit la démocratie.
On oppose communément la liberté à la loi.
Se soumettre à la loi, ce serait ne pas ou ne plus être
libre.
Mais n'obéir à aucune loi, serait-ce être libre ? Mais il faut s'entendre sur le terme liberté et sur le
terme loi..
Il y a un premier sens du mot libre qui est négatif : être libre c'est ne pas être empêché de faire ce
qu'on a envie de faire.
On emploie le terme libre dans ce sens à propos des choses comme à propos
des hommes : retirer d'un chemin les arbres qui font obstruction, c'est libérer le passage, ne pas retenir un oiseau dans sa cage, c'est le
laisser libre de s'envoler, ne pas empêcher quelqu'un de s'étendre sur le gazon d'un jardin public, c'est le laisser libre de le faire.
Toute loi
comporte des interdictions.
Dès lors toute loi réfrène la liberté, prise en ce sens négatif.
C'est le seul sens que Hobbes donne au mot
liberté.
Selon Hobbes, dans l'état de nature, chacun est empêché à tout moment, dans ses mouvements et ses entreprises, par autrui qui
est virtuellement son ennemi.
Mais les lois d'un Etat - institué en vue justement de mettre fin à cet état de guerre qu'est l'état de nature empêchent les individus de se nuire les uns aux autres.
L'autre sens du mot liberté n'est réservé qu'à l'homme, et caractérise ce que Kant appelle l'autonomie : obéir, à la loi dont on est, en tant
qu'être raisonnable, l'auteur, ou encore, obéir à sa propre raison.
Obéir à sa raison, c'est être pleinement responsable de sa conduite.
Etre
libre, c'est s'obliger soi-même à une conduite raisonnable, s'interdire certains débordements, en un mot c'est obéir à la loi qu'on s'est
prescrite.
La loi peut s'entendre ici dans un sens moral, comme dans un sens politique.
Autrement dit, les obligations auxquelles on se soumet
volontairement et librement (alors qu'on subit bon gré malgré une contrainte) sont morales, ou bien civiques.
C'est dans ce sens-ci
d'obligation civique que Rousseau l'entend d'abord.
Rousseau dans le Contrat Social jette les bases d'un Etat dont les lois constituent des
obligations et non des contraintes : car c'est le peuple souverain, plus exactement la volonté générale (selon la règle de la majorité) qui
décide des lois.
Ainsi chacun d'entre nous, en tant que citoyen, est libre parce qu'il se soumet aux lois dont il est l'auteur, en tant que
membre de la volonté générale.
[III - Pas de liberté sans égalité, ni d'égalité sans liberté]
L'égalité est donc la condition fondamentale de la liberté.
Pour être réelle, la liberté demande que tous les hommes soient également
libres et égaux devant la loi.
La loi, certes contraignante puisqu'elle m'oblige à me comporter de telle et telle manière, est cependant le
signe de la liberté humaine civile, supérieure, conçue en termes de droits égaux.
C'est dans un projet social que l'homme réalise vraiment
sa liberté.
L'égalité est produite par cette obéissance commune — c'est-à-dire en commun, ensemble — à la loi.
Seule la démocratie,
gouvernement des lois décidées par le peuple, réalise la coexistence simultanée de l'égalité et de la liberté.
Tous les citoyens sont égaux
devant la loi.
Ils ont tous les mêmes droits et les mêmes devoirs.
L'égalité est donc l'horizon ultime qu'il faut atteindre, car la réalité nous rappelle chaque jour que des inégalités persistent, même au pays
des droits de l'homme et du citoyen.
L'égalité constitue un idéal capable de motiver l'action des hommes et la cohésion sociale.
C'est
pourquoi la Révolution française reste un moment essentiel non seulement dans l'histoire de la France, mais dans l'histoire humaine tout
entière.
[Conclusion]
Rousseau nous a appris le pouvoir des lois, la nécessité du contrat social pour vivre ensemble, en toute dignité, en toute liberté et en
toute égalité de droits.
Il n'y a pas contradiction à vouloir être en même temps libres et égaux en droits.
Il faut donc affirmer la nécessité
des lois qui seules permettent la vie en société.
La liberté et l'égalité rendent ainsi possible la fraternité et le travail permanent contre les
inégalités qui subsistent..
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