Les beaux-arts ne s'adressent-ils qu'à la vue et à l'ouie ?
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Réduire les beaux-arts aux sens dits nobles comme la vue et l'ouïe, serait réduire ceux-ci comme l'occasion d'un pur plaisir intellectuel
et non sensible.
C'est aussi opposer une vision intellectuelle de l'art contre une vision plus sensuelle et corporelle.
Les arts relevant du
sens du toucher, du goût, de l'odorat ne pourraient relever de l'art ? Il serait important d'interroger la place des sensations tactiles
dans la perception de l'art, de la place des sensations du toucher dans les arts scéniques.
De même les odeurs ne seraient peut-être
pas à négliger dans la perception que l'on peut avoir d'un lieu, et plus généralement dans la perception esthétique
1) Les beaux-arts ne concernent que les sens nobles.
Hegel, dans son Esthétique pense que notre relation habituelle aux choses est de l'ordre du désir.
Quand on désire une chose, on ne
laisse pas l'objet dans sa liberté.
Désirer une chose, c'est supprimer son indépendance, en faire usage et donc la détruire.
Mais l'art
n'est pas de l'ordre du désir.
L'objet existe pour lui-même.
La contemplation esthétique ne satisfait que des intérêts spirituels.
On
comprend aisément la remarque de Hegel dans la mesure où la vue par exemple d'un tableau d'une coupe de fruit peinte par Cézanne
ou par Chardin n'induit pas l'envie d'acheter des pêches ou des abricots au premier marchand de fruit venu.
De même la différence
entre la peinture de nu et la pornographie, se situe que dans le second, le but est d'engendrer des désirs sexuels contrairement au
premier.
C'est la différence qu'à déjà opérer Kant dans la Critique de la faculté de juger entre l'agréable et le beau.
L'agréable vise à
la satisfaction du plaisir des sens, il est intéressé.
Le plaisir esthétique doit être désintéressé, il ne s'intéresse justement pas au contenu
de la chose représentée.
La portée universelle de l'art ne supporte pas les petites différences de goût individuelles, car ce qui est
agréable à l'un ne peut ne pas l'être à l'autre.
L'art n'est pas là pour rassasier les désirs, il est un plaisir intellectuel qui donne à penser,
à interpréter qui induit une certaine vision de la culture.
C'est une vision limitée de l'art que de le réduire à une satisfaction des désirs.
Hegel prendra à ce titre l'exemple du profil grec.
La ligne droite du front au nez, symbolise pour Hegel, la spiritualité.
Le front, centre
de la réflexion domine des organes non spiritualisé comme le nez et la bouche.
2) L'odorat comme esthétique.
Les sociologues, mais avant eux les philosophes, ont dédaigné l'odorat au bénéfice de la vue et de l'ouïe, sens nobles capables de
dépasser la pure sensation pour l'instituer en objet.
Le sens olfactif, réputé animal, enfermé dans l'immédiateté, privé de toute
possibilité de sublimation, fut exposé à une répression croissant avec l'évolution sociale, comme en témoignent les observateurs, de
Buffon à Marcuse.
Mais l'odorat est doué, par défaut, d'une portée sociologique indéniable puisque la respiration nous soumet à toutes
les senteurs.
Ainsi la question sociale est-elle pour Simmel une « question de nez », et pas seulement d'éthique.
Pour envisager les
effets sociaux de l'odorat, il faut distinguer l'odeur du parfum.
Le discrédit de l'odeur est attaché à son caractère générique, source de
méfiance : il faut la tenir pour le contraire du parfum, qui n'en paraît plus l'espèce, mais la conversion, selon une dialectique dont
l'histoire confirme la légitimité religieuse et sociale.
Au parfum revient la fraîcheur, l'intégrité, la pureté ; aux odeurs, cette confusion
englobant la puanteur, la corruption, la bestialité.
Cette antinomie est révélatrice de la perception par l'homme de son corps, de sa
relation à la société et de sa condition.
La tradition lettrée reproduit cette partition : l'odeur est étudiée dans le contexte d'une
esthétique des cinq sens (Aristote, Rousseau, Kant...), et le parfum sollicite une réflexion sur le raffinement des mœurs, suivant une
perspective moraliste (Platon, Aristote, Lucrèce, saint Augustin, Montaigne), ou sociologique (Rousseau déjà, Simmel).
Aussi, il faudra
attendre véritablement le 20 e siècle pour que le parfum devienne quelque chose d'esthétique et non plus un simple recouvrement des
odeurs corporelles parfois putrides.
Gabrielle (Coco) Chanel exigea « un parfum de femme à odeur de femme » ; l'odeur n'est point
rachetée, mais convertie par le parfum, catharsis d'une érotique déclinée sans la chair.
Apte à traduire la dominante de la personnalité,
le parfum en constitue « l'élaboration formelle », le style : cette « généralisation qui dépasse l'unicité de la personne, tout en
conservant néanmoins l'individualité comme [...] foyer de rayonnement » (Simmel, Le Problème du style).
Le parfum stylise, met en
forme, au sens presque aristotélicien du terme : il livre l'idée que la personne avoue pour sienne, l'eidos, l'âme.
Il ne s'agit plus de se
désodoriser, mais de se distinguer par l'odeur, non plus assimilée à l'animalité, mais à l'âme, puisque le parfum, révélant l'intimité de
la personne, en livre la quintessence : « Je connais son odeur, pas seulement les parfums qu'elle préfère ; non, son odeur sienne »,
écrit Jules Romains.
Mise en forme esthétique, le parfum crée ou augmente le rayonnement de la femme ou de l'homme, suscite « une
sphère en laquelle des éléments physiques et spirituels s'entremêlent de manière inexplicable » Simmel.
3) Un art du goût ?
La Physiologie du goût de Brillat-Savarin dont il vaut la peine de connaître le second titre dans tout son développement :
Méditations de gastronomie transcendante, ouvrage théorique, historique et à l'ordre du jour, dédié aux gastronomes parisiens...
C'est dire que l'auteur s'est donné pour tâche de célébrer l'art culinaire en lui accordant la plus haute dignité.
Il écrit dans la préface
de son ouvrage : « En considérant le plaisir de la table sous tous ses rapports, j'ai vu [...] qu'il y avait beaucoup à dire sur des
fonctions si essentielles, si continues et qui influent d'une manière si décisive sur la santé, sur le bonheur et même sur les affaires.
»
Aussi 'étude de la gastronomie au XIXe siècle en France montre surtout qu'il s'agit, dans un discours proche des catégories
littéraires, de la construction de règles marquant des différences tout autant sociales que culinaires.
Balzac utilisait de manière
rhétorique la formulation beaucoup/peu : le vulgaire (beaucoup d'hommes), les classes au goût sauvage, celles qui ne savent ni
vivre ni se tenir, une partie de la bourgeoisie aussi, ne fait que manger ; les gastronomes (peu d'hommes), sortes de dandy
– Dumas les appelait la « classe respectable des gourmands » –, récitent et utilisent la confection, la composition des mets ainsi que
leur voisinage avec les vins comme pratiques de distinction.
Le discours gastronomique est donc un style d'écriture qui fait partie
d'un style de vie aux lois complexes et byzantines ; c'est un ensemble de recettes culinaires régulant l'ensemble de la sociabilité.
Conclusion.
Face aux pensées intellectualistes de l'art qui excluent par avance les autres sens que l'ouïe et la vue.
Il ne faut pas négliger la part
artistique des pratiques humaines.
Loin de réduire la toucher, l'odorat ou le goût à des sens purement animaux, il faut y voir le lieu
de pratique humaine fugaces mais néanmoins non dépourvu d'intuition artistique.
Les beaux-arts sont des arts qui trouvent une
matérialisation dans une œuvre artistique, certes ils ne peuvent inclure tous les sens de l'homme mais cela serait oublier que
l'homme forme un tout, qu'il possède un corps par qui lui arrive un ensemble de sensation parfois indissociables.
L'homme n'est pas
qu'une paire d'yeux ou d'oreilles..
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