Les hommes ont-ils besoin de grands hommes pour faire leur histoire ?
Extrait du document
«
Le grand homme paraît faire l'histoire de son temps
Iskander (Alexandre le Grand) est, selon le Coran, celui d'entre les mortels à qui fut donné de découvrir une fois pour
toutes les limites du monde.
C'est dire si les grands hommes — et surtout les grands conquérants — paraissent avoir modifié à eux seuls, ou
presque, le cours entier de l'histoire du monde.
On pourrait même estimer, à la suite de Pascal, que la beauté d'une reine d'Égypte ou ses amours avec un général
romain ont suffi à déterminer le sens et les modalités de l'histoire humaine.
Le grand homme et les circonstances
Toutefois, comme l'écrit Hegel, «dans la considération philosophique de l'histoire on doit s'abstenir d'expressions
telles que : cet État ne serait pas allé à sa perte, s'il y avait eu un homme qui, etc.».
L'apparition de grands hommes dans l'histoire dépend, assurément, des circonstances qui les favorisent.
Sans nier le
rôle des individus, des grands hommes, il faut se rendre compte que celui-ci n'est possible que dans le contexte des
situations sociologiques d'ensemble qui demeurent les grands facteurs déterminants.
« C'est à la Révolution, dit
Léfebvre, que Napoléon doit son prodigieux destin.
» Le coup d'Etat du 18 Brumaire lui-même a des causes
générales.
La bourgeoisie voulait stabiliser la Révolution, maintenir ce qu'elle avait acquis sans se laisser déborder
par le peuple.
Elle aspirait à la dictature, réclamait « un sabre ».
Aucun «héros» ne peut «arrêter ni modifier le cours naturel des choses», écrit le marxiste russe Plekhanov (Le Rôle
de l'individu dans l'histoire, 1898).
Les grands hommes sont rarement jugés
«Les grands hommes ne sont pas ce que l'on nomme heureux» (Hegel, Leçons
sur la philosophie de l'histoire, 1830).
Les grands hommes sont souvent ceux qui savent que le sang sèche vite.
Leurs passions, leurs défauts, leurs crimes eux-mêmes paraissent échapper au
jugement moral.
Or c'est précisément parce qu'ils ont le sentiment que les paroles et les
actions des grands hommes «expriment ce qu'il en est de leur époque», que
les autres hommes, selon Hegel, absolvent les grands hommes, en leur
prodiguant ce qui peut passer pour une extravagante indulgence .
"Rien ne s'est fait sans être soutenu par l'intérêt de ceux qui y ont
collaboré ; et appelant l'intérêt une passion, en tant que l'individualité
tout entière, en mettant à l'arrière-plan tous les autres intérêts et fins
que l'on a et peut avoir, se projette en un objet avec toutes les fibres
intérieures de son vouloir, concentre dans cette fin tous ses besoins et
toutes ses forces, nous devons dire d'une façon générale que rien de
grand ne s'est accompli dans le monde sans passion.
[...] La passion est regardée comme une chose qui n'est pas bonne, qui
est plus ou moins mauvaise ; l'homme ne doit pas avoir de passion.
Passion n'est pas d'ailleurs le mot tout à fait exact pour ce que je veux
désigner ici, j'entends en effet,
ici, d'une manière générale l'activité de l'homme dérivant d'intérêts particuliers, [...] d'intentions
égoïstes, en tant que dans ces fins il met toute l'énergie de son vouloir et de son caractère en leur
sacrifiant [...
] tout le reste.
[...]
Je dirais donc passion, entendant par là, la détermination particulière du caractère en tant que ces
déterminations du vouloir n'ont pas un contenu uniquement privé, mais constituent l'élément moteur
et énergique d'actions générales."
Georg W.
E Hegel, Leçons sur la philosophie de l'histoire (1837), trad.
J.
Gibelin, Vrin
Ce que défend ce texte:
Pourquoi Hegel veut-il donner aux passions une telle valeur ? La réponse tient en ceci : dans les sociétés
organisées, la raison devient « vivante » lorsque les hommes agissent sous l'autorité du droit.
Les règles de
droit, qui substituent aux rapports de violence des principes de coexistence raisonnables et justes, en sont
l'incarnation même.
Or, nous dit Hegel, le droit n'est pas dans l'histoire « l'élément actif de l'ordre du monde ».
Cela signifie que ce
n'est pas lui qui fait avancer cet ordre, mais la force et la violence, expressions des passions humaines,
lesquelles font les révolutions, les coups d'État et instaurent un nouveau droit, exactement comme cela s'est
passé pour la Révolution française, sanglante entre toutes.
Le droit sans la force qui l'instaure n'est rien et ne
lui préexiste pas.
C'est là une évidence rappelée au début de ce texte : « Rien ne s'est fait sans être soutenu
par l'intérêt de ceux qui y ont collaboré » et, si nous appelons l'intérêt une passion, nous devons alors
reconnaître que « rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion »..
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