Les animaux dénaturés (Vercors)
Extrait du document
«
Une espèce mi-homme, mi-singe est découverte par des chercheurs, dont le journaliste Douglas Templemore, lors d'une expédition
en Nouvelle-Guinée.
Occasion de se poser la question : qu'est-ce qu'un homme finalement ?
Les chapitres I, II et III présentent les deux personnages principaux : Doug et Frances, leur rencontre par hasard, leur coup de foudre
passionnel.
Une relation tâtonnante, d'abord déguisée en une amitié délicate, douce, cultivée et poétique ; puis qui s'exprime dans toute
son intensité au chapitre IV : « Mais tout est bien si vous le trouvez bien.
Un mot de vous me fait partir.
Un mot de vous m'eut fait rester.
Cette obéissance m'est cruelle, mais j'aime vous obéir ».
Vercors nous conte le paradoxe de l'amour naissant : encore trop timide pour se
vivre au grand jour, mais trop brûlant pour continuer à se tapir dans l'obscurité.
Doug décide de s'embarquer dans l'expédition dirigée par
son amie Sybil, il se sépare de Francès en souriant et réfléchi à la commodité du silence : il est aisé de croire qu'il est d'or tandis que la
parole est d'argent…mais n'est-il pas qu'un échappatoire ?
Les chapitres V, VI, et VII relatent la découverte des « tropis », hommes singes comparés au chaînon manquant.
Sont-ils des
hommes ou de simples bêtes anthropomorphiques ? Les tropis sauvages attaquent le camp à coup de pierres, les chercheurs
immédiatement identifient les agresseurs comme une race nouvelle qu'il faut analyser.
Mais dès les premières rencontres avec les tropis,
« l'ignorance vierge » prend l'avantage sur « les œillères des spécialistes » : Doug, novice en la matière, se montre plus apte à
comprendre les mécanismes des tropis car il réfléchi naïvement et sans contrainte de référence à la science mère.
Au chapitre VIII, des
porteurs papous mangent des tropis alors que leur sort n'est toujours pas réglé : « peuvent-ils servir de rôti à des créatures chrétiennes ?
».
L'idée parait choquante, bien que rien ne puisse encore l'expliquer sur le plan zoologique.
Les chapitres IX, X et XI sont le récit du retour en Angleterre : la nouvelle tombe qu'une firme d'hommes d'affaire peu scrupuleux veut
acheter les tropis pour les faire travailler à la chaîne dans ses usines.
Douglas outré par ce comportement irrespectueux ne voit qu'une
solution pour les sauver : prouver leur humanité.
Mais la question se pose alors de savoir ce qui défini l'homme…hélas s'ouvre à cet
instant un débat sans fin.
Afin d'exporter le problème jusqu'au grandes instances britanniques, Doug devient le père génétique d'un jeune
« tropiot » (petit tropis), qu'il tue, après l'avoir légalement reconnu comme son fils : « C'était d'ailleurs, avouons-le, un tout petit cadavre
(…) _Il faut avertir la police, dit le docteur avec agitation.
_J'allais vous en prier, dit Doug ».
Il demande Frances en mariage par
télégramme car il est conscient de mettre sa vie en jeu, elle accepte : « Voulez-vous m'épouser ? Doug.
(…) Of course.
Frances ».
En effet les chapitres XII, XIII, XIV, XV et XVI concernent la période du procès : Doug est accusé de meurtre, mais son douloureux
stratagème fonctionne : toute l'Angleterre se demande quelle est la nature du petit tropiot décédé : est-il seulement une victime ? Le
procès oppose l'Etat Anglais, qui accuse Doug de meurtre, la défense qui assure un réquisitoire étrange plaidant la culpabilité de son
client, et un parti opposé à l'idée d'humanité chez les tropis.
Les discours des spécialistes ne répondent pas entièrement aux questions du
jury : le langage spécifique utilisé agit comme un carcan sur la réflexion générale.
Les membres du jury réclament un avis net et tranché
sur l'humanité des tropis, mais aucun scientifique ne peut leur apporter : les arguments contradictoires fusent et le procès est interrompu.
Le chaos ambiant révèle une lacune du système : il n'existe aucune définition globale et universelle de l'homme ! « Tout a été bâti sur
des nuages ».
Un comité officiel est alors chargé de rédiger une définition, après des semaines de discutions infructueuses, il finit par
livrer : « L'homme est un animal religieux ».
Mais Doug l'a bien senti, la véritable définition n'a été qu'effleurée lors du débat, car jugée
trop scandaleuse : « L'homme est un animal dénaturé », c'est-à-dire qui s'est « arraché de la nature », Vercors ne dit pas si c'est l'homme
qui s'est extrait de l'état animal volontairement ou si c'est la nature outrée qui l'a rejeté…
Au dernier chapitre, les tropis sont déclarés appartenant à la souche humaine puisqu'ils vénèrent un Dieu du feu qui leur est propre :
« Chacun à son gris-gris, les peuples aussi sans doute… ».
Ils sont donc sauvés des travaux forcés et Doug est acquitté car à l'époque où
il avait tué son tropiot, il n'était pas encore légalement reconnu comme un homme.
Finalement être un homme ne signifie pas l'être au
neurone près, Vercors compare l'Humanité à un « club fermé » : être humain signifie avoir été reconnu comme tel par ses frères.
Il se
lance à la recherche d'une définition qui classifierait ceux qui justement se croient aptes à tout classifier.
Mais si l'homme est conscient
d'être dénaturé, il ne rejette cependant pas sa condition : Frances dit à la fin du procès : « Cette douleur, cette horreur, c'est la beauté de
l'homme.
Les animaux sûrement sont plus heureux (…) mais je ne troquerais pas pour un empire cette douleur (…) contre leur
inconscience et leur bonheur ».
Vercors a une vison optimiste du fardeau humain : l'homme a franchi le seuil de la nature et se retrouve
perdu dans le chaos du questionnement infini, mais pour rien au monde il ne ferait le chemin inverse, car comme le disait Lafontaine
dans ses Fables : « Plutôt souffrir que mourir, telle est la devise des hommes ».
Frances se demande encore si être humain leur donne le
droit de dénaturer les tropis ? La leçon à tirer de ce procès est en tout cas que « L'Humanité n'est pas un état à subir.
C'est une dignité à
conquérir ».
Ce livre pose la question de la nature profonde de l'homme et finalement choisie de s'en échapper.
Pendant le Seconde Guerre mondiale,
la race aryenne met, sans le savoir, l'accent sur un point essentiel de l'humanité : lorsque Hitler remet en cause l'appartenance à la
communauté humaine des Juifs, Gitans, handicapés, etc.…personne n'a été capable de le freiner juridiquement.
Où est-il écrit qu'un Juif
est humain, au même titre qu'un Allemand ou qu'un porteur papou ? A la vue de ces horreurs (« Plus jamais ça »), Vercors ressent
profondément la nécessité de définir l'homme.
Mais il ne faut pas enfermer cette œuvre dans un contexte unique et risquer d'abîmer sa
belle intemporalité : Les animaux dénaturés sont une Bible profane de l'Humanité..
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