Les actes et les paroles
Publié le 21/01/2023
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Khôlle Philosophie, Les actes et les paroles
Intro :
Nous pouvons définir les paroles comme des actes de langage ayant pour but de traduire la
pensée, c’est-à-dire une forme d’intention exprimée dans la possible réalisation des paroles.
La parole est individuelle, suppose un sujet actif.
Par elle on s’approprie un langage, le sujet
exerce sa fonction linguistique.
A l’inverse, les actes proprement dits, concernent l’action
matérielle, le fait d’agir concrètement.
Lorsqu’un homme politique fait des promesses électorales, beaucoup de sceptiques répliquent
qu’ils attendent de voir les actes : les paroles ne coûtent pas cher et n’engagent que ceux qui
les écoutent, comme le dit le dicton populaire.
La parole n’engage à rien, on peut promettre
quelque chose et ne pas « tenir sa parole ».
Si l’on en croit l’opinion, la parole serait aux antipodes de l’action.
Si les paroles sont
distinguées des actes c’est dans un premier temps car la parole n’a pas de corps, il manque
de la matérialité à celle-ci pour figurer parmi les actes, une matérialité pouvant cependant
être compensée par l’écriture.
De plus les paroles s’évanouissent instantanément, elles ne
durent que dans le souvenir.
Rien ne nous assure de leur conservation, livrée à l’imperfection
du souvenir et à la mauvaise foi des hommes.
Il est commun d’opposer l’homme d’action à
l’homme de parole et de valoriser le premier par rapport au second.
La parole serait vaine, le
sérieux consisterait à agir.
De plus, le moment de la parole et de l’action se distingue selon
l’expression courante « parler au lieu d’agir ».
Celui qui se vante beaucoup n’est pas toujours
celui qui agit.
Enfin, il faut remarquer l’emploi du pluriel « les paroles » qui connote une
certaine profusion de celles-ci, peu compatible avec l’image de « l’homme de parole », qui ne
parle finalement que très peu.
La question est de savoir ce qu’il en est de ce jugement, si cette opposition est légitime et de
savoir dans quelle mesure l’engagement verbal possède une force concrète concurrençant la
force matérielle de l’acte lui-même.
Pour cela il faut interroger l’essence de la parole, ce
qu’elle engage, d’un côté, et ce qu’est un acte et ce qu’il engage de l’autre.
Il faut réfléchir
sur le poids que nous accordons à nos paroles, et sur le statut même de la parole parmi les
actes humains.
Les paroles, qui ne transforment pas physiquement le monde, sont-elles des
actes à part entière, ou seulement des sons véhiculant une information sans aucune
effectivité ? Y a-t-il un sens à dire que parler consiste à être passif ? N’est-il pas évident
qu’un sujet parlant n’est pas inactif et que l’activité de parler est parfois épuisante ? Il suffit
d’observer les professionnels de la parole (professeur, orateur politique etc) pour s’en
convaincre.
La sueur inondant le visage de l’humoriste Raymond Devos sur scène donnait la
mesure de l’effort en jeu dans sa parole, le mot devenant verbe d’action et non d’état.
Néanmoins si agir consiste à intervenir sur une réalité pour la changer, n’est-on pas forcé à
pointer l’inefficacité de la parole à produire des effets dans certaines situations ? La parole
n’agit pas mais fait agir, l’efficacité dont elle peut disposer n’est pas proprement en elle.
L’opinion n’a donc pas tort de dénoncer l’imposture d’une certaine parole et de rappeler que
dans de nombreux cas agir consiste à faire autre chose que parler.
Mais cela signifie-t-il que la parole est impuissante à produire des effets ? L’expérience
montre au contraire que la parole est un pouvoir d’une efficacité parfois redoutable, non
seulement dans le rapport des hommes entre eux mais aussi dans le rapport de l’homme au
réel.
Alors qu’est-ce que parler et s’il est vrai que la parole est une action, de quelle espèce
est-elle ?
On verra dans un premier temps que la parole est une action en soi, mais qu’elle peut
cependant s’opposer à l’acte, et pour finir on verra que parler c’est agir.
I- La parole est une action en soi
A ) Le contraire de parler, c’est se taire tandis que le contraire d’agir, c’est être passif.
Se
taire n’est pas forcément être en état de passivité (réflexion) et un locuteur ne l’est ni
physiquement, ni mentalement.
Pour émettre des sons il doit mettre en œuvre des muscles,
une énergie.
La parole est une opération physique dont ceux qui la manient, par exemple à
titre professionnel, savent combien elle requiert d’efforts, puisqu’elle exige aussi une activité
mentale.
Celle-ci est inégale selon les niveaux de communication, mais reste toujours en jeu
dans les paroles peu soucieuses de densité signifiante.
B ) La parole est aussi une action en soi dans la mesure ou dans une assemblée d’hommes, il
faut « prendre la parole », une expression qui signifie que la parole est souvent confisquée
par les plus éloquents, habiles ou puissants.
« Prendre la parole » requiert souvent du
courage, celui de s’exposer, ce qui ne va pas toujours sans risque.
Hannah Arendt dans,
Condition de l’homme moderne, souligne cette essence de la parole.
Le monde humain est
celui d’une pluralité d’êtres à la fois distincts et égaux.
L’identité personnelle de chacun ne
peut s’exprimer que dans la parole et toutes les autres modalités de la vie active.
Elle dit :
« La pluralité humaine, condition fondamentale de l’action et de la parole a le double
caractère de l’égalité et de la distinction.
Si les hommes n’étaient pas égaux, ils ne pourraient
se comprendre les uns les autres, ni comprendre ceux qui les ont précédés ni préparer
l’avenir et prévoir les besoins de ceux qui viendront après.
Si les hommes n’étaient pas
distincts, chaque être humain se distinguant de tout autre être présent, passé ou futur, ils
n’auraient besoin ni de la parole ni de l’action pour se faire comprendre.
Il suffirait de signes
et de bruits pour communiquer des désirs et des besoins immédiats et identiques.
»
En agissant et en parlant les hommes se révèlent, font voir qui ils sont, montrent leurs
identités personnelles uniques, de ce fait, font leur apparition dans le monde humain.
Déploiement d’une énergie physique et mentale, intervention parfois audacieuse parmi les
hommes, la parole est loin de connoter passivité.
Alors pourquoi l’opinion publique oppose-telle la parole à l’action ? Cette opinion peut-elle être légitime ?
II) La parole peut s’opposer à l’acte
A) Le bon sens exprime souvent du doute à l’égard de l’authenticité de la parole, cela est clair
dans de nombreuses formules : « Ce n’est qu’un beau parleur », « assez des mots, des
actes ».
« Des mots en l’air ».
Les paroles sont en fait marque d’impuissance, impuissance
pour le sujet à exprimer et à transmettre pensées et sentiments, impuissance du langage à
transformer la réalité, impuissance pour la parole à faire montre de son authenticité.
L’acte,
au contraire est marque d’authenticité.
Tandis que la parole peut-être habile, trompeuse,
artifice, les actes trompent rarement ; ils se font au grand jour, supposent de la peine et des
renoncements, demandent du temps et des efforts.
Les paroles quant à elles sont peu
coûteuses, nécessitent seulement un peu de salive.
L’acte est engagement, celui qui agit
s’engage dans ce qu’il fait.
Ce procès est sévère mais souvent fondé.
De fait, lorsque l’action requiert une intervention matérielle sur une réalité, il est vain de
croire à l’action de la parole.
L’émission de sons peut produire des effets physiques
(éboulement), mais ce qui agit est le son comme phénomène vibratoire et non la parole en
tant que sons doués de sens.
Les mots sont impuissants à modifier concrètement les choses.
Le superstitieux se refuse à admettre cette vérité, croit qu’en prononçant le mot, il agira sur
la chose, en témoigne la réticence de certains à utiliser certains mots, par peur de s’attirer la
chose.
L’erreur du magicien est de croire en l’usage incantatoire du langage.
Ses paroles vont
faire tomber la pluie, détruire le mal qui ravage son pays, pouvoir du langage qui devient
illusoire.
B)De même, lorsqu’il s’agit de faire passer un projet du stade de l’intention à celui de sa
réalisation, les mots ne suffisent pas.
Ils servent à dire ce que l’on projette de faire mais le
dire n’est pas le faire.
Agir signifie dans ce cas passer à l’acte, exécuter, mettre en œuvre le
projet.
On reproche à la parole de servir à différer le moment de l’acte.
Parfois, les hommes
se dérobent, multiplient le temps de délibération, cherchent à gagner du temps.
La parole
sert donc à se dérober à la responsabilité de l’exécution.
On parle, pour dissimuler une
mauvaise volonté, avouer son impuissance.
Les hommes politiques s’exposent à ce reproche,
ils font des promesses, ont de bonnes intentions, mais leur parole est plus soucieuse de plaire
que de se prolonger en accomplissement.
Cette déception alimente le discrédit....
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