Les échanges sont-ils fondateurs du lien social ?
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«
Introduction : Le lien social, telle que cette expression est formulée, nous renvoie à deux notions.
D'abord, le lien
est ce qui unit plusieurs choses ou personnes entre elles.
Le « lien social » pourra donc signifier le fait de vivre dans
une société commune, dans un même lieu.
Mais, ce lien se limite-t-il à cela ? Dès l'instant où il y a société, il se
crée nécessairement un lien entre ses citoyens.
Ce lien s'affirme par un partage de valeurs ou d'idées communes.
C'est donc sur la nature et l'origine de ce lien que nous devons nous interroger.
Les échanges, quant à eux, sont ce
qui permet à un individu d'établir un certain rapport avec d'autres.
Ils s'opposent à la violence, au sens où ils
comprennent la volonté d'un dialogue et d'un partage.
Seulement, à quoi vise ce partage ? Il s'agit le plus souvent
de la satisfaction économique des deux parties.
Chacun a un besoin à combler et en appelle ainsi à l'aide de l'autre
pour combler ce besoin.
Dès lors, ce rapport économique peut-il être à l'origine des rapports sociaux entre les
hommes ? S'il s'agit de la constitution d'une société, d'un groupe, d'une assemblée, alors il est certain que les
échanges vont permettre cette réunion.
C'est au milieu d'un « marché » que l'on pourra rencontrer d'autres
personnes et chercher à partager quelque chose avec eux.
Seulement, la nature économique de cet échange
comprend-t-elle tout ce qui est inclus dans la notion de lien social ? Si ce dernier implique un partage de valeurs,
des idées communes, une certaine humanité, alors nous devons distinguer le rapport purement social du rapport
économique.
I / Les échanges sont à l'origine du lien social
Pourquoi échanger ? Nous avons bien convenu que les échanges permettaient de mettre en relation
différentes personnes qui n'avaient pas de lien prédisposé.
Ainsi, au quotidien, le médecin, le vendeur et le paysan
par exemple n'ont pas de souci l'un envers l'autre.
Ils s'occupent de choses différentes et chacun se soucie plus de
lui-même que d'autrui.
Les biens que chacun détient ont une valeur d'usage.
Qu'entendre par-là ? Il s'agit de
l'importance que chacun accorde aux choses dont il se sert.
Comme un médecin, un vendeur ou un paysan ne se
servent pas des mêmes choses, la valeur de ce qu'ils possèdent (un manuel de médecine, un produit à vendre ou un
tracteur) est relative pour chacun d'eux.
Or, lorsque s'installe l'échange, il leur vient la possibilité de découvrir une
valeur d'échange de ces produits.
Dans ce cas, un prix est posé de telle façon que l'on puisse savoir quelle valeur
est donnée à chaque bien.
Il devient alors possible par l'intermédiaire de la monnaie, d'instituer des rapports entre
ces différentes personnes qui n'en avaient pas auparavant.
Nous pouvons donc voir dans les échanges l'origine de la
naissance de la société.
Les individus en viennent à avoir besoin l'un de l'autre, à s'échanger entre eux des services
mutuels et, ainsi, à avoir la notion d'un intérêt commun.
Nous pouvons ici rejoindre Rousseau qui nous explique cela
dans l'Emile.
« Supposons dix hommes, dont chacun a dix sortes de besoins.
Il
faut que chacun, pour son nécessaire, s'applique à dix sortes de travaux ;
mais, vu la différence de génie et de talent, l'un réussira moins à quelqu'un de
ces travaux, l'autre à un autre.
Tous, propres à diverses choses, feront les
mêmes, et seront mal servis.
Formons une société de ces dix hommes, et que
chacun s'applique, pour lui seul et pour les neuf autres, au genre d'occupation
qui lui convient le mieux ; chacun profitera des talents des autres comme si
lui seul les avait tous ; chacun perfectionnera le sien par un continuel
exercice ; et il arrivera que tous les dix, parfaitement bien pourvus, auront
encore du surabondant pour d'autres.
Voilà le principe apparent de toutes nos
institutions.
» Dès lors, la répartition du travail et les échanges entre ces
différents hommes permettent d'établir un lieu social solide et durable.
II/ les échanges ne visent qu'à favoriser les intérêts particuliers
Cependant, il nous faut maintenant rappeler que si les échanges
permettent de tisser un lien entre les individus, ce lien n'est pas
nécessairement social.
Que les échanges se déroulent dans le cadre d'une
société, nous ne pouvons en douter : un homme seul ne peut rien s'échanger
avec lui-même.
Mais, que les échanges aient le rôle primordial de fondement
du lien social, cela est à remettre en question.
En effet, les échanges
pourraient être la condition sine qua non du lien social, mais en aucun cas son
origine première.
Pour avancer en ce sens, nous devons revenir sur la nature proprement économique des échanges.
D'abord, les échanges passent par l'intermédiaire de la monnaie (le troc les limite beaucoup trop).
Ensuite, lorsque
nous achetons ou vendons quelque chose, nous n'agissons que dans notre intérêt propre, pour combler un de nos
besoins.
Ce n'est pas à l'humanité d'autrui et à la noble notion de partage que nous faisons allusion dans les
échanges, mais bien à l'égoïsme de chacun, à son avantage.
Ainsi, vendre un produit par exemple consistera à faire
la publicité de tous les avantages que ce produit peut procurer.
S'il y a donc partage, ce n'est que de façon
indirecte puisque ce n'est pas ici le but recherché, qui est la satisfaction de nos besoins.
De la même façon, comme
les différents travaux ne sont pas estimés à la même valeur, la société risque de se diviser au moins en deux
parties : ceux qui sont les plus avantagés et ceux qui sont désavantagés.
Parties, qui, évidemment, finissent par
rentrer en conflit l'une avec l'autre puisque leurs intérêts eux aussi se sont divisés.
L'Etat ne peut donc espérer des
échanges qu'ils régulent toute la vie sociale.
C'est ce que rappelle Durkheim dans De la division du travail social.
« Si
l'intérêt rapproche les hommes ce n'est jamais que pour quelques instants ; il ne peut créer entre eux qu'un lien
extérieur.
Dans le fait de l'échange, les divers agents restent en dehors les uns des autres, et l'opération terminée,
chacun se retrouve et se reprend tout entier.
Les consciences ne sont que superficiellement en contact…si même
on regarde au fond des choses, on verra que toute cette harmonie des intérêts recèle un conflit latent ou
simplement ajourné.
(…) L'intérêt est en effet ce qu'il y a de moins constant au monde.
Aujourd'hui, il m'est utile de
m'unir à vous ; demain, la même raison fera de moi votre ennemi.
».
Les échanges, par le fait qu'ils ne répondent.
»
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