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Les grands Hommes font-ils l'Histoire ?

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« Faut-il étudier les Hommes illustres... Longtemps l'Histoire événementielle a transformé les historiens en hagiographes.

Même les plus grands n'ont pas su résister : on n'oublie pas les pages célèbres que Michelet consacre, dans son Histoire de France, à Jeanne d'Arc. « Le sauveur de la France devait être une femme.

La France était femme elle-même.

Elle en avait la mobilité, mais aussi l'aimable douceur, la pitié facile et charmante, l'excellence au moins du premier mouvement.

» Joinville n'évoquait pas Saint Louis avec une plus grande ferveur. De fait une longue tradition alimente ce que l'on pourrait appeler une vision individualiste et volontariste de l'Histoire.

C'est que le discours historique est resté longtemps sous influence de l'Épopée.

Seules les actions exceptionnelles méritaient d'être relatées et celles-ci ne pouvaient être que le fait de personnalités extraordinaires.

De même qu'il était aberrant de peindre des individus anonymes et obscurs, il semblait absurde de s'intéresser aux actes quotidiens et aux volontés impuissantes des inconnus de l'Histoire. Les Hommes illustres sont en revanche des modèles commodes et l'Histoire apparaît alors, grâce à eux, comme un recueil de leçons à donner aux générations futures (significativement, le De vins illustribus servit longtemps de « manuel » pour apprendre...

le latin aux petits Français !) ...

ou bien « les éléments homogènes, infinitésimaux, qui gouvernent les masses »? Il faut attendre le XIX ième siècle pour que l'Homme illustre perde de sa splendeur historique.

L'analyse hégélienne du rôle du Héros est à cet égard une charnière.

Le grand Homme historique comme Napoléon tient certes une place déterminante dans le cours de l'Histoire, mais sans en être pleinement conscient.

Il est agi par la Raison qui se sert de lui.

Cette véritable dépossession annonce l'intérêt nouveau que vont susciter les « masses » et les « sans-grades ».

Ce n'est ainsi pas un hasard si dans La Chartreuse de Parme la bataille de Waterloo est vécue par un inconnu, Fabrice, héros du roman mais non de l'Histoire, si Frédéric Moreau, dans l'Éducation sentimentale, passe à côté de la révolution de 1848, si Tolstoï enfin dans Guerre et Paix montre un Napoléon véritablement « dépassé par les événements » : « Dans les événements historiques, les prétendus grands hommes ne sont que des étiquettes qui donnent leur nom à l'événement et qui de même que les étiquettes ont le moins de rapport avec cet événement.

» Les romanciers préparent ainsi la voie des historiens du XXe siècle, ceux qui vont précisément rompre avec l'événement et la personnification de l'Histoire pour étudier les coutumes, les lentes évolutions des sociétés et des mentalités, l'aménagement par les hommes de leurs espaces de vie. La Raison dans l'Histoire - FRIEDRICH HEGEL (1822) Le grand Homme, celui que dans La Raison dans l'Histoire Hegel nomme « l'individu historique », a connu l'expérience de la Révélation l'Esprit du Temps s'est manifesté à lui.

L'Histoire aussi a ses Mystiques. C'est dire qu'il a compris la nécessité politique de son époque et les possibilités historiques ouvertes par le présent.

Ses ambitions personnelles entrent alors en correspondance avec l'attente du moment : « Leur oeuvre est donc ce que visait la véritable volonté des autres; c'est pourquoi elle exerce sur eux un pouvoir qu'ils acceptent malgré les réticences de leur volonté consciente : s'ils suivent ces conducteurs d'âmes, c'est parce qu'ils y sentent la puissance irrésistible de leur propre esprit intérieur venant à leur rencontre.

» En suivant ses passions, le grand Homme accomplit le travail de la Raison dans l'Histoire.

Il est agi plus qu'acteur et apparaît, dans l'analyse qu'en propose Hegel, comme un moyen dont se sert la Raison pour atteindre les buts qu'elle s'est fixés.

Une fois, l'oeuvre réalisée, les « individus historiques » quittent le mouvement de l'Histoire, ils tombent « comme des douilles vides ».

César est assassiné, Napoléon déporté : « Le particulier a son propre intérêt dans l'histoire : c'est un être fini et en tant que tel il doit périr.

C'est le particulier qui s'use dans le combat et est en partie détruit.

» De ce point de vue, le héros hégélien est aussi un héros tragique (« La politique est la tragédie moderne », affirmait avec lucidité Bonaparte), il affronte une fatalité et découvre que sa liberté ne cesse de se heurter sinon aux Dieux, du moins à l'Esprit.

L'issue est sans surprise.

Tout est joué avant même que ne se livre le rideau de l'Histoire, et l'hybris qui frappe les héros historiques, c'est de croire précisément qu'ils peuvent encore agir sur l'événement sitôt que la Raison s'est détournée de leur sort.

Les Cent-Jours obéissent ainsi aux règles les plus strictes de la Tragédie, telles que les avait définies Aristote : unité de lieu — L'Europe —, unité d'action — la reconquête de l'Empire —, unité de temps — les Cent-Jours fatidiques. « Ce sont maintenant les grands hommes historiques qui [...] réalisent ce but qui correspond au concept supérieur de l'Esprit.

C'est pourquoi on doit les nommer des héros.

» Hegel, La Raison dans l'histoire, 1837 (posth.) « Il n'y a pas de héros pour son valet de chambre, dit un proverbe connu.

J'ai ajouté [...] que s'il en est ainsi, ce n'est pas parce que celui-là n'est pas un héros, mais parce que celui-ci n'est qu'un valet.

» Hegel, La Raison dans l'histoire, 1837 (posth.) « L'histoire traite presque exclusivement de ces hommes mauvais qui, plus tard, ont été appelés bons ! » Nietzsche, Aurore, 1881. La plupart de ceux que la postérité considère comme de « grands hommes » ont commencé par renverser l'autorité établie, et c'est souvent au prix de maints crimes barbares qu'ils sont parvenus à imposer leur propre autorité. « Dans l'histoire, les personnages qui n'ont pas eu la tête coupée, et les personnages qui n'ont pas fait couper de têtes disparaissent sans laisser de traces.

Il faut être victime ou bourreau, ou sans aucune importance.

» Valéry, Mauvaises Pensées et autres, 1942.. »

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