Les événements historiques sont-ils, par nature, imprévisibles ?
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«
Evénement :
C e terme vient du latin evenire, se produire.
La définition générale de l'évènement le ramène à un élément du devenir dont le surgissement est perçu ou
conçu comme une rupture de sa trame.
L'histoire :
C 'est le déroulement effectif des évènements qui affectent l'humanité, mais aussi la connaissance de ces évènements articulée dans un récit.
Le problème posé par ce sujet apparaît clairement grâce à la définition de termes qui forment l'expression évènement historique.
Si l'évènement est
surgissement, rupture de la continuité, il est par nature imprévisible : sans continuité on ne peut déduire donc on ne peut induire.
Un simple phénomène
devient un évènement quand il introduit une variable dans les données, par exemple dans les données spatio-temporelle en physique cantique.
Mais
l'histoire, en tant que discipline, s'emploie à être conscience du temps : elle ne compile pas seulement les faits (ceci, c'est les calendes des grecs) mais
elle relève les dynamiques propres à l'histoire en tant qu'objet de connaissance, c'est-à-dire les lignes de continuité entre les phénomènes.
Ici c'est la
racine grecque du mot qu'il faut rappeler : histor, celui qui sait.
C onnaître son histoire c'est s'armer pour l'avenir et éviter le retour du même que l'on ne
manque pas noter à chaque nouvelle période.
Dès lors, c'est la possibilité même de la notion d'évènement historique qu'il nous faut discuter.
I.
Le paradoxe de l'évènement historique
L'histoire comme discipline, c'est la conscience qui s'empare du déroulement des évènements pour les organiser en un récit, c'est donc bien autre chose
que l'enregistrement des faits, qui lui peut être consigné dans une chronologie.
L'histoire est donc le témoignage de l'activité configuratrice de la
conscience.
Elle s'investit dans des évènements irréversibles et les ordonne.
Du récit comme commémoration au récit signifiant, la conscience n'a qu'un
pas à faire.
L'histoire moderne s'est donc construite comme une entreprise rationnelle, cherchant à dégager les lois des processus historiques.
Il y a aurait
donc un sens de l'histoire que l'historien aurait à déterminer.
On commence par établir les faits et leur logique.
Puis on cherche à déterminer l'enchainement
causes et les effets à partir desquels l'on établit quelques grandes lois historiques.
La causalité historique est une des théories des facteurs du devenir.
Devenir et loi, en ce sens, amène à la conception métaphysique de la nécessité universelle que décrit Spinoza.
C'est l'histoire comprise rationnellement au
sens de Dilthey.
C ertains historiens insistent sur la géographie, les autres sur les mentalités, ou sur les structures sociales et les conflits de classes, tels
les historiens marxistes.
Par exemple, cette théorie du nationalisme qui veut qu'il y ait deux logiques de l'idée de nation (Alain RENA UT.
Une nation
révolutionnaire, à la française, issue des Lumières, politique et commune aux pays de l'ouest.
Une nation romantique, à l'allemande, exaltée, culturelle et
close, commune aux pays de l'est.
Voltaire contre Herder.
Mais RENA U T montre que cette distinction, parce qu'elle sous entend des déterminismes
géographiques et des schémas de mentalités forts approximatifs, n'est pas recevable.
Il n'en reste pas moins que dans cette conception de la discipline
comme science des lois de l'histoire ne laisse pas de place à l'évènement comme surgissement.
L'action des individus et les évènements historiques sont
remisé sont remisés au second plan.
En tant qu'elle fournit aux individus comme aux sociétés des exemples à imiter et des leçons à méditer, l'histoire est
aussi dotée d'une mission morale.
P our assumer ce magistère moral, elle vise l'universalisation des évènements ou des séries d'évènements en tant que
manifestation de l'accession de l'humanité à la conscience d'elle-même : ce que Hegel appelle La Raison dans l'histoire.
C ette dialectique ne laisse aucune
place à l'imprévu, tout au plus à ce qui n'et pas connu, puisque tout concours à l'avènement de la raison à elle-même et à la fin de l'histoire.
Tout est
prévisible en droit même si la limitation de nos facultés humaine fait que tout n'est pas prévisible de fait.
II.
Limites de la conception du sens de l'histoire.
Parce qu'elle tente l'instauration d'un rapport au passé comme passé, l'histoire manifeste en fait la contingence du temps humain, qui constitue le premier
contenu de la conscience historique.
Quels que soient les progrès de la recherche historique comme « histoire totale » (Fernand Brodel), on ne peut pas dire
que celle-ci soit engagée dans ce que Kant nomme « la route sûre de la science ».
L'objectivité de l'historien, lorsqu'il dégage la rationalité d'un processus
historique n'est pas celle d'un scientifique ; V ico faisait remarquer que la différence entre l'histoire naturelle et l'histoire
humaine est que nous avons fait celle-ci et non celle-là.
La méthode scientifique nous perme de garantir l'objectivité des
faits naturels observés.
Tandis que les faits humains « tombent et ne tombent pas sous le sens » (Marx).
Les sciences
historiques et les sciences de l'esprit comprennent des singularités historiques : des évènements comme rupture de la
continuité.
On peut donc comprendre rationnellement l'histoire, mais on ne peut pas l'expliquer sur le modèle des
sciences de la nature.
A insi l'évènement redevient la production d'un nœud singulier dan l'enchainement des causes et
des effets (Boèce, la définition du hasard).
L'évènement, c'est l'accidentel, le signe de la contingence radicale du temps
et de l'amoralité de l'histoire.
A près la Shoah, c'est une évidence : l'humanité ne se déploie pas vers la pleine réalisation
d'elle-même, la dynamique du temps ce n'est pas le progrès.
Toute philosophie de l'histoire se rapporte alors à la
volonté d'établir des notions universales, dont Spinoza a montré l'action néfaste sur la morale et la pensée scientifique.
III.
L'évènement comme moyen d'organisation
Est-ce à dire l'évènement est irrationnel ? Nous avons dit qu'il est accidentel.
En fait, cette accidentalité même désigne
à son voisinage un ordre causal qui la réintègre dans la trame de la temporalité qu'elle rompt.
Leibniz décrit chaque
substance comme comprenant virtuellement tout les évènements qui constitueront
sa temporalisation propre dans l'existence, de sorte qu'un entendement les lit d'un
seul regard.
S'il est produit par le temps selon un certain ordre que nous ne pouvons
que saisir rétrospectivement, l'évènement à son tour rompt le cours du temps et
reconfigure son ordre.
Il le reconfigure, il ne le détruit pas.
Il devient un principe
d'orientation dans la durée.
C'est dans la conception chrétienne de la temporalité
que l'on trouve l'illustration la plus caractéristique de cette temporalité : l'évènement, c'est l'avènement du C hrist.
Il est
pensé comme articulation de la temporalité à l'éternité et avènement de la Loi nouvelle.
On voit bien également que chez
Rousseau, l'évènement est principe d'organisation : c'est la première clôture qui marque la fondation de la vie civile.
Nous pouvons définir l'évènement historique comme le point saillant permettant au discours historique de constituer des
époques et de scander le temps long.
Il ne cesse de participer de la double nature du surgissement et de ce qui, ayant
surgi, s'accumule et forme la tessiture même du temps.
La question n'est donc pas de savoir si l'évènement historique
et prévisible ou non : cela est une question que l'on posera plutôt à l'astrologie ou à la cartomancie.
La question est de
savoir ce qui dans l'évènement historique joue comme principe organisateur de la séquence présente..
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